Immobilier, parking, trafic, fiscalitéPour le maire de Villerupt, "Le Luxembourg, c'est aussi une contrainte"

Romain Van Dyck
Inflation immobilière, rétrocession fiscale, tram qui s'arrête à la frontière, invasion des camionnettes luxembourgeoises... Entretien avec Pierrick Spizak, le maire de Villerupt, qui pointe des difficultés récurrentes pour les communes frontalières.
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Je n’ai rien contre ceux qui travaillent au Luxembourg, ma propre femme est frontalière, donc aucun souci avec ça” rappelle en préambule Pierrick Spizak. “Mais je dois dire que quand on est un élu, le Luxembourg est aussi une contrainte.”

Villerupt (Meurthe-et-Moselle), l’une des anciennes places fortes de la sidérurgie lorraine, est désormais intimement liée avec le Grand-Duché voisin, ce qui lui vaut des surnoms moins reluisants de “banlieue du Luxembourg” ou de “ville dortoir pour frontaliers”. Son maire évoque cette dépendance économique et sociale à travers plusieurs défis : immobilier, stationnement, rétrocession fiscale et mobilité.

Immobilier : “Il faut mettre en place un plafonnement des loyers

Ce genre d’annonce, désolé, mais pour moi ça ne passe pas” fulmine Pierrick Spizak. Il nous montre une capture d’écran d’une annonce immobilière partagée sur Facebook pour un Studio de 17m2, meublé” loué 800 euros (dont 150 euros de charges) dans la commune voisine d’Audun-le-Tiche.

Un tarif astronomique, qui souffle sur les braises d’une flambée immobilière à la frontière. “Je peux entendre qu’un propriétaire loue son bien, doive rembourser son prêt et si possible se faire un peu de marge, mais il faut rester raisonnable. Le problème, c’est qu’il y a de plus en plus de personnes qui n’ont plus les moyens de se loger à la frontière, même si elles sont nées ici” déplore le maire.

L’inflation immobilière au Luxembourg n’en finit plus de se répercuter de l’autre côté de la frontière. Pierrick Spizak rapporte qu’en 2023 à Villerupt, pour un appartement de type T1 ou T2, le loyer était en moyenne à 17,8 euros le m2: “On est plus cher que Thionville, Metz, Strasbourg, Nancy.” Le Luxembourg

Qu’est-ce qu’un maire peut faire pour freiner cette inflation ? “Nous, au niveau communal, on ne peut rien faire. L’intercommunalité, en revanche, a cette compétence et prévoit notamment de mettre en place dès le 1er janvier 2025 un permis de louer”. Ce permis de louer, nous explique-t-il, est une autorisation délivrée par une commission qui se rendra dans les logements avant leur location, afin de vérifier s’ils respectent bien certains critères. À défaut, le propriétaire ne sera pas autorisé à louer son bien. “Le but est de lutter contre le logement indigne”. J’ai aussi dit à l’interco qu’il faudra réfléchir à un plafonnement des loyers. Ça existe déjà dans d’autres villes, comme à Paris. Ca prendra plusieurs années sûrement, mais on doit s’emparer de tous les moyens possibles.

Stationnement sauvage : “Si on verbalise une camionnette luxembourgeoise, au final c’est Villerupt qui risque de payer l’amende

Nous en parlions il y a quelques mois : à Villerupt, Audun, Ottange ou encore Rédange, riverains et élus se plaignent de voir leurs rues littéralement envahies par les camionnettes luxembourgeoises. Il faut savoir que le stationnement de ces camionnettes est généralement payant dans les communes luxembourgeoises, donc les entreprises mettent “gracieusement” leurs véhicules à disposition des employés frontaliers, pour qu’ils aillent les garer devant chez eux... de l’autre côté de la frontière !

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Les gens en ont ras-le-bol, et je peux l’entendre, de voir lorsqu’ils se baladent le soir à Villerupt, au bas mot une centaine de camionnettes de chantier luxembourgeoises dans nos rues.” Zones bleues, vignettes de stationnement payantes, contraventions... Les communes frontalières ne savent plus quoi faire pour dissuader ces véhicules de venir encombrer leurs trottoirs.

Il faut dire que leurs propriétaires ne risquent pas grand-chose : “On peut toujours mettre un PV ou envoyer la facture à l’entreprise luxembourgeoise. Si elle ne paie pas, il n’y a pas d’accord entre la France et le Luxembourg sur ce type d’amende. Le trésor public français ne pourra donc pas saisir l’argent sur des comptes bancaires au Luxembourg. Résultat, ça rentrera dans la case des impayés, et dans 5 ans, quand il y aura 100.000 euros d’impayés, le Trésor Public réclamera ces impayés à qui ? À la ville de Villerupt. C’est pour ça qu’on hésite à mettre en place des vignettes, car en clair, il y a un risque que ça soit les contribuables villeruptiens qui paient les amendes non payées par les entreprises ou résidents luxembourgeois.

