
Le premier élément, c ‘est le système électoral en France où on a le scrutin majoritaire a deux tours. Parce que ça favorise la domination des grands partis, et pour qu’ un “petit parti” puisse arriver aux responsabilités et obtenir un mandat, il faut qu’ il gagne deux fois. Une première fois au premier tour, il doit avoir plus de 12,5% des voix. Et au second tour, il faut plus de 50 % des voix pour être élu. C’est un peu l’âme de la Constitution française.
Ce système a été mis en place pour contrecarrer le système de la proportionnelle mis en place lors de la Quatrième République, au soir de la Seconde Guerre mondiale, en 1946. Il y avait alors une instabilité gouvernementale incroyable. En moyenne, les cabinets ministériels restaient en place environ six mois. Tellement il était facile pour le Parlement, très hétérogène, de renverser le gouvernement et les ministres en place.
Pour contrecarrer ça, on s’ est doté d’ une nouvelle constitution en 1958. Donc, on s’ est un peu détaché de ce parlementarisme effréné. Le système est devenu plus marqué par le présidentialisme. C’est la fameuse Cinquième République.
Lors de la Cinquième République, on avait ce qu’ on appelle la bipolarisation du système politique: droite-gauche. On a eu les communistes, les gaullistes. On a eu le RPR, les socialistes. On a eu l’ UMP, le parti socialiste. On avait en France, soit un camp aux responsabilités, soit un autre. Et au Parlement généralement, ça s ‘est toujours retranscrit.
Même si on avait toujours un décalage entre les élections présidentielles et les élections législatives. Ce qui a été corrigé en 2000, donc on n’a plus eu ce problème. Avant 2000 on a eu plus de cohabitations parce qu’il y avait ce décalage de deux ans entre les élections, puisque le mandat du président était de sept ans et le mandat du député était de cinq ans, donc mathématiquement il y avait toujours un décalage.

Oui, en 2017 a eu le parti d’ Emmanuel Macron, la République en marche, qui a dit: “moi je suis ni droite, ni gauche”. Une promesse électoraliste, parce qu’on s’est rendu compte qu’il était un peu plus proche d’un camp, qu’un autre. Mais on a eu ça, plus la montée des extrêmes. De sorte qu’il y a eu une parcellisation de l’espace politique.
Maintenant il y a trois blocs qui sont complètement différents. À la fois sur le champ des idées, sur leur manière de faire de la politique, sur leur méthode et sur leur pratique. Et donc quand on a trois blocs, mathématiquement, on est plus à même de devoir faire une coalition.
En France, on n’est pas enclin à faire usage de la coalition. Mais là, force est de constater qu’on est obligé. Parce que de toute façon aucun bloc n’a de majorité. Et aucun bloc n ‘est réconciliable, entre guillemets, avec un autre bloc pour avoir une majorité. Donc on est obligé de prendre des morceaux à droite à gauche, de faire des coalitions pour avoir une majorité. Ou alors on a une paralysie politique.
Ce qui rend aussi parfois la coalition compliquée, c ‘est aussi la politique, c ‘est aussi la fierté, c ‘est aussi une question de sentiment. Et je pense que ça fait beaucoup. C’est un peu cet égoïsme politique qu’ on connaît tous. Et cette incapacité d’aligner les politiques et les programmes ensemble.
C’est une question assez difficile. Il faut considérer qu’ il y a l’avant et l’après législatives. Au soir de la dissolution, on peut dire qu’il y a eu une coalition à gauche. Pour ça, il faut un alignement politique. Il faut un programme commun, c’est ce que la gauche a essayé de faire d’ailleurs. Et il faut une certaine forme de leadership. Ça peut être un Homme, mais aussi plusieurs personnes. Ce qui peut être aussi un moteur de coalition: c’est l’ennemi commun, c’est ce qu’on a vu. C’est faire barrage au Rassemblement national, parce qu’on est opposé sur le plan des idées.
Mais après les législatives, comment forme-t-on la coalition? C’est la question qui nous interroge le plus, maintenant. Il doit y avoir l’élément, pour moi, central: le compromis. On est obligé de lâcher quelque chose, d’accepter quelque chose de l’autre. C’est l’ échange. On dit: “Moi, je prends ça, je laisse ça, je raye ça de mon programme et je prends ça du tien”. On est obligé. Il ne peut pas y avoir d’ autre manière de fonctionner.
Et surtout, c’est le changement de pratique et de méthode. Parce qu’ on est obligé de réapprendre à faire de la politique sur base d’un parlementarisme renforcé. C’est le vrai rôle du Parlement: l’échange, la confrontation des idées, le travail ensemble. Et cette approche consensuelle, en fait c’est ça qui paraît difficile à imaginer dans la situation dans laquelle on se trouve en France. Parce qu’on se dit que ce sont des blocs qui, sur certains sujets, ont tellement paru éloignés les uns des autres, qu’ils sont irréconciliables. Mais je pense que le travail ensemble est possible. C’est le principe de la coalition.
En Allemagne, les exemples sont nombreux. Les partis ont, de base, cette pratique de l’approche consensuelle. C’est un gros avantage qu’on n’a pas en France. Si on commence en ce mois de juillet 2024 à le faire, c’est quelque chose qu’on va devoir apprendre. Il faut être parfaitement honnête sur ça. Mais comme la France est un état extrêmement centralisé, il y a une marche qui est assez haute entre l’échelle régionale et l’échelle nationale.
Je pense que l’exemple allemand est peut être plus approprié. Au Luxembourg, on a aussi cet accord de coalition. Mais en Allemagne, l’accord de coalition, c’est un document central qui définit la politique qui va être menée, mais en fonction des disparités qui peuvent exister, en fonction des identités de chacun, et en fonction de l’âme politique de chaque acteur qui compose la majorité en coalition.
En France, on pourrait s’inspirer de ce type de document. Parce que le document, c’est l’outil, c’est le papier, mais tout ce qu’il y a autour. C’est-à-dire comment écrire un document, se mettre ensemble, cette approche consensuelle, c ‘est le compromis. L’exemple allemand, du point de vue de l’ étendue parlementaire et de la diversité politique est plus approprié. Même si au Luxembourg on est en train de rajouter des couleurs à l’arc en ciel politique.
Sans programme, il n’ y a pas de ligne directrice politique, il n’ y a pas de boussole idéologique. Je pense qu’il y a un risque d’instabilité gouvernementale et de blocages législatifs. C’est-à-dire qu’on peut avoir un gouvernement qui reste en place, mais qui ne fait rien. Ou alors on peut avoir un gouvernement qui tente de faire quelque chose, mais qui se fait renverser.

