Deux lectrices de RTL Infos nous ont écrit pour dénoncer les ravages de la drogue à Luxembourg Ville. L'une d'elle, qui est née dans le quartier Gare, évoque "un sentiment d’impunité totale qui se propage dans le quartier, comme un cancer". L'autre lectrice, qui habite non loin de là, angoisse de vivre "dans un environnement devenu hostile, sans aucune garantie de sécurité."

"Les dealers sont là tous les jours, de 9h à 22h, en bas de chez nous" : il y a quelques jours, un couple habitant au quartier Gare à Luxembourg racontait à RTL Infos son quotidien face aux dealers et aux squatteurs de hall d'immeuble.

Un article qui a suscité de nombreuses réactions. Nous avons choisi de publier les textes envoyés par Sandra* et Julie* (*: prénoms modifiés), deux résidentes de la capitale qui partagent leur inquiétude et leur colère.

Sandra :  "Jamais, même adolescente, je n’ai ressenti la tension que l’on éprouve aujourd’hui dans le quartier"

"Il n’est un secret pour personne que le quartier de la Gare fait face à de nombreux problèmes : deals en pleine rue et en plein jour, vols, violences… Un article récent, recueillant les témoignages de riverains, a levé le voile sur ce que signifie vraiment vivre ici" nous écrit Sandra.

"En tant que résidente de ce quartier, je le connais bien. J'y ai grandi et ma famille y vit depuis les années 70. Même si le quartier n'a jamais eu la meilleure réputation, j'en garde de beaux souvenirs d'enfance, comme quand je faisais du vélo rue de Strasbourg, une activité qui paraît peu envisageable pour de nombreux parents aujourd'hui. Bien que la drogue ait toujours été un problème dans le quartier, elle restait plus discrète, pour le meilleur ou pour le pire. Je me souviens de toxicomanes qui se cachaient dans des recoins discrets ou détournaient le regard lorsque des enfants passaient. Aujourd’hui, la situation a changé : au lieu de chercher des endroits cachés, ils se retrouvent désormais aux entrées des bâtiments. Peut-être que ma mémoire me joue des tours, mais jamais, même adolescente, je n’ai ressenti la tension que l’on éprouve aujourd’hui dans le quartier. Ce que cela montre, c’est que ce problème dure depuis plusieurs décennies, bien plus longtemps qu’on ne le pense, et il est profondément affligeant de constater qu’on a laissé cette situation perdurer aussi longtemps."

"Les habitants de mon immeuble sont quotidiennement confrontés à des incivilités et à des trafics qui se déroulent juste devant notre porte. Ce phénomène est relativement récent, d'ailleurs. Depuis le début des travaux rue de Strasbourg, les problèmes ont été délocalisés vers les rues avoisinantes. Une dégradation qui s'accélère à vue d'œil, en somme. On a le sentiment qu'un effort superficiel a été fait pour "embellir" la situation – un simple coup de peinture sur un mur vétuste, pour dissimuler ses fissures."

"Néanmoins, pendant un certain temps, cette cohabitation forcée est restée relativement pacifique. Mais tout a changé le jour où nous nous sommes fait voler ... juste devant notre porte d’entrée.S’en sont suivies une plainte à la police, une enquête ouverte, des empreintes digitales relevées, des photos du malfaiteur… puis, plus rien. Silence. Inaction. Une passivité qui laisse un goût amer."

"Pourtant, à en croire certains discours politiques, la situation à la Gare se serait améliorée : extension de Vigipol, patrouilles plus fréquentes, dispositifs renforcés… Mais sur le terrain, la réalité est tout autre. Le même individu qui nous a volé s’assoit, mange, et deale encore aujourd’hui devant chez nous - en toute impunité."

"Lors de notre appel à la police, nous avons été confrontés à un manque d’empathie flagrant. Quand j’ai demandé, en toute sincérité, pourquoi la situation dans le quartier s’était autant dégradée - moi qui y ai grandi, et qui y vis depuis des années - le policier m’a répondu, sur un ton froid et agressif : 
« C’était comme ça il y a dix ans, ce sera pareil quand je mourrai. Il n’y a rien à faire dans ce quartier pourri. Si on choisit de vivre ici, il faut s’y habituer. Point. » 
Comment ne pas se sentir abandonné après avoir entendu cela ?"

