Le procès de neuf hommes pour un vaste trafic de déchets près de la frontière luxembourgeoise s'est ouvert lundi devant la Juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Lille. Dix personnes sont poursuivies pour des dizaines de tonnes de déchets entassés à Rédange depuis cinq ans.

Si l'odeur a disparu, la montagne de déchets est toujours aussi écœurante. Elle est devenue un symbole, celui d'un territoire lorrain frontalier

Cinq des dix prévenus se sont présentés lundi devant le tribunal, dont Johnny Demeter, considéré comme l'un des principaux protagonistes de ce dossier, qui se présentait comme négociant et courtier de déchets.
Sous-pull blanc et épaisse barbe noire, il est jugé avec d'autres membres de sa famille.

Les enquêteurs ont mis au jour un système organisé de collecte, transport et déversement de déchets effectués au mépris des réglementations en vigueur.

Entre 2018 et 2021, près de 10.000 tonnes de déchets provenant de Belgique ont ainsi été déversées illégalement dans le nord et l'est de la France, entraînant un préjudice estimé à plus de 1,5 million d'euros.
Des déchets ont également été amenés à des sites de traitement de Suez et Veolia, accompagnés de faux documents, et sans que ces sociétés touchent le règlement correspondant.

Des communes situées dans le Nord, en Meurthe-et-Moselle et en Moselle, et des associations de défense de l'environnement figurent parmi les parties civiles.

Cette affaire aux "enjeux importants en terme de santé publique" constitue "la première affaire Jirs (juridiction luttant contre la criminalité organisée, NDLR) de fraude aux déchets", a souligné avant l'ouverture de l'audience François Saint-Pierre, avocat de Suez.

L'avocate des associations France Nature Environnement, Lorraine Nature Environnement et Air Vigilance, Muriel Ruef, a souligné pour sa part l'"enjeu pédagogique de ce procès, sur un trafic transfrontalier assez massif".
Selon l'enquête, l'équipe était principalement structurée autour de la famille Demeter, dont cinq membres sont renvoyés devant le tribunal.

Un vaste trafic

À l'entrée de Rédange, 250 tonnes de déchets polluent les sols depuis quatre ans, résultat d'un vaste trafic en provenance de Belgique, pour lequel dix prévenus sont jugés à partir de lundi à Lille.

Daniel Cimarelli, maire de Rédange, se souvient: "C'était des camions entiers de 35 tonnes qui ont été déversés", en octobre 2019, sur un terrain privé de sa commune.

Depuis, l'amas de débris, tant ménagers qu'industriels, se dégrade, sent mauvais en été et, selon des riverains, ruisselle dans des étangs en contrebas. Il trône sur un ancien site sidérurgique, dans cette commune frontalière du Luxembourg également située à quelques kilomètres de la Belgique.

"C'est dégueulasse", souffle Jessica Dautruche, du collectif "J'aime ma forêt". "On essaie d'interpeller un peu tout le monde depuis quatre ans, mais malheureusement les réponses qu'on a eues sont assez minces".

"Chacun se renvoie la balle et ce n'est pas facile de savoir qui est responsable", abonde M. Cimarelli, même si selon les textes, c'est "à la société belge" responsable de ces dépôts illégaux "de venir les chercher". D'autres sites ont été depuis nettoyés.

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"Les suspects prenaient l'apparence de gestionnaires de déchets présentant toutes les autorisations en bonne et due forme pour récolter, traiter et déposer les déchets dans des endroits dédiés", résume Olivier Hurault, avocat de la communauté d'agglomération de Longwy, où selon lui des rebuts "extrêmement dangereux" ont été déversés. "Sous cette apparence, une fois qu'ils avaient récupéré les déchets et qu'ils avaient été rémunérés, ils les déposaient sur des terrains de collectivités ou de particuliers et s'en débarrassaient comme ça, ni plus ni moins".

L'enquête a également permis d'établir qu'une organisation unique avait été à l'origine de ces dépôts sauvages. Elle aurait d'abord effectué des dépôts dans des centres de retraitement, en France, dont certains ont déposé plainte pour escroquerie: faux documents, usurpation d'identité commerciale, factures non honorées...

Selon un document consulté par l'AFP, "cette pénétration de la criminalité organisée dans le domaine du déchet est également facilitée par le fait que les pouvoirs publics européens peinent à trouver des solutions à la hauteur des enjeux écologiques", alors que ces pays "produisent plus de déchets qu'ils ne peuvent en retraiter""Avant, c'était une atteinte à l'esthétique", retrace le sous-préfet de Thionville (Moselle), Philippe Deschamps. "Or, l'essentiel est ailleurs", sur le plan environnemental, avec des déchets qui "entrent dans les nappes phréatiques".

Des opérations de contrôle des douanes se multiplient. "Pour nous, cette lutte est une priorité", indique à l'AFP Mathieu Boffy, chef divisionnaire Lorraine-Nord des douanes. C'est "un enjeu de sécurité publique et de lutte contre la pollution de l'air et du sol. On doit être extrêmement vigilants".