
On est lundi soir au niveau 0 de la psychiatrie pour adultes au Kirchberg. Une jeune patiente vient d’être admise pour des crises d’angoisse aiguës et l’infirmière l’accompagne jusqu’à sa chambre: “tu as de la chance, tu partages la chambre avec une fille de ton âge, elle est également arrivée aujourd’hui”. Elle rentre dans la chambre et Letizia est assise sur son lit près de la fenêtre. L’infirmière vient à peine de quitter les lieux que les 2 filles commencent à faire connaissance: “pourquoi es-tu ici ?” demande Letizia, ce à quoi l’autre patiente répond qu’elle subit des crises d’angoisse. “Bienvenue au club” rétorque Letizia avant que les deux ne commencent à en rire, même si la situation ne s’y prête pas vraiment.
Letizia a 11 ans lorsqu’elle commence à avoir des crises d’angoisse, qui étaient encore relativement inoffensives comparées à celles qu’elle traverse maintenant. À cela s’ajoutent des troubles de l’alimentation, elle n’arrive plus à manger et perd beaucoup de poids. Sa famille l’accompagne chez plusieurs médecins qui disent tous qu’il s’agit d’anorexie.

Au même moment, ses parents sont en pleine instance de divorce, ce qui provoque une aggravation de ses crises d’angoisse et Letizia commence à se faire du mal. Elle sera hospitalisée une première fois à 13 ans dans une clinique psychiatrique ambulatoire: “je savais que j’avais quelque chose, mais personne n’était en mesure de me dire ce que c’était. Et cela a continué presque jusqu’à mes 20 ans. La plupart des médecins me disaient que c’était une dépression, car cette condition était connue dans la famille. Et donc tout le monde partait du principe que c’était génétique et personne n’a essayé de voir plus loin”.
En grandissant, ses problèmes se sont amplifiés et ses crises d’angoisse ont commencé à devenir plus fortes et plus régulières. Mais à l’école, Letizia est une bonne élève et elle fait souvent le clown en classe alors que la situation se dégradait constamment à la maison. Son humeur pouvait basculer d’une minute à l’autre, ces sauts d’humeur et l’impression de tomber dans un trou deviennent légion.
Il y a un peu plus d’un an, ses crises d’angoisse ont atteint un niveau si élevé qu’elle en était presque paralysée, sans pouvoir sentir son corps. Elle suit enfin une thérapie dans une clinique allemande où elle découvrira à 20 ans et 9 mois qu’elle souffre d’un trouble de la personnalité appelé borderline. C’est tout à d’abord un grand soulagement: “enfin je savais ce que j’avais. Cela a un nom. Et puis de nombreuses questions me traversaient l’esprit, qu’est-ce que c’est ? Vais-je pouvoir m’en débarrasser ?”

“Tout est noir ou blanc, tout est super beau ou très très moche. Il n’y a pas de nuance de gris. Il n’y a rien entre les deux extrêmes”, explique Letizia. Ce trouble de la personnalité est surtout caractérisé par des sauts d’humeur extrêmes, de l’instabilité et de l’hypersensibilité. Letizia a toujours une peur extrême de la perte dans ses relations interhumaines, elle idéalise les personnes et a le besoin de plaire à tout prix et à tout le monde. Lors d’une annulation en dernière minute, ses émotions provoquent en elle parfois des crises d’angoisse. Les personnes borderline peuvent subir une “tempête émotive” incontrôlable suite au plus petit événement survenu dans leur vie. Les émotions que ressent Letizia peuvent parfois être si fortes que son corps ne répond plus. Dans ces moments, il est déjà arrivé à Letizia de se faire mal, voire même de mettre fin à ses jours.