On réfléchit aussi pour interdire le stationnement dans la ville des camions de chantier d’une certaine longueur entre 18h et 8h, mais si on prend cet arrêté, il faut embaucher derrière le personnel pour le faire respecter.

Rétrocession fiscale : “Cela représenterait un tiers de notre budget annuel

Le Luxembourg s’oppose à toute rétrocession fiscale envers la France. Pourtant, ce même Luxembourg reverse chaque année aux communes frontalières belges une compensation fiscale pour ses quelque 51.000 travailleurs frontaliers qui se monte à plus de 45 millions d’euros depuis 2021. Un tel système existe aussi entre la France et la Suisse : en 2023, le canton de Genève a reversé à la France une partie des impôts qu’il prélève sur les salaires des frontaliers, soit 352 millions de francs suisses.

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On demande donc au maire de Villerupt ce qu’une telle rétrocession apporterait à sa commune : “Si on se base sur ce qui se fait entre la France et le canton de Genève, ca représenterait pour Villerupt 5,6 millions en plus dans le budget chaque année, soit 1/3 de notre budget annuel. Ce n’est pas de l’argent qui irait dans les poches des élus, ce serait du concret, pour les équipements de voiries, pour les écoles, pour la mobilité douce, etc.

Villerupt est devenu, de fait, “une banlieue du Luxembourg. Bien sûr qu’on est dépendant, une grosse majorité de la population active travaille au Luxembourg. J’entends qu’il faut dire merci au Luxembourg, sans qui le chômage exploserait. Mais on peut dire aussi merci à la France d’avoir formé tous ces frontaliers, des frontaliers sans qui le Luxembourg ne se développerait pas comme aujourd’hui.”

Cette co-dépendance s’illustre en particulier au niveau du logement. Le Luxembourg est devenue une “fabrique à frontaliers”, expliquait une association récemment. Mais cette métropolisation entraine un transfert de charges que le Luxembourg ne compense pas toujours. Le maire de Villerupt donne un exemple: “Sur le site de Micheville, on construit des logements étudiants. À votre avis, ces logements serviront à qui ? À des jeunes qui iront faire leurs études à Longwy et Thionville en France, ou bien à l’université de Belval au Luxembourg ? À Belval, évidemment. Donc le Luxembourg devrait s’impliquer, mais il finance 0 euro des logements de ses futurs étudiants en France”.

Trafic : et si le tram roulait jusqu’à Micheville ?

Demandez aux frontaliers leur avis sur le trafic à Villerupt, il y a de fortes chances qu’ils répondent : “de pire en pire.” “Un parent qui emmène son enfant dans une crèche à Schifflange, il lui faut parfois trois quart d’heure pour faire le trajet depuis Villerupt” confirme le maire de Villerupt.

Nous, à Villerupt, on est l’entonnoir, donc on ne peut pas faire grand-chose pour réguler la circulation. On est en train de mettre en place de nouveaux feux tricolores qui s’adaptent aux heures de pointe (lire notre article ici). Mais deux cent mètres plus loin, vous serez quand même bloqué au contournement de Micheville” qui rejoint le Luxembourg.

Du côté du Luxembourg justement, les choses bougent, notamment avec le tram qui doit relier Esch-sur-Alzette, la deuxième ville du pays, dans un peu plus de dix ans. “C’est très bien, mais pourquoi ne pas pousser jusqu’à Micheville ? On nous répond qu’il faut les infrastructures, élargir les routes, etc. Et qu'1 km de tram, tout compris, c’est 25 millions d’euros. Donc on nous dit ‘mettez l’argent sur la table et assurez-vous qu’on aura 20.000 usagers du tram tous les jours’”.

C’est pareil, poursuit-il, avec la nouvelle piste cyclable de 2 km reliant Esch-sur-Alzette à Belval, et intégrant la “passerelle cyclable la plus longue d’Europe”. “Cela a coûté près de 48 millions d’euros au Luxembourg. Chez nous, je sais même pas s’il y a 1km de piste cyclable dans l’ensemble de l’intercommunalité.

Les moyens sont “disproportionnés” entre le Luxembourg et les communes frontalières françaises, soupire le maire qui ose une comparaison : “Moi, je suis un footeux. C’est comme si demain, on mettait côte à côte le PSG et le FC Metz, et qu’on leur disait votre objectif commun est de gagner la Ligue des Champions. Le PSG, avec son budget des Qataris, mettra peut être 10 ans à la gagner. Le FC Metz, dans 300 ans, ils essaieront toujours.

D’autant que l’État français n’y mettrait pas du sien : “Avez-vous vu un seul ministre français se déplacer sur notre territoire? Quand on a eu Esch 2022, capitale de la culture, qui réunissait quand même 11 communes luxembourgeoises et 8 françaises, la France nous a jeté des miettes de pain pour financer ce projet. Notre territoire, ils savent tout juste le situer sur une carte” soupire-t-il.

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