Trois mois pour trouver un nouveau logement au Luxembourg, c'est "bien trop court, c'est irréaliste", dénonce le président d'une association de défense des locataires. Nous avons justement des nouvelles de Jacqueline et Tekla, les deux dames âgées expulsées à Merl. Tout ne s'est pas passé comme prévu !

Trois mois pour faire ses bagages.

Ce délai de préavis donne des cauchemars à beaucoup de locataires. Car "Vu la faible offre de logements au Luxembourg, 3 mois de préavis, c'est totalement irréaliste" affirme Jean-Michel Campanella, le président du Mieterschutz, l'association de défense des locatairesC'est pour cela que des gens sont en panique et craignent tellement l'expulsion. Car si demain on les mets dehors, est-ce qu'ils vont retrouver autre chose en si peu de temps? Est-ce qu'il ne faudra pas aller chercher à l'autre bout du pays, ou de l'autre côté de la frontière", comme tant de résidents déracinés par les prix de l'immobilier au Luxembourg ?

Cette question était au coeur de notre reportage sur Tekla et Jacqueline, deux dames âgées de 66 et 92 ans, et expulsées de leur immeuble à Luxembourg-Ville.

"Les règles restent très favorables aux propriétaires" constate Jean-Michel Campanella. "C'est d'ailleurs souvent plus une question de délais que d'argent. Car même si vous avez des moyens de payer un loyer plus élevé, il faut quand même que le marché propose assez de logements disponibles, pour pouvoir les visiter, prendre les rendez-vous, convaincre le propriétaire de vous choisir... C'est pour cela que 3 mois, c'est bien trop court".

"Des locataires ont été mis à la porte un 23 décembre"

Que Jacqueline et Tekla soient des seniors ne change d'ailleurs rien : "Il n'y a pas de soutien particulier pour éviter les expulsions des personnes âgées au Luxembourg" confirme Jean-Michel Campanella. Cela pourrait d'ailleurs avoir des effets pervers, admet-il : "Des propriétaires pourraient ne plus prendre en location des personnes âgées si un tel dispositif les protège."

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Tout comme il n'existe pas non plus de trêve hivernale au Luxembourg, comme cela se fait par exemple en France et qui permet aux locataires d'éviter une expulsion du 1er novembre au 31 mars. Pourtant, "on pourrait avoir besoin d'une trêve, plus courte, par exemple du 15 décembre au 15 janvier. Car à ce moment-là, il y a beaucoup de services sociaux qui sont fermés ou qui manquent de personnel. Une fois, on a été contacté par des locataires qui étaient mis à la porte un 23 décembre. Evidemment, à cette date-là, il n'y avait personne pour les aider dans les services sociaux" déplore-t-il.

Le problème des locataires qui font les réparations à la place des propriétaires

Jean-Michel Campanella souhaite également parler d'un sujet peu évoqué au Luxembourg : celui des locataires qui réalisent des travaux à la place des propriétaires. Ce fut le cas de Jacqueline qui déclarait dans notre reportage avoir effectué de nombreux travaux (nouvelle porte d'entrée, double vitrage, volets...) qui sont normalement du ressort du propriétaire.

"C'est un sujet intéressant, car on parle toujours des locataires qui font des dégâts dans les logements. Mais il y en a beaucoup, comme cette dame, qui prennent des réparations à leur charge pour éviter un conflit avec le propriétaire. C'est le locataire qui préfère remplacer lui même un vieux robinet ou un vieux frigo plutôt que de signaler qu'il a encore un problème. Ça c'est courant, c'est d'ailleurs la première raison pour laquelle les gens nous contactent. Les gens veulent savoir qui doit faire les travaux lorsqu'il y a de l'insalubrité, de l'humidité, une fenêtre cassée qui laisse rentrer le froid... "

Car "Il y a des propriétaires qui refusent de faire ces travaux, donc les locataires peuvent choisir malheureusement de faire les réparations eux-mêmes. Hélas, cela ne les aidera pas plus si le propriétaire veut les expulser" prévient Jean-Michel Campanella. Il y a donc "un manque d'information des locataires sur leurs droits et devoirs" , dont certains propriétaires peu scrupuleux savent tirer parti.

Que deviennent Jacqueline et Tekla, les "expulsées" de Merl ?

Depuis la publication de notre reportage, Tekla et Jacqueline ont vu leur situation évoluer. Tekla, dont l'expulsion était prévue le 31 janvier après un préavis de 3 mois, s'y est finalement opposé et n'a pas quitté les lieux. Elle nous dit avoir reçu l'aide d'un avocat et qu'une prolongation de son contrat de bail serait toujours en discussion.

Jacqueline, elle, a eu près de 6 mois de préavis et devait quitter l'immeuble en mai prochain. À 92 ans, elle appréhendait l'avenir avec beaucoup d'angoisse, disant chercher à contre-coeur une place dans une maison de retraite. Elle vient de nous apprendre qu'elle a finalement trouvé ce qu'elle cherchait, "un appartement de 54m2 dans une maison de retraite que je connaissais déjà. Je pourrai emménager au 1er avril, et ce n'est pas un poisson d'avril" rit-elle. "Mais ça reste un terrible choc. C'est beaucoup de stress de préparer ce déménagement, je suis très fatiguée. Toutes ces démarches, les banques, etc., c'est usant".

Cette femme, encore très vive et autonome, dit regretter d'en arriver là, et aurait aimé rester encore dans cet immeuble où elle a vécu près de 50 ans : "C'est sûr que la maison de retraite, ce ne sera pas comme notre immeuble avec mes voisines avec qui je m'entendais si bien. Il y avait une vraie ambiance familiale, et ça, ça va beaucoup me manquer. Ça me rend triste d'avoir trouvé une place pendant que Tekla galère toujours. J'espère voir encore mes anciennes voisines quand je serai là-bas".

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