C’est aussi la particularité: comme on a trois blocs, on peut pas imaginer qu’ils s’associent pour arriver au pouvoir. Mais on peut très bien imaginer que des blocs s’ associent pour en renverser un qui ne convient pas. Si Macron décide de nommer un premier ministre venant des Républicains et qu’ il essaye de traficoter une sorte de majorité, sans prendre en considération les résultats électoraux, on peut très bien imaginer que le RN et le bloc de gauche disent ça suffit! S’en suivra une motion de censure contre le gouvernement, et c’ est reparti.
La situation que vit la France est unique dans l’histoire de la Cinquième République, car tous les cas de cohabitation sont intervenus après des législatives où l’opposition avait obtenu une majorité absolue.
Il faut rappeler qu’Emmanuel Macron, même si l’habitude républicaine veut qu’il nomme quelqu’un du bloc arrivé en tête, mais comme personne n’est jamais arrivé en tête de cette manière-là, donc avec trois blocs à peu près équivalents, il peut quand même nommer qui il veut. Il n’y a aucune obligation en ce qui concerne les délais et en ce qui concerne même le principe de nomination.
Selon moi, il est dans la continuité. Il a été élu pour un mandat. Il est arrivé aux responsabilités, au suffrage universel. Je pense qu’ il respecte de ce point de vue là les principes de la Constitution et le mandat qui lui a été confié. Même si certains estiment qu’il se cache derrière tout ça parce et qu’ il n’a plus de légitimité politique, sur le papier, il est élu et il mène à terme son mandat.

Je ne pense pas. Observant le caractère d’Emmanuel Macron et connaissant un peu son isolement en France, je ne pense pas qu’il sera amené à démissionner et qu’il va même envisager la démission.
Il a posé une question aux Français en actant la dissolution. C’ est: “est ce que vous voulez voir le Rassemblement national, qui arrive premier aux européennes, avoir une majorité absolue à l’ Assemblée nationale et former un gouvernement et mener la politique de la France? La réponse a été non.
Mais il a mis le désordre sur d ‘autres champs qui en amènent à des questions. Et la prochaine question, est: qui pour remplacer cette majorité qui n ‘est pas arrivée pour le Rassemblement national?
Oui, mais très très difficilement et je pense que c ‘est même quasiment mission impossible. Soit il peut l’être, par exemple, pour haute trahison. Soit par la procédure de destitution.
Pour cela, il faut qu’ il y ait un vote avec une majorité qualifiée à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il faut que deux tiers des parlementaires soit pour la destitution. Si c’ est le cas, il passe devant la Haute Cour de justice qui, elle, examine le cas et rend un avis. Ce n’est jamais arrivé dans l ‘histoire. Et en plus, on est à trois ans de la prochaine présidentielle et pas en début de mandat.
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