L'analyse des eaux usées de la capitale révèle la présence significative de drogues. RTL Infos est allé à la rencontre des scientifiques du Laboratoire National de Santé qui traquent ces substances illicites.
Les égouts des grandes villes recèlent des mystères. Et leur analyse peut révéler bien des secrets. Pendant la crise covid, le Laboratoire National de Santé et le LIST (Luxembourg Institute of Science and Technology) traquaient le virus en analysant les eaux usées.
La même méthode est utilisée pour rechercher des traces de drogue dans les égouts et offre une photographie assez fidèle de la consommation de cocaïne, d'ecstasy ou de cannabis dans une ville. Au LNS, le Laboratoire National de Santé, une équipe de 12 personnes, sous la direction de Serge Schneider, recherche les traces de huit drogues illicites.
Ça répond à une demande de la Direction de la Santé qui voulait évaluer l'impact de la légalisation du cannabis au Luxembourg. Et quitte à rechercher des traces de drogues, autant s'intéresser aux huit substances les plus communément consommées en Europe. (Cannabis, Cocaïne, Amphétamine, Héroïne, Méthamphétamine (Crystal Meth), Kétamine, Méphédrone ou encore Ecstasy.)
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Premier enseignement de ces recherches, la légalisation du cannabis n'a pas entrainé d'augmentation notable de sa consommation. Mais ces tests ont réservé une surprise: le cannabis et la cocaïne sont détectés dans 100% des échantillons testés.
Toute l'Europe est touchée
Aucune grande ville européenne n'échappe à la consommation de drogue. Le LNS participe à une vaste étude menée par l'agence européenne des drogues (EUDA). Les eaux usées de 128 villes européennes ont été analysées. De Växjö en Suède, à Porto ou Zagreb, la présence de drogues illicites est révélée partout. Avec une augmentation des détections dans les eaux usées de résidus d'ecstasy, de cocaïne et d'amphétamine par rapport à 2023, et une diminution de cannabis, selon une étude publiée mi-mars.
Pour Luxembourg-ville, le résultat est... stupéfiant! Près d’un demi-gramme (0,499 g) de cocaïne a été retrouvé dans les eaux usées de 1.000 habitants à Luxembourg. C'est plus qu'à Munich (0,40 g) ou Barcelone (0,35 g). On est, certes, loin de villes comme Anvers (1,99 g), Amsterdam (1.2 g) ou Dublin (0,87 g), mais ces résultats interpellent.
Serge Schneider veut tout de même rester prudent à la lecture de ces résultats. "Certains paramètres sont très difficiles à contrôler comme le nombre d'habitants à l'instant T ou le niveau de précipitations". "Luxembourg est un peu au-dessus de la moyenne européenne pour le cannabis, dans la moyenne pour la cocaïne, légèrement en-dessous pour l'ecstasy et très en dessous pour toutes les autres drogues" précise le responsable du service de chimie analytique du LNS.
L'étude annuelle, qui porte en 2024 "brosse un tableau clair d'un problème de drogue à la fois répandu et complexe. Les six substances de drogue recherchées ayant été détectées dans presque toutes les villes participantes", résume dans Alexis Goosdeel, directeur de l'Agence de l'Union européenne sur les drogues (EUDA), qui a réalisé le projet en association avec le réseau de chercheurs Score (34 organisations à travers le monde).
Des échantillons quotidiens d'eaux usées municipales ont été prélevés dans les zones de captage de stations d'épuration au printemps dernier dans 128 villes de 26 pays (24 de l'Union européenne, Turquie et Norvège). Au Luxembourg, ce sont huit stations d'épuration du pays qui sont testées depuis cette année. Ces échantillons d'eaux usées de quelque 68,8 millions de personnes ont été analysés pour détecter des traces d'amphétamine, de cocaïne, de méthamphétamine, d'ecstasy et son principe actif la MDMA, ainsi que de kétamine et du cannabis.
Pour la cocaïne, la majorité des villes disposant de données pour les deux dernières années ont fait état d'une augmentation. Les analyses indiquent notamment que sa consommation reste la plus élevée dans les villes d'Europe de l'ouest et méridionale, en particulier en Belgique, aux Pays-Bas et en Espagne.
Pour la MDMA, la plupart des villes ont également signalé une hausse des détections entre 2023 et 2024, et les traces de ces substances ont été trouvées le plus massivement dans les eaux usées de localités en Belgique, République Tchèque, Pays-Bas et Portugal. Quant à la kétamine, elle apparaît le plus dans des villes de Belgique, des Pays-Bas, de Hongrie et de Norvège.
L'étude met également en évidence des différences dans les substances les plus couramment détectées dans plusieurs villes d'un même pays, "ce qui peut s'expliquer en partie par les différentes caractéristiques sociales et démographiques des villes (universités, lieux de vie nocturne et répartition de l'âge de la population)".
Plus de drogue le week-end
L'analyse des eaux usées permet par ailleurs de détecter des fluctuations dans les schémas hebdomadaires de consommation. Dans plus de trois quarts des villes, les traces de benzoylecgonine (principale métabolite de la cocaïne), de kétamine et de MDMA dans les eaux usées sont plus élevées pendant le week-end (du vendredi au lundi) qu'en semaine.
En revanche, la consommation d'amphétamine, de cannabis et de méthamphétamine est répartie plus uniformément sur l'ensemble de la semaine. À Luxembourg, la moyenne journalière pour la cocaïne est de 499 milligrammes en semaine et elle grimpe à 586 mg le week-end.
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Comment ça marche ?
Les psychotropes sont rejetés principalement via l’urine des consommateurs dans les égouts. Il est ainsi possible d’en estimer la quantité consommée au sein d’une population raccordée à un réseau d’eaux usées par l’analyse ciblée des substances mères ou de leurs métabolites (composés issus de leur dégradation par l’organisme).
A l’aide d’une technique d’analyse de pointe, la spectrométrie de masse, le service de chimie analytique du LNS est capable d'identifier des drogues présentes à l’échelle du nanogramme par litre. Sachant qu'un nanogramme représente 10 puissance -9 gramme ou un milliardième de gramme!
Ces analyses ne donnent pas d’indication sur la qualité des drogues consommées, ni sur le nombre de consommateurs au Luxembourg, mais seulement sur la quantité totale de drogues consommées. Enfin les concentrations mesurées des drogues dans l’eau sont extrêmement faibles. Elles ne posent pas de problèmes de santé publique lors d’un contact avec les eaux fluviales.