“Glandeurs de m...”, “arrêtez de faire c... les gens qui bossent”, et autres noms d’oiseaux et gestes d’insultes bien sentis : certains automobilistes réagissent sans filtre au moment de croiser les manifestants et de foncer vers le Luxembourg. Des manifestants qui, ce jeudi 21 mars, étaient en effet occupés à “freiner” la circulation à l’entrée de la voie rapide reliant Audun-le-Tiche (France) à Belval (Luxembourg).
Axe majeur de la circulation, souvent congestionné aux heures de pointe, l’entrée de la liaison Micheville était encore plus saturée qu’à l’ordinaire, dans une ambiance plutôt tendue. Car comme annoncé, le comité de défense et d’initiative des frontaliers du Luxembourg (CDIFL) a lancé ce matin une action de protestation contre la prétendue “double imposition” des frontaliers qui devrait se concrétiser cette année. La mesure fiscale jugée injuste devrait impacter les résidents frontaliers qui ont des revenus mixtes (à la fois en France et au Luxembourg).
Il était initialement prévu de bloquer l’accès à la liaison Micheville dès 5h30, mais “les autorités nous l’ont interdit. Donc on s’est adapté. On est présent, on ralentit la circulation, on fait des aller-retours sur les passages piétons. Voilà, c’est tout. Bien entendu, il y a les éternels râleurs, mais on a plus de retours positifs que de râleurs, car les gens savent qu’on fait ça pour les défendre” assure Philippe Manenti, le président du CDIFL. Pourquoi avoir choisi le blocage d’un axe déjà très saturé ? “Parce qu’en France, c’est la seule façon d’être entendu. Si vous ne battez pas le pavé, vous n’êtes pas écouté. Donc voilà, on est obligé d’en arriver là”.
“La principale raison de notre présence est l’application de la convention fiscale dès 2024. Ce n’est pas choquant de payer des impôts, mais se faire plumer, ça, c’est choquant” clame le militant, qui rappelle que “cette convention avait déjà été appliquée en 2021. Et quand les avis d’impositions sont sortis en août et septembre, ca a été un tôlé vu le montant financier réclamé aux frontaliers. Donc le gouvernement avait reculé et diligenté une étude d’impact. En 2023, toujours pas d’étude d’impact, et on nous annonce que c’est la dernière année de sursis, et qu’on appliquera la convention pour l’année fiscale 2024. Donc on réclame qu’ils continuent de suspendre l’application tant que cette étude n’est pas faite.”
Mais que risquent, concrètement, les frontaliers concernés ? “Chaque cas est individuel, mais en 2021, on a eu des 800, 1.000, 3.500 euros de hausse d’impôts ! Donc on est en train de matraquer les frontaliers, on les stigmatise. On est des vaches à lait, stop, il faut que ça s’arrête”.
Autre sujet d’inquiétude, la menace d’une réduction des indemnités chômage pour les frontaliers français du Luxembourg. Pour rappel, en novembre dernier, on apprenait la nouvelle d’une indemnisation chômage revue à la baisse de manière drastique. En clair, l’idée était d’indemniser les frontaliers sur la base du salaire moyen français et non sur la base du salaire réellement perçu. Pour les chômeurs qui avaient travaillé et cotisé au Luxembourg, où les salaires sont généralement bien plus élevé, la pilule était forcément difficile à avaler. Mais en décembre, la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a finalement pris la décision de ne pas appliquer cette mesure.
“Mais cette ministre a fait des déclarations récemment qui ne vont pas dans ce sens, donc il faut rester vigilant. On a un manque de coopération transfrontalière. On est en Europe, on nous chante l’Europe à longueur de journée, mais c’est une vaste fumisterie, deux pays fondateurs comme la France et le Luxembourg ne sont pas capables de se mettre autour d’une table et de régler ce problème du chômage, en disant ok, on va trouver un consensus, par exemple en augmentant le nombre de mensualités chômages que le Luxembourg rembourse à la France ?”
Un manque de coopération transfrontalière pointé par Ingrid Joliat, adjointe à la mairie d’Audun le Tiche. “De nombreux élus se battent férocement pour une meilleure coopération frontalière, à différents niveaux, que ca soit la rétrocession fiscale, mais aussi au niveau des infrastructures, car la France ne peut pas supporter tous les frais en terme d’infrastructures nécessaire au transport des frontaliers salariés au Luxembourg. On a besoin de plus de parking de ce côté de la frontière, et l’entretien des routes coûte aussi extrêmement cher, et malheureusement nous n’en avons pas le bénéfice premier et le Luxembourg devra aussi en supporter les frais, alors que ce n’est pas le cas actuellement.”
“Ce n’est pas une double imposition” affirme un élu thionvillois
Il existerait “depuis des décennies une injustice fiscale importante entre les ménages dont l’un travaille au Luxembourg et l’autre en France et les ménages où les deux travaillent en France” affirme Lucas Grandjean, conseiller municipal de Thionville. Dans un communiqué, il explique en effet que :

Comme l’association CDIFL, il juge en revanche anormal “le blocage par Bercy de l’étude d’impact réclamée de longue date sur les conséquences de cette mise aux normes fiscales”. “Si l’entrée en vigueur de la convention fiscale est obligatoire et ne pourra être annulée, l’argent qui entrera en “supplément” dans les caisses de l’Etat doit a minima servir à financer des solutions à destination des ménages touchés, par exemple dans les crèches”.
À lire également:
Double imposition : “Les frontaliers vont se faire massacrer”