C’est un ange gardien. Il est visible de loin avec sa veste jaune fluo et sa flèche scintillante qui montre le chemin en cas de pépin sur l’A31. Et pourtant les automobilistes ne s’en soucient guère. Souvent trop pressés ou trop occupés avec leur téléphone portable. Une réalité vécue au quotidien sur la “BAU” -la Bande d’Arrêt d’Urgence- cette ligne où l’on sent la force du “souffle” que provoque le flot incessant de poids lourds et de voitures qui fusent à 110 km à l’heure.
Pour le patrouilleur de la DIR Est (Direction Interdépartementale des Routes Est) l’A31, “c’est son bureau. C’est vraiment un bureau qu’il connaît par cœur. Donc le moindre petit incident qui pourrait intervenir, il le remarque, il le note, et on essaye d’intervenir pour régler le problème”, pose Christophe Leroy, chef du Centre d’exploitation et d’intervention de Fameck.

Ses 16 agents et six chefs d’équipe opèrent “sept jours sur sept, 365 jours sur 365”. Ceux qui endossent le gilet du patrouilleur tournent tous les jours de 5h45 à 20h15 sur les 30 km de l’A31 allant de Mondelange à la frontière luxembourgeoise et sur les sept kilomètres de l’A30 qui prolongent le “bureau”.
La mission du patrouilleur est simple: “Tout faire pour que les usagers circulent en toute sécurité pour se rendre au travail ou à leurs loisirs”, résume d’une bande Christophe Leroy. Son boulot c’est donc de sillonner sans cesse sur le réseau pour surveiller tout ce qui s’y passe et intervenir immédiatement quand ça ne tourne pas rond. L’agent d’exploitation chargé de la patrouille “c’est le premier intervenant sur tous les événements. C’est aussi celui qui protège les usagers en panne”, explique Christophe Leroy.
Le poste en journée varie, mais “quand je suis patrouilleur, je regarde tout ce qui ne va pas. La chaussée, s ‘il n’y a pas de nids de poule, la signalisation, c’est tout ce qui est panneaux, s’ils sont ouverts, s’ils sont propres. La végétation, s’il n ‘y a pas une branche qui tombe, un arbre qui menace de tomber. Dans ces cas, j ‘appelle mon responsable d’intervention et lui va envoyer une équipe pour débarrasser l’arbre ou la branche”, raconte Denis Droitcourt, assis au volant du fourgon orange.

Entre-temps, évidemment il intervient aussi pour venir en aide aux automobilistes en panne sur la BAU, mais aussi pour sécuriser les lieux des accidents. Et “quand on vous appelle sur un accident vous ne savez pas sur quoi vous allez intervenir. Le pire qui puisse arriver c’est un accident mortel. C’est arrivé à mes collègues la semaine passée. C’est horrible. C’est choquant de voir un être humain décédé. Mais ça arrive”, sait bien Denis.
La semaine passée un dramatique accident de la circulation s’est produit à Mondelange, jeudi vers 0h45. Un conducteur, circulant à contresens, a percuté de plein fouet un autre véhicule. Les deux conducteurs sont décédés sur l’A31. Denis en gère “quasiment tous les jours, des accidents” sur l’A31.
Lui et ses collègues de Fameck sont donc constamment exposés au trafic. Le danger pour le patrouilleur “c’est le risque de circulation ouverte, un choc avec un véhicule. Notre patrouilleur est en train de ramasser un objet, l’usager qui ne le voit pas forcément ou qui ne fait pas attention. Il peut être au téléphone. Il peut être ailleurs. Le patrouilleur peut se faire culbuter ou accrocher par un véhicule. Dernièrement, on a un patrouilleur sur le réseau de Nancy qui s ‘est fait heurter par une voiture. Il est en train de ramasser des planches. Par chance, il a eu une omoplate et une clavicule cassées. Il aurait pu y rester”, raconte Christophe Leroy en parlant du terrible accident du 8 octobre. Un patrouilleur a été violemment percuté en pleine mission sur l’A330 au sud de Nancy.
“Une douzaine de nos agents ont été blessés depuis le début de l’année. À chaque fois sur des accidents liés à des interactions avec des usagers, sur lesquels nos agents se sont fait percuter dans l’exercice de leur travail”, rapporte Sébastien Delbirani, chef du District de Metz.
La DIR Est “déplore quatre décès depuis 2006. C’est énorme. Et c ‘est un chiffre qui aurait pu être bien plus dramatique sans la rigueur de nos procédures aujourd’hui”, assure celui qui a la responsabilité d’une portion d’A31 où, sur certains secteurs “on dépasse les 100.000 véhicules par jour. Nous atteignons des pics à 120.000 véhicules par jour, ce qui veut dire beaucoup de gens, donc une surveillance importante”.
Le Centre de la DIR Est de Fameck n’échappe pas aux drames. En 2008, un agent s’est fait toucher par un rétroviseur de poids lourd. En 2016, un autre agent a été accidenté dans un choc avec une voiture. “Il était en protection d’un véhicule. L’usager était au téléphone. Il n ‘a pas vu le dispositif de sécurité mis en place. Il a voulu passer par la BAU. L’agent était en train de sortir de son véhicule. Il a été percuté et a volé à cinq ou six mètres... un vrai pantin”, se souvient le chef de centre.