"Cela soulève une question plus large : la police serait-elle elle-même désarmée, impuissante à agir à cause de décisions prises bien plus haut ? Est-ce qu’elle aussi, au fond, se sent abandonnée ?  
Soyons clairs : je n’accuse pas les policiers. Je mesure la difficulté de leur métier, et je respecte leur engagement. Mais du point de vue des habitants - et je parle au nom de tous mes voisins - quelque chose ne va pas. Quelque chose doit changer car la colère monte. On parle déjà de milice… 
Certains, qui vivent ici depuis bien plus longtemps que moi, affirment sans détour qu’à force d’appels, même pour des situations graves, la police finit par ne plus répondre. Et quand on demande aux victimes si des suites ont été données, si une procédure a été enclenchée, la réponse est presque toujours la même : non. Nous en avons nous-même fait l’expérience alors que toutes les preuves sont là."

"Il n’y a pas de répercussions légales. Les forces de l’ordre connaissent pourtant les noms (oui, je dis bien les noms) de ces malfaiteurs, ainsi que leurs visages et leurs habitudes. Et pourtant, rien ne bouge. Même les dealers le savent. Ils n’ont plus peur. Quand j’ai demandé à l’un d’eux de s’éloigner de notre entrée, lui rappelant qu’il y avait des caméras, il m’a répondu : « Je m’en bats complètement. »"

"Ces mots résument parfaitement l’état d’esprit ambiant - un sentiment d’impunité totale qui se propage dans le quartier comme un cancer. Une question se pose alors : le quartier gare est-il devenu une zone de non-droit ? Que la réponse soit oui ou non, il est grand temps d’agir et de ne plus fermer les yeux face à cette situation qui risque de dégénérer" prévient-elle. 

Julie : "Nous avons le sentiment de ne plus être protégés, ni par la commune, ni par la police"

"La situation décrite dans votre article sur le trafic de drogue à la gare ne se limite pas à ce seul lieu : elle sévit maintenant également dans notre quartier Hollerich, Pont Adolphe, parc de la Pétrusse, place d'Hamilius, Bonnevoie" nous écrit Julie.

"Je suis absolument consternée par la situation des drogués/dealers au Luxembourg de manière générale, mais également par la situation dans notre quartier, où mon compagnon et moi vivons depuis presque 5 ans, rue de la Vallée, soit à quelques pas du siège de la BIL, de plusieurs sociétés, et à proximité immédiate du Geeseknäpchen et du parc pour enfants de la Pétrusse."

"En cinq ans, la dégradation de notre rue est devenue catastrophique: il n'y a pas une seule journée sans que nous ne soyons confrontés à des scènes de drogue, de violence, et/ou de délinquance. Au bout de notre rue, nous avons un véritable repère de dealers. Mais ce n’est pas tout. À quelques mètres du point de vente, également dans notre rue, un campement de drogués s'est installé depuis plusieurs mois maintenant."

"Ces individus errent ensuite dans la rue, drogués, jetant des déchets, volant, squattant, dégradant et même se droguant dans le parc d'enfants de la Pétrusse à côté. Sans parler des déjections humaines que nous retrouvons devant nos portes (littéralement) ou dans la rue."

"Depuis plusieurs mois, la situation ne fait qu'empirer: Les vols, les dégradations, et les actes de vandalisme sont désormais quasi quotidiens dans notre résidence. La rue est devenue comme une zone de non-droit, malgré la situation proche des parcs et d'écoles d'enfants, et malgré les jeunes familles installées dans toute la rue." 

"La police est à l'écoute, mais n'apporte pas tant de solutions concrètes. Elle nous a mentionné dans un courriel qu'ils avaient comme mission de faire des tournées plus récurrentes dans notre rue (je ne suis pas sûre que ceci soit effectivement le cas), qu'il y a eu un défrichage de la forêt derrière nos bâtiments "pour la rendre moins intéressante pour les dealers de drogue, les consommateurs de drogue et les prostituées" (mots utilisés par la police dans un email)".

En clair, "ils ont fait abattre une cinquantaines d'arbres devant chez nous, mais cela n’a eu pour effet que d'attirer encore plus de dealers et de consommateurs. La recherche et le saccage de plantations à la recherche de drogues est maintenant encore plus visible."

"Aujourd’hui, les autres résidents de la copropriété, mon compagnon et moi-même sommes au bord de l'implosion : Nous vivons dans un environnement devenu hostile, sans aucune garantie de sécurité. Nous avons le sentiment de ne plus être protégés, ni par la commune, ni par la police, et de devoir cohabiter avec une criminalité que personne ne semble vouloir arrêter."

"Je vous écris donc non seulement pour partager mon témoignage, mais aussi pour exprimer ma colère face à une situation qui semble être ignorée par ceux qui sont censés assurer notre sécurité et notre qualité de vie. J'aime mon pays, mais il est plus que temps que les autorités prennent des mesures concrètes et efficaces, avant que la situation ne devienne totalement ingérable" conclut elle.

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