Le Luxembourg a ouvert un débat sur la réforme des retraites. Celui-ci durera plusieurs mois. On vous explique de quoi il retourne et ce que ça pourrait changer pour vous.
À l'opposé de la très agitée réforme des retraites en France, le Luxembourg conduit, depuis ce mois d'octobre 2024, un débat sur le système des pensions. Mais contrairement à la France, qui a connu d'importantes mobilisations, les discussions autour de la réforme des retraites se déroulent jusqu'ici dans un calme très... luxembourgeois !
L'enjeu est pourtant immense : le système des pensions pourrait devenir déficitaire d'ici quelques années. Le gouvernement cherche donc une solution pour garantir son financement. On reprend tout ce qu'il faut savoir, point par point.
Pourquoi une réforme des retraites au Luxembourg ?
Les estimations de l'Inspection générale de la sécurité sociale (IGSS) prévoient une dégradation sérieuse des finances du système des retraites.
Encore sous contrôle aujourd'hui, le coût annuel des retraites dépasserait les cotisations des travailleurs à partir de 2027 (selon l'analyse réalisée en 2022 par l'IGSS). Jusqu'à l'épuisement complet de l'immense réserve luxembourgeoise (pourtant garnie de plus de 27 milliards d'euros) dans les années 2040.
La date exacte du dépassement des cotisations par les retraites est toutefois sujette à des changements, notamment du fait de la croissance du marché du travail du Luxembourg (il y a de plus en plus de travailleurs donc plus de cotisations) et des marchés financiers (la réserve pour les retraites sert à investir et produit un rendement, ce qui augmente son solde).

Martine Deprez a la lourde tâche de conduire le débat sur la réforme des retraites. / © Ministère de la Sécurité sociale
Qui sera concerné ?
Tous les salariés du secteur privé au Luxembourg. Qu'ils soient résidents du Grand-Duché ou frontaliers. Et bien évidemment, les retraités, dont la pension est aujourd'hui calculée selon le nombre d'années de cotisations et le montant des revenus perçus au cours de ces années.
À cette heure, le débat est ciblé sur le régime général, mais exclut les régimes spéciaux des emplois publics.
Quelles sont les propositions jusqu'ici ?

© RTL
Pour financer le système à long terme, plusieurs pistes ont été évoquées. Rallonger la durée d'une carrière par exemple. Notamment en freinant les départs anticipés, pour rapprocher l'âge effectif de la retraite de 65 ans, âge légal au Luxembourg. La question des cotisations est également sur la table : puisque les 24% actuellement appliqués ne suffiraient plus, une des solutions envisagées est de passer ces cotisations (payées par le salarié, son employeur et l'État) à 27%.
Modifier le calcul des pensions fait également partie des solutions envisageables (ce dernier étant composé d'une part forfaitaire, appliquée à tous, et d'une part variable, qui dépend du niveau de salaire). Sur ce point, de nombreuses adaptations très techniques sont possibles, avec pour résultat une baisse des prestations pour tout ou une partie des actifs.
Il est également possible que le Luxembourg encourage les futurs retraités à miser davantage sur les 2e et 3e piliers du système de pensions. C'est-à-dire ceux reposant sur l'employeur et les cotisations privées. D'autres mesures plus techniques, notamment sur l'utilisation des cotisations pour financer certaines tâches administratives, sont évoquées.
À ce stade, rien n'est tranché du côté du gouvernement, qui promet de ne fermer "aucune porte". Difficile donc de prévoir l'issue des débats.
Comment va se dérouler le débat ?
Le ministère de la Sécurité sociale va mener une longue série de consultations avec les syndicats, le patronat, ainsi que plusieurs organes économiques du pays. Mais le débat ne se déroule pas dans le cadre d'une tripartite (gouvernement-patronat-syndicats) et les rencontres ont lieu séparément.
Une plateforme a été ouverte pour permettre aux travailleurs de réagir (plus de 2.000 suggestions ont été déposées au 1er décembre, date de la clôture de la plateforme). Et un questionnaire viendra compléter les avis déjà récoltés dans le courant de l'année 2025. "À la fin de la consultation, les résultats de toutes les discussions – avec les parties prenantes et le public – seront analysés par trois groupes d’experts qui seront désignés en fonction des sujets précis définis à l’issue de la phase de consultation" détaille le ministère de Martine Deprez.
Un rapport final doit être présenté au printemps 2025. Avant que les partis ne discutent de la suite plus tard. À long terme, c'est le projet de loi qui dessinera, enfin, le cœur de la réforme.
Patrons / syndicats : un désaccord total sur la réforme
Dans le courant de l'été 2024, les représentants des salariés et ceux des employeurs ne sont pas parvenus à une position commune. Un euphémisme à la lecture de leurs avis déposés au Conseil économique et social concernant la situation du régime général de pension.