L’impulsivité joue un rôle important dans sa vie, elle peut très bien réserver un vol d’une minute à l’autre et de partir le lendemain sans crier gare. Les gens vont alors penser qu’il s’agit d’une personne super spontanée mais il y a une différence importante, car dans ces moments impulsifs, elle ne prend pas en compte les conséquences de ses actes et elle se met parfois dans des situations compliquées ou même parfois dangereuses. C’est seulement après avoir pris du recul qu’elle se demandera pourquoi elle a fait ça, lorsqu’il est généralement trop tard. Impulsive et impatiente, elle sait qu’elle prend des décisions risquées, mais elle ne s’en rend pas compte sur le moment.
Le diagnostique a aidé Letizia à comprendre pourquoi elle était comme ça, ce qui l’aide à mieux gérer ces moments impulsifs ou ces tempêtes émotives. Mais seul un diagnostique ne suffit pas, à 21 ans elle doit déjà prendre toute une série de médicaments pour stabiliser son trouble après déjà plusieurs thérapies lorsqu’elle était plus jeune.
En 2016, elle était déjà prise en charge de manière stationnaire en psychiatrie avant de partir à l’étranger dans des cliniques spécialisées et un retour à la psychiatrie pour adultes au Kirchberg. Mais tous ces traitements n’aide pas Letizia à aller mieux, et même si elle a fini par accepter son trouble de la personnalité, il lui arrive encore souvent de passer d’un extrême à l’autre.
Elle continue son combat avec beaucoup de travail sur soi et elle voudrait suivre une thérapie dialectique du comportement, une méthode souvent utilisée chez les patients borderline tout comme les personnes qui souffrent de comportement suicidaire chronique. Mais il n’est pas simple de trouver une place dans ces thérapies, même si elle est proposée au Luxembourg mais seulement à destination des jeunes âgés jusqu’à 18 ans. Elle a abandonné les cliniques publiques à l’étranger et les établissements privés sont trop chers, même si les frais sont partiellement pris en charge par la CNS. Mais il faut débourser une somme considérable avant d’être remboursé, et à parfois 500 euros la journée pour un séjour pouvant durer jusqu’à 2 mois, ce n’est pas réalisable.
Sa caisse complémentaire refuse de payer pour ces séjours thérapeutiques car elle est déjà passée par la psychiatrie en 2016 et cela enfreint les obligations. Les autres assurances maladies ne l’acceptent pas non plus en tant que cliente car son dossier est trop onéreux. Elle doit donc payer une partie de ses médicaments, ce que la CNS ne rembourse pas, soit 50 euros toutes les 2, 3 semaines.
Une clinique d’Aix-la-Chapelle en Allemagne pourrait peut-être l’accueillir après un premier rendez-vous de présentation, tout comme un hôpital à Munich en Bavière, mais seulement à partir du mois d’octobre. “Tout dure très longtemps et je perds beaucoup de temps, en plus j’ai droit au chômage seulement jusqu’en septembre et je voudrais reprendre le travail, mais au plus la thérapie se fait attendre, au plus je dois retarder tous mes plans”, soupire Letizia.
Letizia bénéfice cependant du statut de personne handicapée, et même s’il s’agit d’une sorte d’étiquette qu’on lui colle à la peau, cela la rassure quand même: “quand je vais travailler, mon chef connaît ma situation, il en est informé et sais très bien pourquoi cela ne va pas bien du tout, cela m’enlève de la pression. Et si rien ne va plus, je peux encore aller travailler dans un atelier protégé, c’est une autre solution”.
Il y a des moments où Letizia maudit son trouble de la personnalité car cela rend sa vie compliquée et épuisante, mais le fait d’être borderline fait également partie de sa vie. Malgré tous ces problèmes, être borderline a également des aspects positifs, cela la rend plus ouverte, plus motivée à découvrir et à tester tout ce qu’elle veut.
La jeune femme de 21 ans se donne désormais à fond dans sa carrière de mannequin, mais elle se verrait aussi bien travailler en tant qu’animatrice ou dans le domaine des médias.

Letizia n’a aucun problème à parler de son trouble de la personnalité, car cela fait partie justement de son personnage: “je ne m’en cache pas mais si je rencontre quelqu’un, ce n’est pas la première chose que je vais évoquer. Cela fait partie de mon quotidien et de ma vie, et cela ne va jamais s’en aller. Tout ce que je peux faire est apprendre à mieux le gérer et vivre avec”.
Cela vaut pour de nombreuses maladies psychiques et troubles de la personnalité ou du comportement. Il faut effectivement l’accepter et apprendre à construire une vie autour de cet aspect, afin de mieux vivre avec les désavantages mais aussi les avantages qui l’accompagnent.
Les personnes ayant des pensées suicidaires peuvent trouver de l’aide auprès de SOS détresse au numéro de téléphone suivant: (+352) 45 45 45 ou en ligne sur www.prevention.suicide.lu.