Pierre, 75 ans, cordonnier"J'aurais pu mieux gagner ma vie, mais j'aime ce travail"

Romain Van Dyck
Pierre Cersosimo, cordonnier à Villerupt (Meurthe-et-Moselle), nous a ouvert les portes de sa boutique. Un personnage authentique, qui pratique son métier avec passion du haut de ses 75 ans.
A 75 ans, il est toujours cordonnier
Pierre Cersosimo nous présente son noble métier à Villerupt

Pierre nous présente des bottines bien abîmées. “Ce sont de bonnes chaussures, le cuir est encore en bon état, mais le talon se décolle et la semelle est usée. La cliente les a payées à peu près 40 euros. Je vais les réparer, semelles et talons, pour une vingtaine d’euros. Et ce sera reparti pour 1,2,3 ans, ou plus” sourit-il.

Le cordonnier se met aussitôt à l’œuvre. Il démonte l’ancien talon en caoutchouc, prend de gros ciseaux pour en découper grossièrement un nouveau. Devant lui, de vieux outils aux manches décolorés. Pierre nous montre un antique tranchet : “Avant, il y avait quelqu’un à Metz qui savait l’aiguiser, aujourd’hui il n’y a plus personne”. Donc il laisse le vieux couteau et prend un cutter pour dégrossir le caoutchouc. Encore un ponçage pour arrondir les angles, et voilà un talon comme neuf !

La boutique de Pierre Cersosimo est installée au 24, rue Joseph Ferry à Villerupt. Elle n’a rien de clinquant, et accuse le poids des années. À l’intérieur, il y règne cette ambiance typique des antres d’artisans. Chaque outil, chaque machine est à sa place. On remarque une impressionnante machine à coudre à pied Singer. Elle doit peser le poids d’un âne mort, n’a pas une once d’électronique, juste de la fonte, des courroies, une pédale pour l’actionner. Sans oublier une aiguille qui traverse d’épais morceaux de cuir comme si c’était du beurre.

Le réparable plutôt que le jetable

Il y a aussi un mastodonte : le banc de finissage. Une grosse machine équipée de plusieurs rouleaux pour poncer, brosser... “C’est une marque allemande, Hardo. C’est très très solide, depuis 35 ans, elle n’est jamais tombée en panne”.

Pierre est donc cordonnier. Un vieux métier. Un noble métier. Car il redonne une seconde vie aux chaussures, sacs, vêtements... Il fut une époque où il était tout aussi incontournable que les forgerons, les couturières et autres maréchaux-ferrants. Une époque où entretenir soigneusement ses affaires était une évidence : on ne pouvait pas se permettre de changer de chaussure comme de chemise. Alors il valait mieux acheter du solide, et du réparable.

Cordonnier, nous apprend-t-il, “est un mot qui nous vient d’Espagne, de Cordoue plus précisément. Cordoue, cordonnier... ça vient de là”. Cordoue était au Moyen-Age le centre du travail du cuir de luxe, grâce à une méthode de tannage importée par les Maures.

Pierre va redonner à ces bottines une seconde jeunesse.
Pierre va redonner à ces bottines une seconde jeunesse.
© RTL

Son père a été cordonnier pendant 53 ans, tout d’abord dans son Italie natale, puis à Villerupt. Célèbre pour son festival du film italien, la ville a longtemps été surnommée la “petite Italie” en raison de la forte immigration de travailleurs venus de l’ensoleillée “Botte” pour aller charbonner dans les mines et les haut fourneaux.

Pour sa part, Pierre se rêvait artiste, comédien. Mais son père avait plusieurs bouches à nourrir, et pas les moyens d’envoyer sa graine d’artiste se former à la comédie à Paris. Alors Pierre travaillera deux décennies dans une cordonnerie à Hussigny-Godbrange, avant de reprendre les clés de la boutique paternelle à Villerupt en 1987. Mais l’âge d’or de la cordonnerie est déjà loin. "On ne vit plus uniquement de la réparation de chaussures. J’ai dû élargir mes services : vente de produits d’entretien du cuir, de lacets, reproduction de clés...” témoignait déjà Pierre en 2002 dans un article du Républicain Lorrain.

“Vous n’êtes toujours pas en retraite ?”

La passion est un puissant élixir de jouvence. Beaucoup s’estimeraient chanceux de porter leurs 75 ans avec autant d’énergie et d’élégance que Pierre. “Vous n’êtes toujours pas en retraite ?” lui demande une cliente.Si... mais je travaille” sourit-il. Avant de nous confier: “J‘aurais pu mieux gagner ma vie en travaillant au Parlement Européen. Mais je préférais faire quelque chose de mes mains, le contact avec les clients. J’aime ce travail. Ici, je me sens chez moi. D’ailleurs, le matin, quand ma femme me voit partir, elle me dit souvent ‘ah, t’es content de partir au travail’”.

Pierre, il y a de ça quelques décennies. Il continue de jouer de l'accordéon, pour les amis... ou les journalistes de passage !
Pierre, il y a de ça quelques décennies. Il continue de jouer de l’accordéon, pour les amis... ou les journalistes de passage !
© Pierre Cersosimo

Et il le fait bien, à l’en croire les clients qui se bousculent dans sa boutique et qui ne tarissent pas d’éloges. Pour l’une, c’est une lanière de sac à main à réparer. Pour l’autre, c’est un bouton d’une veste en cuir... Cet autre client a besoin d’un double d’une clé. Pierre réalise la nouvelle clé en quelques minutes, “pour deux fois moins cher qu’au Luxembourg”, ce qui explique que des clients franchissent souvent la frontière. “J’ai noué des amitiés avec des Luxembourgeois, qui passent parfois à la boutique juste pour me saluer”.

Sa cordonnerie n’est décidément pas une échoppe ordinaire. C’est un point de rencontre où Pierre travaille autant qu’il taille la bavette avec les clients. Un de ces refuges où l’artisan reste maître de son temps. Et si c’était ça, le vrai luxe ?

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