Pédocriminalité au LuxembourgL'évaluation du Service central d'assistance sociale remise en question

RTL Infos
Une affaire de pédocriminalité suscite l'émoi au Luxembourg depuis des semaines, notamment en raison des longs délais de traitement.
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L’Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher (en abrégé, OKaJu, le médiateur pour les enfants et les adolescents), Charel Schmit, appelle à une discussion sur le concept d’"intérêt supérieur de l’enfant”, étant donné qu‘un cas récent très controversé de pédocriminalité a montré que toutes les autorités en charge de la protection de la jeunesse ne parlent pas le même langage. Dans ce cas précis, le Scas, le Service central d’assistance sociale, est arrivé à la conclusion que la victime et l’agresseur, c’est-à-dire la fille et le père, pouvaient rester sous le même toit, car il n’y avait aucun danger immédiat pour la victime. Le fait que la victime et l’agresseur vivent toujours ensemble a suscité de nombreuses critiques de la part des organisations de protection des victimes, qui se demandent si le Scas a mené une enquête.

Charel Schmit dit à ce propos: “Qu’un enfant ou un adolescent doive vivre sous le même toit qu’un pédocriminel est quelque chose d’inimaginable. Et je ne peux pas comprendre comment on peut arriver à une telle conclusion. En matière de protection de l’enfance, le principe de précaution doit toujours prévaloir sur d’autres considérations.”

Il pense que toutes les autorités compétentes ne parlent plus le même langage en matière de protection de l’"intérêt supérieur de l’enfant”, auquel le Luxembourg est tenu par des conventions internationales et indique donc: “Je pense évidemment que le pouvoir judiciaire est également tenu d’expliquer de manière transparente les méthodes qu’il utilise pour parvenir à de telles conclusions, pas dans ce cas individuel sur la place publique, mais d’expliquer et de démontrer au milieu concerné quels sont ses outils pour parvenir à de telles conclusions.”

David Lentz, Procureur d’Etat adjoint, peut comprendre les critiques car ceux qui les expriment n’ont pas accès au dossier spécifique. Mais il souligne que le système judiciaire luxembourgeois est déjà largement critiqué pour son approche relativement intrusive envers les familles et pour imposer des mesures de garde provisoire: “Il est dit que notre taux est plus élevé qu’à l’étranger. Si nous avons déjà cette approche, il aurait été non seulement logique de décider dans ce cas-ci aussi cette interdiction de contact ou de retirer l’enfant, mais aussi de le faire. Cependant, si nous prenons la décision de faire le contraire, il faut également se demander s’il y a un danger.”

Dans ce cas précis, le Scas a bel et bien mené une enquête, comme l’explique David Lentz: “Ce rapport a également été rédigé immédiatement, le service s’y est directement attelé et la conclusion était relativement claire, sans aucune ambiguïté: il n’existait aucun danger à ce moment-là. C’est pourquoi le juge d’instruction a levé l’interdiction de contact. Et il n’y avait aucune raison, sur le plan de la protection de la jeunesse, de prendre des mesures supplémentaires, pour peut-être retirer l’enfant à la famille à ce niveau.”

Directement” signifie dès qu’il a été établi que le suspect dans cette affaire avait non seulement téléchargé du matériel pédopornographique sur Internet, mais qu’il était également lui-même actif, abusant de sa propre fille. C’était début 2023. Ces délais sont aussi vivement critiqués. Le premier signalement a été émis par Europol en 2019, mais n’a donné lieu à une perquisition que dix mois plus tard. David Lentz est d’accord sur le fait que ces délais sont longs. Mais il indique que ces signalements ne sont pas suffisamment concrets pour qu’une perquisition puisse être déjà menée sur cette base: “Il peut s’agir, par exemple, d’une carte de crédit, il peut s’agir d’un numéro de téléphone, d’une adresse mail. Il peut s’agir de beaucoup de choses.”

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Si le parquet estime que le signalement est circonstancié, la police contacte les banques, les fournisseurs de téléphonie ou d’accès à l’Internet pour obtenir un nom, puis rédige un rapport au parquet. Ce dernier transmet les informations aux juges d’instruction, qui décident si une perquisition est effectuée ou pas. C’est la procédure normale.

Mais en plus, dans ce cas, comme l’explique David Lentz: “A l’époque, nous avons reçu énormément de matériel et cela a conduit à l’identification de 46 personnes. Cela signifie que la démarche décrite plus haut a été menée 46 fois et que 46 dossiers ont été transmis aux juges d’instruction pour effectuer des perquisitions.”

Trois à cinq fonctionnaires de police sont nécessaires par perquisition, d’après le Procureur d’Etat adjoint. Ces 46 perquisitions devaient être et ont toutes été effectuées en une semaine, afin qu’aucun suspect n’ait la possibilité de détruire des preuves, si la nouvelle que des perquisitions étaient en cours, s’ébruitait. Mais autant de fonctionnaires n’étaient pas toujours disponibles en pleine pandémie de Covid-19, de sorte que l’opération a effectivement dû être reportée.

Lors des 46 perquisitions, précise David Lentz: “Nous avons trouvé une quantité d’informations de l’ordre du téraoctet. Nous avons trouvé des centaines de milliers de photos, de vidéos, etc., et elles ont toutes du être analysées” . Au moment des perquisitions, on ignorait que le suspect dans ce cas précis, avait non seulement téléchargé des images sur Internet, mais avait également créé du matériel et abusé de sa propre fille.

Comment les policiers qui analysent les images se rendent-ils compte qu’ils n’ont pas seulement devant eux du matériel téléchargé sur Internet?

“Par exemple, s’il y a une bouteille de bière luxembourgeoise à l’arrière-plan, on peut chercher à l’identifier”, selon David Lentz. “C’est seulement à partir de ce moment, où nous trouvons quelque-chose de tel, que nous savons qu’il y a plus derrière.”

L’analyse s’est achevée début 2023. Le suspect a alors été inculpé et placé sous contrôle judiciaire. Il a surtout été frappé d’une interdiction de contact avec sa fille. Le Scas a lancé son enquête, qui est arrivée à la conclusion, qu’il n’existait pas à ce moment-là de risque grave de nouveaux abus. Cette conclusion que l’OKaJu et des organisations de protection des victimes remettent en question. En tout cas, sur base de cette évaluation, l’interdiction de contact a été levée.

David Lentz ajoute: “S’il n’y a pas de danger et qu’ils arrivent à cette conclusion. Je ne vois pas de quel cadre légal je dispose pour retirer un enfant d’une famille. Et deuxièmement, d’un point de vue humain: si des spécialistes qui font uniquement cela, radiographient des familles du point de vue social, s’ils arrivent à la conclusion qu’il n’y a momentanément aucun danger, vous pouvez surveiller cela un peu, mais il n’y a aucune raison de punir l’enfant et il n’y a personne qui le demande; qui suis-je en tant qu’être humain pour décider que là, les gens doivent être séparés.”

En mars, l’homme a été condamné à 13 ans de prison, dont huit avec sursis. Il a fait appel de ce jugement, qui n’est donc pas définitif.

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