L'OGBL et le LCGB, soutenus par la Chambre des salariés, souhaitent augmenter les recettes du système de retraite et augmenter les prestations versées aux travailleurs. / © RTL
Les syndicats et la Chambre des salariés ont identifié un impératif : ne pas baisser le montant des retraites. Ils listent plusieurs mesures à protéger. Dont l'allocation de fin d'année des retraités et le réajustement aux salaires réels (les pensions évoluent en fonction de l'index ET en fonction des salaires réels). Au-delà de cette ligne rouge, ils souhaitent une revalorisation des petites retraites, notamment en créant un crédit d'impôt "pension minimum".
Pour appuyer leurs propos, ils assurent que les prévisions de l'IGSS sont "incertaines" et "trop pessimistes". Puisque le Luxembourg possède un matelas de sécurité important (quatre années de cotisations environ), ils suggèrent de faire un état des lieux réguliers de la situation plutôt que de mener une grande réforme alors que l'épuisement de la réserve des pensions est encore lointain. L'autre priorité étant l'augmentation des recettes pour alimenter le système. Notamment via :
- la suppression du plafond de cotisations, aujourd'hui fixé à 5x le salaire social minimum, sans modifier la pension maximale (donc les gros salaires contribueraient davantage),
- et surtout, par une hausse des cotisations (de 8% à 9% pour les salariés, l'employeur et l'État), soit 27% au total contre les 24% actuellement appliqués. Une mesure "économiquement complètement acceptable" selon eux puisque les dépenses sociales du Luxembourg sont parmi les plus faibles, argumentent-ils,
- ils proposent également de ne plus inclure les frais de fonctionnement de la CNAP dans les dépenses couvertes par les cotisations des travailleurs,
- la réintroduction d'un impôt sur la fortune
- une contribution solidarité de 1,4% appliquée aux trois financeurs du système, à savoir l'employé, l'employeur et l'État.

Michel Reckinger est président de l'UEL, qui représente les entreprises du Luxembourg. / © François Aulner / RTL
Le patronat axe lui ses arguments sur la réduction des dépenses d'un système qui "n'est pas durable" car reposant principalement sur la forte croissance du Luxembourg: "il convient d’agir maintenant pour ne pas devoir le réformer brutalement dans 15-20 ans" prévient-il dans son rapport de l'été 2024.
Tout en encourageant à maintenir le taux de cotisation actuel (l'employeur cotise à hauteur de 8%, tout comme le salarié et l'État), les patrons ont listé plusieurs pistes limitant les dépenses, donc le montant des pensions, en commençant par les plus élevées. Ils citent notamment :
- la baisse du taux de majoration proportionnelle (la part variable du système de retraite luxembourgeois) et une hausse du taux forfaitaire (la part fixe accordée à tous les travailleurs),
- la baisse du plafond cotisable sur les salaires (donc la baisse des prestations versées à la retraite, notamment pour les mieux lotis, car le système "ne doit pas être tel qu’il permette d’offrir des niveaux de pensions trop élevés"),
- la suppression de l'allocation de fin d'année (elle peut atteindre jusqu'à 958,92€ maximum en 2024),
- la suppression des périodes complémentaires (années d'études, baby years, achat rétroactif d'années...),
- si besoin, la mise en pause partielle ou totale du réajustement des pensions sur les salaires réels (sans toutefois remettre en cause l'index, qui est lui basé sur le coût de la vie),
- la limitation des départs anticipés en retraite (de 57 et 60 ans aujourd'hui à 59 et 62 ans) en encourageant les travailleurs à allonger leur carrière (sans changer l'âge légal de 65 ans et la durée de cotisation de 40 ans). Une mesure à coupler avec un changement du calcul des pensions selon le patronat,
- le retrait des dépenses non-relatives aux pensions dans les dépenses de la CNAP.
D'autres organes économiques du pays, comme la Chambre de commerce ou la Chambre des métiers, ont des avis proches et suggèrent de limiter les dépenses du système, et de repousser l'âge de départ effectif à la retraite, plutôt que d'augmenter ses recettes par une hausse des cotisations. Le débat, et a fortiori l'avenir des retraites luxembourgeoises, va donc être marqué par deux visions très opposées.
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