
Samedi, l’Organisation syndicale indépendante du Luxembourg (OGBL) et la Confédération des syndicats chrétiens du Luxembourg (LCGB) ont organisé une manifestation commune contre le projet de réforme des retraites du gouvernement.
Suite à cette mobilisation, le politologue Adrien Thomas, du Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER), a donné un aperçu de l’évolution du mouvement syndical luxembourgeois et des défis qui attendent le modèle social du pays.

Les racines du syndicalisme moderne au Luxembourg remontent à l’après-Première Guerre mondiale, entre 1916 et 1921, période marquée par des bouleversements sociaux et des appels à la réforme. L’invité de RTL explique que cette période a été marquée par des pénuries alimentaires et des revendications en faveur de la démocratisation, soulignant que le Luxembourg n’a instauré le suffrage universel qu’en 1919.
Dans ce contexte, deux syndicats de masse ont vu le jour : le Syndicat luxembourgeois des métallurgistes dans la capitale, aligné sur les idéaux socialistes, et le Syndicat luxembourgeois des mineurs et métallurgistes dans le sud, qui adoptait une position plus neutre sur le plan politique.
En 1920, les deux syndicats fusionnent pour former le Syndicat des mineurs et des métallurgistes, qui penche résolument à gauche. Mais la fusion est de courte durée.
À peine un an plus tard, en 1921, un groupe de travailleurs ancrés dans la tradition sociale catholique se sépare pour créer la LCGB, une initiative étroitement soutenue par l’Église catholique. Le reste du syndicat évolue finalement pour devenir ce qui est aujourd’hui connu sous le nom d’OGBL.
Cette même année a été marquée par un épisode décisif avec la grève générale de mars 1921. Adrien Thomas raconte comment les licenciements dans l’industrie sidérurgique ont conduit à des occupations spontanées d’usines et comment le syndicat des mineurs et des métallurgistes a tenté d’étendre le mouvement à une grève nationale.
Cela a entraîné l’intervention des troupes françaises pour aider la police luxembourgeoise à rétablir l’ordre.
La grève a finalement échoué, des centaines de membres syndicaux ayant été licenciés et inscrits sur des listes noires qui rendaient tout emploi futur pratiquement impossible. Thomas a noté que cet épisode a instillé une prudence durable dans la culture syndicale luxembourgeoise, favorisant une préférence pour une mobilisation soigneusement organisée plutôt que pour des protestations spontanées.
Le spécialiste observe que les relations entre l’OGBL et le LCGB ont alterné entre coopération et concurrence.
L’un des efforts de coopération les plus significatifs a eu lieu dans les années 1930, lorsque les deux syndicats ont uni leurs forces au sein d’une commission salariale pour faire pression en faveur d’une législation sur les négociations collectives. Bien que la loi proposée n’ait jamais été adoptée, cette collaboration a conduit à la création du Conseil national du travail, un organisme tripartite réunissant les syndicats, les employeurs et le gouvernement, selon l’expert.
Il souligne que cette alliance avait également contribué à faciliter la formation du premier gouvernement de coalition du pays entre la droite catholique – précurseur du Parti populaire chrétien-social (CSV) – et le Parti ouvrier luxembourgeois, prédécesseur du Parti socialiste ouvrier luxembourgeois (LSAP).
En 1937, après la défaite du référendum sur la « Maulkuerfgesetz » – qui visait à restreindre les libertés politiques –, Pierre Dupong, associé à l’aile sociale catholique, a remplacé Joseph Bech au poste de Premier ministre. Bech représentait une position plus conservatrice et que la nouvelle coalition marquait un tournant vers une gouvernance fondée sur le consensus.
Selon Adrien Thomas, l’âge d’or de l’influence syndicale s’est situé dans les années 1970 et 1980. Il note que le taux d’adhésion aux syndicats était élevé et que leur influence politique était forte. Au cours de cette période, la coopération s’est à nouveau intensifiée, en particulier entre la Ligue des travailleurs luxembourgeois (LAV) – prédécesseur de l’OGBL – et la LCGB, alors que le pays passait d’une économie industrielle à une économie de services dans le contexte de la crise sidérurgique.
