
“En tant qu’association de protection des enfants, nous souhaiterions vraiment obtenir des réponses”, déclare Eolia Verstichel, vice-présidente de l’association “Innocence en danger Luxembourg”, en faisant référence à l’affaire dévoilée la semaine dernière. Il aura fallu attendre six ans entre le premier signalement d’Europol selon lequel des données à contenu pédocriminel avaient été téléchargées par une personne et la condamnation de cette dernière dans un verdict de première instance rendu fin mars.
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“Nous n’avons pas suffisamment d’informations pour comprendre pleinement les détails de l’affaire. Mais de nombreuses questions restent en suspens”, indique également Jessica Lopes de la plateforme “JIF pour Journée Internationale des Femmes”. “Où est l’ONE [Office national de l’Enfance], où est le SCAS [Service Central d’Assistance Sociale], y a-t-il eu des erreurs dans la procédure? Ou est-ce le déroulement normal d’une telle procédure au Luxembourg?”, s’interroge-t-elle. S’il n’y a pas suffisamment de moyens, il faut se les donner. C’est une question de priorité politique. Et ce sont les questions que les médias doivent aborder en ce moment.
Les avis sont partagés sur la question de savoir si les médias doivent rendre compte des procès pour actes de pédocriminalité.
“Je considère que c’est tout à fait nécessaire. Parce que si on balaie toujours tout sous le tapis, [c’est comme si] cela n’arrivait pas au Luxembourg”, dit Ana Pinto de l’ASBL “la Voix des survivant(e)s”.
Eolia Verstichel est sur la même ligne: “Il faut vraiment parler de tels procès, car la pédocriminalité reste un tabou au Luxembourg et pourtant elle existe.” Il faut donc informer plus souvent. Et les victimes devraient également avoir la parole. Dans le cas où elles sont mineures, alors par l’intermédiaire de personnes qui parlent en leur nom, comme des avocats ou des associations.
Ana Pinto, en tant qu’ancienne victime de violence, va même plus loin et souhaiterait que les noms des délinquants sexuels soient rendus publics: “Je sais que je ne vais pas me faire des amis en disant cela, mais je pense que c’est important. Beaucoup réfléchiraient alors que si cela sort, leur carrière sera finie, ou que leurs voisins sauront aussi ce qu’ils ont fait.”
En revanche, la plateforme JIF a un autre point de vue. “On se demande à quoi bon décrire dans la presse les détails de situations individuelles. Les victimes n’ont pas disparu. Ce sont de vraies personnes”, indique Jessica Lopes. Dès lors, il faudrait seulement rapporter le procès si c’est dans l’intérêt de la victime.
Toutes les associations se retrouvent toutefois sur un point: les médias ne traitent pas assez des abus sexuels sur mineurs. Au Luxembourg, 21% des femmes et 13,8% des hommes déclarent avoir subi des violences sexuelles avant l’âge de 18 ans. Des chiffres qui seraient bien en-deçà de la réalité pour l’ASBL Innocence en Danger. Innocence en Danger (IED) est une association internationale de protection des enfants contre la violence, arrivée au Grand-Duché en 2024, parce qu’il y avait une demande.
Récemment, le Planning Familial, membre de la plateforme JIF, a également publié des chiffres. 65% des victimes prises en charge par le Planning Familial, ont été abusées pour la première fois lorsqu’elles avaient moins de 18 ans. 31% avaient même moins de 12 ans.
Au Luxembourg, il s’écoule en moyenne 16 ans entre l’abus et le début de la thérapie. “Cela soulève de nombreuses questions. Sommes-nous bien équipés pour identifier et protéger les victimes rapidement et de manière conséquente?”, s’interroge Jessica Lopes. Ce sont les questions sur lesquelles les médias doivent désormais se concentrer. “Pour les adultes qui viennent nous consulter, les faits sont malheureusement souvent déjà prescrits. C’est une double peine pour la victime”, affirme Eolia Verstichel. Le Luxembourg est un petit pays. Beaucoup de victimes ont peur de parler. Parfois elles appellent les associations et en route, elles font demi-tour. Il est extrêmement difficile pour un enfant et même pour un adulte d’oser parler. Les victimes se demandent trop souvent si elles ont fait quelque-chose de mal, souligne Jessica Lopes de la plateforme JIF.
Ana Pinto de l’ASBL “Voix des survivant(e)s” tient beaucoup à la sensibilisation. Particulièrement pour les enfants, ce qui arrive n’est pas appréhendable. “Ils n’en parlent pas et pense que c’est la normalité. C’est pourquoi la prévention à l’école est tellement essentielle”, souligne-t-elle. Pour dire aux enfants dès leur plus jeune âge: “Non, ce n’est pas normal. Même si quelqu’un t’aime beaucoup, il ne te touche pas derrière, il ne te montre pas certaines choses. Et si tu dis non, c’est non.” À l’étranger, des campagnes télévisées sont diffusées à des heures de grande écoute par le ministère pour sensibiliser les enfants. Pas au Luxembourg.
Aborder ce sujet permettrait pourtant une prise de conscience. Surtout que les victimes ont souvent honte. En parler leur montrerait qu’elles ne sont pas seules. “Actuellement, cela se passe vraiment ainsi: ‘Ne dis rien. Si tu dis quelque-chose, tu seras la méchante. Et le problème, ce sont aussi les peines existantes. C’est ridicule”, estime Ana Pinto. Il faut un changement de mentalité au Luxembourg. Que si quelque-chose a lieu, on en parle immédiatement. Même si ce n’est pas facile.
L’ASBL Innocence en Danger critique également la manière dont la Justice prend en charge les victimes ou intervient. Par exemple, le tribunal d’arrondissement de Diekirch compte une seule juge de la jeunesse. Ce qui signifie que s’il y a appel d’une décision sur un placement de mineur, c’est la même personne qui rejugera la décision. De plus, trop de sursis sont prononcés dans les cas de pédocriminalité. Trop souvent aussi, les victimes ne connaissent pas leurs droits et ne savent pas où s’adresser. Et il est difficile d’obtenir un avocat, particulièrement pour les mineurs. “Oui il existe bien une liste d’avocats pour mineurs au Luxembourg. Mais chaque fouis que nous contactons un avocat qui est sur un dossier pour un mineur, nous n’obtenons pas de réponse”, indique Eolia Verstichel. Même si l’ASBL souhaiterait seulement aider, il lui est souvent indiqué que les victimes ne parlent pas. Mais souvent elles ont parlé mais n’ont pas été écoutées ou on leur a dit de ne rien dire.