Comme tous les matins, Yves Hoffmann chevauche son vélo dans les rues de la capitale belge vers le Parlement européen. Ce jeune trentenaire, diplômé de l’Université Libre de Bruxelles en sciences politiques, est l’un des trois assistants parlementaires du député européen luxembourgeois Charles Goerens, sous la bannière Renew Europe. À l’instar de la plupart de ses collèges, Yves est atterré par le système de fraude mis en place par le parti d’extrême droite français depuis le début des années 2000. Car cette affaire a tendance à jeter le discrédit sur le travail effectué par les parlementaires et leurs collaborateurs, travail qui est pourtant bien réel pour l’immense majorité d’entre eux.
“Ils ont mis en place un système criminel, se désole l’assistant parlementaire [...] C’est toujours à cause de personnes malhonnêtes que les personnes honnêtes doivent en subir les conséquences.”
Quant à l’expérimenté Charles Goerens, dont la première mission au Parlement européen remonte à 1982, il est “étonné quand même, parce que c’est un système qui a duré des années [...] Un système qui révèle les pannes, c’est un système qui fonctionne. Donc, de ce point de vue, le système révèle non seulement la panne, mais il réaffirme aussi que personne n’est au-dessus de la loi.”
Le système frauduleux qui a été mis au jour a permis au parti du Rassemblement national, Front National à l’époque, à travers les enveloppes destinées à l’embauche d’assistants parlementaires, de détourner plus de 4 millions de fonds publics estimés entre 2004 et 2016, selon un jugement en première instance rendu le 31 mars dernier. Marine Le Pen a été condamnée à cinq ans d’inéligibilité immédiate et quatre ans de prison, dont deux ferme aménagés sous bracelet électronique.
Outre Marine Le Pen, 23 personnes et le parti du Rassemblement national ont été condamnés dans cette affaire. Mais très vite, l’inéligibilité prononcée contre la candidate potentielle à l’élection présidentielle est passée pour un procès politique en France.
“La justice a tranché en première instance, affirme Charles Goerens. J’en prends acte. Le fait qu’elle ait tranché révèle aussi que ce qu’on fait ici, ça peut avoir des répercussions à tous les niveaux, non seulement européens, mais aussi nationaux.”
Cette mise en lumière est d’autant plus regrettable pour Yves Hoffmann que, si on se penche sur les missions et les obligations d’un assistant parlementaire européen, il y en a beaucoup et elles sont formulées dans un code de conduite : “Par exemple, il faut vivre à 40 kilomètres du lieu de travail. Donc pour moi, ici, c’est Bruxelles parce que mon lieu de travail est Bruxelles. Mais c’est aussi possible à Strasbourg ou au Luxembourg par exemple. Tous les matins, je suis ici à 9 h ou à 8 h 30, et puis la journée commence en fait. Donc j’appelle mon député pour un peu voir ce qu’il y a à l’ordre du jour [...] Le Parlement européen met à disposition environ 30.000 € chaque mois pour chaque député député, et c’est au député lui-même de voir combien il va donner aux assistants. Normalement, il y a de trois à quatre assistants par bureau, par député et c’est le Parlement européen qui nous paye directement.”

La somme de travail est conséquente. En ce qui concerne l’équipe du Vice-président de la Commission des affaires constitutionnelles, les missions des assistants balayent l’encadrement du processus législatif, des recherches pour proposer des amendements, la communication et les relations de presse sans oublier l’aspect administratif. Des missions autrement plus tangibles que celles dévoilées par le procès du Rassemblement national, comme ce cas d’assistants parlementaires “passant d’un député à l’autre” ou à qui leur employeur ne confiait “aucune tâche”. Comme par exemple Yann Le Pen, sœur de Marine le Pen, officiellement assistante parlementaire de Bruno Gollnisch alors qu’elle travaillait à l’organisation des grandes manifestations du parti. Ou encore Thierry Légier, garde du corps de Jean-Marie Le Pen, une fonction qui “nécessitait une présence de tous les instants” et ne permettait pas d’être assistant parlementaire de quelqu’un d’autre.
Côté justice française, l’affaire n’est pas terminée. Le Rassemblement national et 12 des personnes condamnées – dont Marine Le Pen –, ont fait appel du jugement. Le procès en appel aura lieu au premier semestre 2026, avec le risque que la condamnation soit encore plus lourde. Et les déboires du parti pourraient se poursuivre. D’après Mediapart, de novembre 2021 à décembre 2022, le porte-parole du Rassemblement national (RN) Andréa Kotarac a cumulé des fonctions dans le parti et son poste d’assistant d’eurodéputé sans demander l’autorisation du Parlement européen, ont indiqué des sources au sein de l’institution, confirmant une information du média indépendant.
“Pour moi, c’est vraiment un grand dommage, conclut Yves Hoffmann. Pas seulement pour le Parlement européen, mais aussi pour nous, assistants. Tout le monde pense maintenant que nous sommes des criminels, qu’on ne fait pas bien les choses.” Mais l’assistant parlementaire garde la foi, pour lui, 99% des personnes officiant au parlement européen sont “de bonnes personnes”.