C’est également à cette époque qu’a été fondé l’OGBL en tant que syndicat unifié. Initialement conçu comme un mouvement syndical large et consolidé, le projet a finalement été limité par le refus du LCGB et d’une partie de la Fédération des Employés Privés (Fédération des Employés Privés) d’y adhérer.
Néanmoins, l’invité de RTL a estimé que la création de l’OGBL était un succès, soulignant sa large présence dans de multiples secteurs au-delà de ses origines dans l’industrie sidérurgique.
Malgré ces succès, la rivalité persiste, en particulier lors des élections sociales, où les deux syndicats présentent souvent des listes concurrentes, ce qui conduit parfois à des campagnes peu constructives au niveau des entreprises.
Si le nombre d’adhérents aux syndicats a continué d’augmenter, il n’a pas suivi le rythme de l’expansion globale du marché du travail. En conséquence, la densité syndicale – la proportion de travailleurs syndiqués – a diminué. Les syndicats ont toutefois conservé une influence significative grâce à leurs rôles institutionnels.
M. Thomas a souligné que le système de partenariat social luxembourgeois comprend des chambres professionnelles, la Chambre des salariés et la Chambre des fonctionnaires, ainsi qu’un mécanisme tripartite, dans le cadre duquel les décisions politiques importantes sont souvent négociées entre les syndicats, les employeurs et l’État. Environ 60% des travailleurs sont toujours couverts par des conventions collectives, ce qui, bien que inférieur aux pays scandinaves, reste élevé par rapport aux normes européennes.
Pour l’avenir, Adrien Thomas a suggéré que les syndicats doivent trouver des moyens d’attirer de nouveaux membres et de s’imposer dans les secteurs sous-représentés, tels que le commerce de détail, l’hôtellerie, la finance et le conseil, qui se caractérisent soit par de mauvaises conditions de travail, soit par un taux de rotation élevé du personnel.
La récente collaboration entre l’OGBL et le LCGB est significative, a déclaré Adrien Thomas, notamment parce qu’elle envoie un message au gouvernement – en particulier au CSV – indiquant que les deux syndicats sont déterminés à défendre les droits des travailleurs. Il a fait remarquer que cela était particulièrement remarquable compte tenu de l’alignement historique du LCGB sur le CSV, qui comptait parmi ses membres d’anciens dirigeants syndicaux ayant ensuite occupé des sièges au parlement.
Toutefois, une fusion complète des deux grands syndicats est peu probable dans un avenir proche. Adrien Thomas décrit l’accord actuel comme un “accord à l’amiable”, visant à gérer les divergences par le dialogue plutôt qu’à établir des listes communes pour les prochaines élections sociales.
Pour Adrien Thomas, l’avenir du modèle social luxembourgeois est aujourd’hui remis en question. Il a expliqué que le pays s’appuie depuis longtemps sur trois piliers: une forte implication des syndicats dans les négociations collectives, une approche consensuelle des conflits sociaux et un rôle actif de l’État en tant que médiateur.
En contrepartie, l’engagement de l’État à résoudre les conflits a historiquement compensé les lois luxembourgeoises relativement strictes en matière de grève, selon l’expert. Il a toutefois averti que les développements actuels, tels que les propositions de modification des règles de négociation collective, les changements apportés aux heures d’ouverture des commerces et la réforme controversée des retraites, pourraient marquer une rupture avec ce modèle établi de longue date.
“Si le cadre législatif entourant les conventions collectives est affaibli et si le gouvernement poursuit les réformes proposées comme prévu, cela pourrait effectivement représenter une rupture avec le modèle qui définit les relations de travail au Luxembourg depuis des décennies”, a conclu Thomas.