
Des montagnes d’ordures belges déversées illégalement en France: neuf hommes, dont cinq d’une même famille, comparaissent jusqu’à vendredi à Lille (Nord) pour un lucratif trafic de déchets en bande organisée, un procès hors norme par l’ampleur des dépôts et le nombre de victimes.
Entre 2018 et 2021, ce sont près de 10.000 tonnes de déchets qui ont été déversées illégalement en France dans ce dossier, la première affaire de trafic de déchets jugée par la Juridiction interrégionale spécialisée, en charge de la criminalité organisée.
Le préjudice, pour des communes situées dans le nord et l’est de la France mais aussi des entreprises comme Suez et Veolia, est estimé à plus de 1,5 million d’euros.
Au cours de l’enquête, un hélicoptère a été utilisé pour constater l’ampleur des dépôts sauvages de déchets industriels et ménagers effectués en Lorraine. À Rédange par exemple, où les déchets sont à quelques mètres de la frontière luxembourgeoise.

Sur un banc des prévenus, quatre hommes d’une même famille. A la tête d’une myriade de sociétés, Johnny Demeter, 41 ans, est considéré comme le principal protagoniste du trafic. Il a passé plus de deux ans en détention provisoire.
À ses côtés, son père Jacques, son frère Toni et son cousin Frédéric. Un autre cousin est représenté par son avocat.
Le dernier prévenu présent à l’audience, sur les neuf jugés cette semaine, est un ami de la famille de nationalité croate. Il est suspecté d’avoir servi d’intermédiaire pour la location des camions et le recrutement des chauffeurs, mais aussi pour le blanchiment des gains. Plus de 520.000 euros en espèces ont été saisis chez lui.

À l’audience lundi, Johnny Demeter, sweat à capuche gris et barbe noire fournie, a assuré avoir suivi naïvement les conseils du dirigeant de la société belge Snoeys, auprès de laquelle il récupérait les déchets. Celui-ci lui aurait soutenu que ne pas payer les sites où il déposait les ordures ne posait pas problème, qu’il suffirait de payer un avocat.
“Snoeys, c’est une des plus grandes déchetteries de Belgique, le monsieur il est milliardaire, moi je fais dans la ferraille”, a plaidé Johnny Demeter, assurant avoir pensé que les faits n’étaient “pas trop, trop graves”tout en reconnaissant avoir gagné beaucoup d’argent dans ce trafic.
“Je suis gitan, je ne sais même pas lire”, a-t-il rétorqué agacé à la procureur s’étonnant de son manque de curiosité pour les règles régissant les transferts transfrontaliers de déchets.
Chargeant avec constance un intermédiaire, absent à l’audience, qu’il accuse notamment d’avoir “détourné des camions”, il a en revanche dédouané les membres de sa famille. “Je les ai utilisés (...) je les ai mis dans la merde”, a-t-il lancé, les désignant d’un geste théâtral. “J’ai tout fait tout seul, comme un grand”.
Le mode opératoire de l’équipe a évolué au fil du temps. Les déchets belges ont d’abord été amenés dans des centres de retraitement français, escroqués par l’usage de faux noms de sociétés et jamais payés.
L’équipe était, elle, rémunérée 108 euros par tonne de déchets récupérée en Belgique.
Lorsque ces sociétés, Suez et Veolia, ont commencé à percer à jour l’escroquerie, l’équipe a opté pour des dépôts sauvages en Lorraine. Puis, quand ceux-ci sont devenus à leur tour trop risqués, il se sont lancés dans la location de terrains et box de stockage dans le nord de la France, à nouveau avec de faux documents.
À Haucourt-Moulaine, où 500 à 1.000 tonnes de déchets ont été abandonnées sur un terrain privé en forêt, le portail a été forcé et le cadenas changé. Un mode opératoire reproduit par la suite.
L’enquête a identifié dans cette affaire les caractéristiques de la criminalité organisée, appliquées au domaine des déchets, très lucratif et peu risqué.
“Il y a des endroits où les tas de déchets sont encore là depuis quatre ans”, a déploré l’avocate d’associations de défense de l’environnement Muriel Ruef. “Un tas de déchets de plusieurs tonnes, c’est de l’eau qui percole, qui va dans les nappes phréatiques et puis il y a un risque d’incendie, (...) des risques pour tout ce qu’il y a autour, pour la biodiversité, pour la nature”, a-t-elle ajouté.