
René Mathieu va quitter le château de Bourglinster et son restaurant La Distillerie dans trois mois, pour rejoindre l'hôtel Airfield au Findel. / © AFP
Le chef étoilé de la Distillerie, René Mathieu, explique pourquoi il a décidé de quitter le château de Bourglinster pour rejoindre l'hôtel Airfield en janvier 2025.
C'est officiel depuis mercredi. Le restaurant La Distillerie du chef René Mathieu va fermer ses portes en juillet 2025. Toute l'équipe va déménager à l'hôtel Airfield, au Findel, pour relancer le restaurant qui sera baptisé le "Fields." Une grande page qui se tourne pour le roi de la cuisine végétale au Luxembourg, qui a fêté cette semaine ses 50 ans de carrière, ses 63 ans cette année, et qui trépigne à l'idée de se lancer dans ce nouveau défi.
Pourquoi avoir fait le choix de quitter la Distillerie à Bourglinster pour rejoindre l'hôtel Airfield au Findel ?
René Mathieu: "Pour des raisons de confort. Ça fait 20 ans que je suis au château, j'ai l'impression de ne plus avancer. Et pour moi, celui qui n'avance pas, recule. La clientèle n'est pas seulement devenue exigeante par rapport à la cuisine, mais aussi par rapport aux infrastructures. Le Château est magnifique mais peu pratique quand on y tient un restaurant. On envoie 70-80 couverts par jour, il n'a pas été conçu pour ça. Il faut traverser la cour pour aller dans la chambre froide; pour chercher une caisse d'eau, il faut aller dans le bâtiment en face... Ça devient fatiguant pour tout le monde. Et comme le château appartient à l'État, on ne peut pas y faire de travaux (ndlr: depuis 1990 la société RESMA loue une partie du château à l'État pour y établir ses deux restaurants, "La Distillerie" et "Côté Cour"). L'outil de travail à l'hôtel Airfield sera beaucoup plus performant."
Depuis quand l'idée de déménager germait dans votre esprit ?
"Ça fait au moins an qu'on y pense. Je connais Selim (ndlr: Schiltz, qui dirige RESMA et l'Hôtel - restaurant Airfield) depuis mon arrivée au château. C'est un ami. On en discutait souvent sans passer à l'action car les deux restaurants du château fonctionnent très bien: ils sont complets plusieurs mois à l'avance. L'actuel restaurant de l'hôtel souffre un peu depuis le covid. Je reste consultant pour la brasserie Côté Cour, qui va continuer de fonctionner avec l'équipe en place."
Vous avez passé 20 ans à la Distillerie, allez-vous avoir un petit pincement au cœur au moment de quitter le château ?
"Non, je ne vis pas avec mes souvenirs. Je vis dans le présent et le futur. C'est un chapitre qui se termine. Je ne suis pas attaché à un endroit. J'ai aussi dû quitter des restaurants en Belgique. Tu rebondis. Et puis, ce n'est pas comme si j'arrêtais. C'est un nouveau challenge qui s'offre à moi, c'est extraordinaire. Je n'ai aucun stress, je pourrais très bien commencer demain ! On va pouvoir aller encore un peu plus loin dans notre philosophie, dans un bâtiment largement moins énergivore que le château. Beaucoup de gens pensent que les petits gestes pour la planète ne servent à rien. Je ne suis pas de cet avis. Je continue de me battre pour ça."

Au Fields, le chef belge continuera de proposer la même cuisine végétale qu'à La Distillerie. / © AFP
Vous aviez notamment l'habitude de cueillir vos ingrédients en forêt, à côté du château. Qu'est-ce que ce déménagement au Findel va changer à vos habitudes ?
"J'habite à Bourglinster, je continuerai mes cueillettes le matin avant d'aller au resto. Ça m'arrange même car ça me rapproche des Jardins de Sandrine. On va apporter une touche un peu plus nature au Fields. On va couvrir des murs avec des végétaux par exemple."
Allez-vous proposer exactement la même cuisine au Fields ?
"Oui, ce sera du 100% végétal. Il n'y aura ni viande, ni poisson. Le nom "La Distillerie" appartient au château, donc on ne peut pas s'en servir, mais les assiettes seront les mêmes. On ramène nos tables, nos chaises. Il y aura peut-être 5 couverts en plus qu'à La Distillerie. En plus des soirs, on sera ouvert deux midi dans la semaine. Puis, comme on sera dans un hôtel, les petits-déjeuners seront végétaux. Le lieu est moderne, respectueux de l'environnement, sur un seul niveau. On va gagner une heure chaque jour. Je rêvais de ça depuis longtemps. C'est un beau projet. Ça va me permettre de continuer à transmettre mon savoir et de trouver un successeur un jour."
Que va devenir La Distillerie ?
"On ne sait pas encore. Sans doute plus un restaurant. Peut-être qu'on va y donner des cours et continuer d'organiser des banquets. Ce sera pour des événements occasionnels."
La brasserie Côté Cour ne risque t-elle pas de souffrir de son isolement ?
"Je ne pense pas, ce n'est pas la même clientèle que celle du restaurant gastronomique. Il n'y a pas un restaurant qui accueillait les clients de l'autre quand il n'y avait plus de place. Dans les deux cas, il faut réserver. Ce sont les menus qui plaisent même si j'entends que ça va être un changement pour les clients."
Pensez-vous conserver votre étoile Michelin en quittant la Distillerie pour le Fields ?
"Je ne sais pas. Si le guide veut nous l'enlever une année, ils feront ce qu'ils veulent. Mais le guide qui nous a "lancé", c'est le guide vert We're Smart World. À partir du moment où on a reçu leurs récompenses, on a fait le plein. L'ouverture du Fields est prévue le 15 janvier 2025, le Michelin sort trois mois plus tard. Des chefs qui ont changé d'établissement et qui ont gardé leur étoile, j'en connais plein. Ce n'est pas la grande priorité mais on fera tout pour la garder."

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