Denis Droitcourt, s’en souvient. C’était le 11 février 2008. Il a été victime d’un grave accident qui lui a valu deux ans d’arrêt de travail. “Comme souvent le lundi matin”, il est parti pour réparer un nid de poule sur la chaussée de l’A30 à hauteur d’Aumetz et “soudain, je me suis fait renverser. Le chauffeur s’est arrêté un peu plus loin. Les secours m’ont transporté à l’hôpital Bel-Air (à Thionville) et ensuite au CHU de Nancy”, raconte Denis.
Vu son état, il a été plongé dans le coma. Seize ans plus tard, Denis “ne dort plus”, tout au plus “deux heures par nuit” et il lui arrive régulièrement d’avoir “de graves maux de tête” au point de “prendre des Dafalgan, comme des Smarties”. Ces jours-là, “dans sa tête, c’est compliqué” et il n’est pas apte à travailler. Car Denis a remis sa veste de patrouilleur. Il est revenu “au bureau” “au bout de deux ans” de souffrances et de celle qui l’accompagne dans la vie, son épouse, dont il parle à peine, tant il y a de la tendresse.
Denis continue de patrouiller. Parce que tout un tas de collègues, chefs et ingénieurs de la DIR Est sont restés à ses côtés. Mais aussi parce qu’il “ne se souvient de rien”. Le choc, les détails. “C’est une page de ma vie qui n’existe pas”, donc il retourne sur la route pour veiller sur la vie des autres, sans appréhension particulière qui serait liée à son propre malheur. Il n’est pas amère, mais il constate que le comportement des automobilistes “n’a malheureusement pas changé”. Ils le frôlent toujours.
Christophe Moinel, 53 ans, a travaillé “plus de vingt ans sur l’autoroute”. Le 14 novembre 2016, raconte-t-il, “j’étais avec un collègue en train d’intervenir sur un camion en panne à 500 mètres de la frontière luxembourgeoise sur la bande d’arrêt d’urgence. Tout le dispositif était en place. Le temps de se retourner, il y a une personne qui était sur son portable qui est rentrée dans la zone de travail où j ‘étais à ce moment-là. Elle m’a percuté. J’ai atterri 20 mètres plus loin. Par chance je suis tombé dans un buisson”.

Le terrible accident a eu des conséquences lourdes sur sa santé, sa vie privée et son travail: “Je ne suis plus apte et il n’est plus question que j’y remette les pieds”, pose-t-il avec sourire, mais avec l’aplomb du recul.
Christophe pense au fond, “qu’aucune route n’est dangereuse. C’est surtout le comportement des usagers de la route fait que ce soit dangereux. Pourtant on est en 2024. On a quand même des infrastructures qui a été mises en place depuis plusieurs années. On a des messages de prévention. On a fait plein de choses pour informer les gens sur la route. Mais malgré tout, le comportement des gens, n’a pas évolué, ça devient même de pire en pire, je trouve”.
Et il cite: “Entre le téléphone portable, les gens qui se maquillent en conduisant, en se rasant, en mangeant, enfin, il y a même des routiers, on a déjà vu ça, qui regardent des films. Rien de nouveau”.
Les accidents matériels avec les véhicules de la DIR Est sont encore plus importants que le nombre de patrouilleurs blessés. “Depuis le début de l’année, on a 15 véhicules qui ont déjà été heurtés par des usagers”, assure Sébastien Delbirani, chef du District de Metz, dont dépend le centre de Fameck.
La DIR Est voit comment depuis plusieurs années déjà, le trafic ne cesse de gonfler sur l’A31. “La plupart des études aujourd’hui qui sont réalisées sur le trafic de l’A31 tendent à montrer que nous allons avoir une augmentation qui va encore continuer les prochaines années”, glisse Sébastien Delbirani.
Mais il n’y a pas que le trafic qui augmente, il y a “aussi une augmentation des incivilités, une augmentation des phénomènes dangereux de la part de certains usagers, qui ont l’air plus pressés. On constate une grande nervosité de la part de ces usagers qui se traduit par des incivilités assez régulières entre usagers et aussi vis-à-vis de nos équipes. On a de plus en plus de monde et les gens sont de plus en plus nerveux”.
Le souci, au fond, “c’est le nombre d’usagers et le comportement de l’usager qui ne fait pas attention à nous. Nous avons un trafic très important. Nous avons des usagers qui sont pressés, qui aujourd’hui ne prennent pas en compte la présence de nos agents lorsqu’ils sont en intervention. Que ce soit pour des travaux ou des interventions de sécurité. Nous envoyons des équipes sécurisées pour des personnes en difficulté sur le bord de la route, mais des usagers qui passent à côté, souvent ne changent pas de voie. Alors c ‘est une obligation du code de la route en France. Voire ne ralentissent même pas. C’est quand même le minimum à faire”, explique le chef du District de Metz.
Tous les patrouilleurs, chefs d’équipe et hauts responsables rencontrés par RTL Infos n’ont qu’un message à faire passer aux usagers: “Faites attention à nous. On est là pour vous. On est là pour que vous puissiez aller au travail tous les jours, en toute sécurité, on n ‘est pas là pour vous embêter. Donc faites attention à nous”, résume Christophe Leroy.
Les épisodes douloureux restent dans leurs têtes. Certains sont marqués dans leur chair. Et “tous les matins, tous les après-midis, quand nos agents partent en poste, on leur dit: Faites bien attention, respectez bien les dispositifs de sécurité”. Sous-entend, votre vie en dépend.
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