Justice au LuxembourgPourquoi les affaires de pédocriminalité mettent du temps à être jugées

Diana Hoffmann
Un homme a été récemment condamné à 13 ans de prison, dont huit avec sursis, pour attentat à la pudeur, exploitation sexuelle d'enfants, production et diffusion de contenus pédopornographiques ainsi que détention de contenus illégaux. Il aura fallu six ans pour qu'un signalement aboutisse à un jugement dans cette affaire de pédocriminalité. Pourquoi cela a-t-il été si long et surtout qu'en est-il de la protection des victimes? 

La Police Judiciaire, plus précisément la Section protection de la Jeunesse et Infractions à Caractère Sexuel de Luxembourg a reçu le 21 août 2019 un rapport d’Europol, qui suspectait une personnalité du monde théâtral de faits de pédocriminalité. 72 photos à caractère pédopornographique avaient été téléchargées à partir d’un compte qui pouvait être attribué à cet homme. C’est seulement 10 mois plus tard, le 9 juillet 2020 que des perquisitions ont eu lieu au domicile du suspect.

La première question qui se pose est pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour qu’une perquisition soit effectuée. Aucune réponse directe n’a encore pu être trouvée à cette question. Théoriquement, l’auteur aurait pu continuer à commettre d’autres actes répréhensibles. Mais même après la perquisition, au cours de laquelle toute une série de supports de stockage de données, dont 17 disques durs, 16 DVD, trois cartes mémoire et deux téléphones portables, avaient été confisqués, le suspect a continué à vivre sa vie. Chez lui, auprès de sa famille, avec sa fille mineure, qui a aussi été sa victime. Il a également continué à s’engager dans diverses associations du secteur culturel. Ce n’est qu’en mars 2023 que l’épouse et sa fille mineure ont été interrogées sur les faits. L’enquête a été clôturée à l’été 2024. Le verdict de première instance a été prononcé le 27 mars 2025. Le condamné a interjeté appel.

C’est une énorme quantité de données que la police a dû évaluer, plus de 23.000 données, selon le jugement. Parmi elles, des vidéos. “Le fait est que dans ce domaine, tant la Section des Nouvelles Technologies de la Police Judiciaire que celle de la Protection de la Jeunesse ne disposent pas de personnel suffisant pour pouvoir traiter dans un délai plus court les nombreux cas auxquels elles sont confrontées”, indique le parquet interrogé par RTL. Il rappelle en outre que c’était au moment de la pandémie de coronavirus, ce qui n’a pas aidé les choses à aller plus vite.

Des critiques ont notamment été émises par le Théâtre des Casemates, dont l’accusé était membre. Son conseil d’administration a évoqué “une faille dans le système judiciaire, parce que personne n’avait été informé de l’affaire plus tôt. Pendant tout ce temps, l’homme aurait pu être en contact avec des mineurs. Le parquet souligne que le concerné est soumis à un contrôle judiciaire depuis 2023, qui prévoit notamment qu’il ne peut pas être en contact avec des mineurs. Ce qui ne permet pas de clarifier la question du rôle que cela joue auprès de sa fille mineure.

Le parquet a encore ajouté que dans ce cas, une enquête sociale avait été menée par le Service Central d’Assistance Sociale (SCAS). Des contrôles ont donc été effectués auprès de l’homme et sa famille. Le parquet ne précise pas à quels moments ils ont eu lieu. “En vertu de l’article 38 de la loi sur la protection de la jeunesse, nous ne pouvons pas fournir d’informations plus détaillées”.

A la question de savoir si le Théâtre des Casemates ou un éventuel employeur n’aurait pas dû être averti au cas où des tiers pourraient être en danger, le parquet renvoie, entre autres, à la loi sur la protection des données. Mais les autorités judiciaires sont aussi tenues au secret de l’instruction et au principe de la présomption d’innocence. “Dans ce contexte, il serait plus que délicat pour nous, en tant qu’'autorités judiciaires’, de faire abstraction de cela et de divulguer des informations sensibles à des tiers”, indique le parquet par écrit.

Une modification de la loi est en chantier

En ce qui concerne la transmission de telles données, les autorités judiciaires ont actuellement les mains liées. Mais un nouveau projet de loi est en cours d’élaboration, le projet de loi Ju-Cha 7882B. Il figure dans le texte Ju-Cha pour Justice Chaîne Pénale.

Le projet de loi porte sur les conditions dans lesquelles les données pouvant exister dans le système judiciaire peuvent être transmises à une autre personne. “Particulièrement dans des cas de pédocriminalité, lorsqu’il y a suspicion que des enfants soient abusés si quelqu’un travaille avec des enfants ou des adolescents”, explique l’ancienne ministre de la Justice, Sam Tanson (Déi Gréng), qui avait déposé le projet de loi. La présomption d’innocence s’appliquerait, mais elle pourrait être relativisée, justement s’il s’agit de protéger d’autres personnes. Avec la nouvelle loi, dans des cas définis, des informations pourront être transmises par les autorités judiciaires à l’employeur, à des associations ou à des clubs.

Le texte 7882B a jusqu’à présent suscité de nombreuses discussions, car il s’agit d’un équilibre sensible entre la protection des données, la présomption d’innocence et la protection éventuelle de tiers. Les autorités judiciaires semblent actuellement relever ce défi de manière informelle. Dans le sens où le Procureur général d’État assume la responsabilité d’avertir des tiers dans certains cas. “En tant qu’'autorités judiciaires’, nous serions heureux que ce projet de loi puisse être mis en œuvre le plus rapidement possible”, écrit le parquet.

Les peines prévues pour abus de mineurs

La pédocriminalité et l’abus d’enfants ne relèvent pas d’un seul type d’infraction pénale, mais englobent toute une série d’infractions. Cela dépend de l’acte, de l’âge de la victime et du rôle de l’auteur.

L’atteinte à l’intégrité sexuelle c’est-à-dire l’abus sexuel sur mineur de moins de 16 ans, est passible d’une peine de prison comprise entre 5 et 10 ans. S’il y a eu violence, menaces ou si la victime a moins de 13 ans, la peine est comprise entre 15 et 20 ans. Si la violence a été utilisée contre un enfant de moins de 13 ans, la peine est comprise entre 20 et 30 ans de prison. Il y a circonstances aggravantes si l’auteur est membre de la famille de la victime. Dans ce cas, la peine peut être doublée.

La production et la diffusion de contenu pédopornographiques sont passibles d’une peine de prison de 5 ans, qui est toutefois aussi fonction de l’âge de la victime. Si la victime a moins de 16 ans, la peine est comprise entre 5 et 10 ans. Si elle a moins de 11 ans, c’est entre 10 et 15 ans. Toutefois, la peine peut être cumulée avec d’autres délits.

La sollicitation de mineurs via Internet, avec des intentions sexuelles (grooming), tombe aussi sous le coup de la loi. Le code pénal prévoit une peine d’un à cinq ans de prison. Cette peine peut être aggravée si l’auteur est dans une relation de pouvoir avec la victime (membre de la famille, entraîneur, enseignant) ou s’il y a combinaison avec d’autres infractions sexuelles (tels qu’abus ou possession de matériel pédopornographique).

A lire aussi:

Back to Top
CIM LOGO