Une immense décharge sauvage est laissée à l'abandon depuis 4 ans près du village frontalier de Rédange, en Moselle, rappelle un collectif citoyen. Retour sur une affaire qui avait révélé un véritable trafic "mafieux" de déchets.

"Strictement rien n'a été enlevé depuis octobre 2019. Tout est toujours là", se désespère Jessica Guiot Dautruche.

Il y a quatre ans, elle avait découvert cette décharge en se baladant sur les hauteurs de Rédange. En quelques jours, la résidente de ce petit village frontalier avait assisté à un va-et-vient de camions venus déverser, en toute illégalité, près de 250 tonnes de déchets originaires de Belgique sur cette parcelle privée.

Ci-dessous, les photos que nous avions prises à l'époque :

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Un camion pris en photo par des habitants de Rédange en 2019 alors qu'il venait décharger illégalement ses déchets. / © DR

Terre, gravas, déchets plastiques, pots de peinture, produits ménagers, nourriture... Lorsque nous étions venus sur place, à l'automne 2019, cette décharge formait une impressionnante montagne de détritus malodorants, qui pourrissaient et suintaient de toute part, faisant craindre une pollution assez évidente pour l'écosystème, la faune locale, et les cours d'eau qui ruissellent jusqu'au Grand-Duché voisin. La décharge se situe en effet à 100 mètres de l'étang qui se déverse dans la Beler, une rivière qui va ensuite rejoindre l'Alzette au Luxembourg.

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La décharge vue du ciel (en bas à gauche), et l'étang (en haut à droite) situé non loin de là... / © Capture d'écran / Google map

Une "mafia" de la contrebande de déchets

Hélas, non seulement cette montagne n'a pas disparu, mais elle a encore grossi. "D'autres pollueurs sont venus déposer leurs déchets. Là par exemple, c'est quelqu'un qui est venu déverser le contenu d'une camionnette entière, visiblement des déchets de travaux dans une maison" nous montre-t-elle.

Pour gêner leur accès au site, l'ancienne barrière peu dissuasive a été remplacée par une glissière de sécurité fixe, qui laisse passer seulement les promeneurs... et de "petits pollueurs" qui hélas, ne se privent pas pour y jeter encore et toujours leurs détritus.

À part cela, rien n'a bougé. L'affaire avait pourtant été très médiatisée, révélant une contrebande de déchets à l'échelle internationale, des sociétés étrangères (notamment belges) se comportant comme des organisations "mafieuses"De semblables décharges sauvages avaient été découvertes un peu partout dans le nord de la Lorraine, à Hussigny-Godbrange, Haucourt-Moulaine, ou encore Audun-le-Tiche. Et de nombreux élus s'étaient précipités sur place, faisant la promesse d'y mettre un terme.

La France et la Belgique se renvoient la balle

"Pendant ces années, nous n’avons eu de cesse à interpeller tous les pouvoirs en place pour endiguer ce problème et avoir de réels changements, comme plus de contrôles douaniers aux frontières sur la problématique des déchets par exemple" écrit ainsi le "Collectif citoyen : j'aime ma forêt" sur sa page Facebook, dont est membre Jessica.

Une enquête diligentée par les autorités françaises avait conclu que la société de transports "Jost Group aurait été trompée par une autre société "Mondial Services" chargée de la récupération et du traitement de déchets provenant de particuliers et de professionnels belges" expliquaient des élus locaux et des membres de collectifs dans une lettre commune publiée en 2020, dont RTL a eu connaissance. Depuis, les auteurs des dépôts illicites ont été identifiés, des perquisitions ont été menées, mais aucun camion n'est venu récupérer lesdits déchets.

Loin de se décourager, le collectif citoyen, soutenu par des élus locaux, a poursuivi ses démarches, faisant de nombreuses relances auprès de tous les acteurs possibles : "Sous-préfet, préfet, ministère de l’Environnement en Belgique et en France, président de département et de région, procureur du Roi de Belgique, associations de protection environnementale [...] Nous avons eu de nombreuses réponses mais peu étaient positives à notre requête" poursuit-il.

La France et la Belgique continuent de se renvoyer la balle sur le dossier Rédange. "Il appartient aux autorités françaises de stocker en toute sécurité les déchets qui sont actuellement laissés sans surveillance" peut-on lire par exemple dans une réponse de l’Agence publique flamande des déchets (OVAM), datée de février 2023.

Le coût du nettoyage joue peut-être dans cette frilosité, estime Jessica : "À Haucourt-Moulaine, ils ont eu un devis de près d'un million d'euros pour enlever 550 tonnes de déchets. Ici, c'est estimé entre 180 et 230.000 euros".

Une audience prévue bientôt

Mais tout n'est pas perdu, espère encore le collectif: "Nous avons suivi de nouvelles pistes et fait parvenir notre dossier complet à de nombreux eurodéputés, mais également au «pôle national de transfert des déchets transfrontaliers». Nous avons eu des réponses positives, des gens bienveillants prêts à nous aider à en finir avec cet écocide. Nous avons également permis à des organismes de rejoindre cette affaire et de se porter partie civile, ce qui donnera encore plus de poids à l’audience judiciaire prochaine".

Une audience est en effet prévue à la fin août, et "le fond de l'affaire devrait être évoqué fin décembre 2023" nous informe Jessica. Avec à la clé, peut-être, des mesures pour faire disparaître cette "immonde cicatrice" qui balafre le village de Rédange.

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Depuis quatre ans, la nature a eu le temps d'investir cette montagne de détritus... / © Romain Van Dyck

"On ne lâche pas l'affaire, mais ça devient très long, s'inquiète tout de même Jessica. La nature a déjà repris ses droits. Là, regardez, un érable pousse en plein milieu des déchets...  On a peur que ce problème soit oublié".