
C’est le genre d’annonce où on se frotte les yeux pour être sûr d’avoir bien lu : 650 euros par mois pour un 70 m2 meublé à Audun-le-Tiche ? C’est bien en-dessous des prix du marché pour un “appartement avec deux chambres et deux salles de bains, dans un quartier très calme, à proximité des commerces...” En plus, les photos présentent un logement très cosy, décoré avec goût... Quelle affaire en or !
Mais, aveuglé par ce tarif imbattable, on risque de survoler l’annonce (voir ci-dessus), qui comporte plusieurs bizarreries : “Toutes les taxes sont incluses dans le prix, eau, internet wifi, comme vous pouvez le constater, l’appartement est entièrement équipé de tout l’électronique nécessaire pour une maison de rêve, les animaux sont acceptés” peut-on lire. Les taxes et l’eau inclus ? L’électronique nécessaire pour une “maison de rêve” ? (n’était-il pas question d’un appartement d’ailleurs?). Difficile de ne pas suspecter une arnaque.
Pour en savoir plus, on s’est fait passer pour un client. Le 20 avril dernier, on a répondu à l’annonce signée par une certaine société “Parceleo” basée à Montpellier, et publiée sur SeLoger.com.
Quelques jours plus tard, on se pince en lisant la réponse (voir ci-dessus) d’une certaine “Nuria Maria” : “Toujours intéressé par mon appartement 12 chambres à 650 euros?” 12 chambres carrément... On répond que oui. Mais depuis, silence total de l’arnaqueur/se. Il faut dire qu’entretemps, le site d’annonce SeLoger.com a réagi lui aussi. Il nous a informé par mail que l’annonce a été “immédiatement retirée” à cause d’un “comportement frauduleux”.

Le 22 avril dernier, nous avons contacté la société qui apparaissait sur l’annonce : “Nous avons été piraté”, confirme aussitôt Ronan Malaval, associé chez Parceleo. “On n’a pas eu encore d’explication technique, mais ce qui est certain, c’est que les pirates ont eu accès à notre compte professionnel. Ils ont publié 168 annonces de location, en une seule journée, à notre nom !” explique-t-il. Toutes ces annonces étaient pratiquement identiques, seule l’adresse changeait (voir ci-dessous, avec l’annonce identique mais à... Maisons-Alfort en Île-de-France). “On s’en est vite rendu compte et on a désactivé le compte le soir même, et l’annonce a été retirée par SeLoger deux jours après” poursuit-il.

Va-t-il porter plainte ? “On n’a pas prévu de le faire, du moins pas si ça s’arrête là. C’est vrai que cela attaque un peu notre notoriété, mais ça ne représente pas grand-chose en terme d’incidence. Le Luxembourg, pour nous, c’est complètement lointain. On est dans le sud de la France, et on ne fait même pas d’annonces locatives, nous on fait des lotissements et de la vente de terrains”.
En revanche, il a sa petite idée sur la méthodologie des arnaqueurs : “Généralement, ce qu’ils font, c’est qu’ils piratent le compte de l’agence immobilière, et ensuite changent le mail de contact pour mettre le leur. Et ensuite ils n’échangent que par mail.” Donc la victime “répond à une annonce, reçoit un mail qui a l’air sérieux, elle envoie donc les documents demandés”, puis les arnaqueurs lui disent que “le dossier est validé, le logement est pour eux, mais qu’en revanche comme l’agence est domiciliée à l’autre bout de la France, ils ne viendront pas de si loin pour rien... et donc il faut verser une avance”. C’est ainsi que les victimes se font soutirer de l’argent pour un logement totalement fictif.
C’est Mourad Icher, agent immobilier chez Real Estate, qui nous a signalé cette annonce frauduleuse. Il peste contre ces arnaques qui se multiplient : “C’est toujours la même rhétorique, souvent des appartements meublés fictifs, avec tous les équipements, un tarif en-dessous des prix du marché, et une agence basée à Paris, dans le sud de la France, bref, très loin du secteur” explique-t-il, précisant avoir lui aussi “testé” ces annonces. Ensuite, “Il faut avancer les frais. Et comme c’est bien fait, les gens tombent dans le panneau, surtout que la demande de logement est très forte ici”.
Car ce n’est pas un hasard si ces arnaques ciblent particulièrement les communes frontalières du Grand-Duché: “C’est une zone très dynamique et très dense en terme de transactions immobilières.” Pour preuve, “dans ce secteur entre Metz et Longwy, je sais qu’il y a des agents qui travaillent pour de grands groupes immobiliers et qui sont top 5, voire top 3 vendeurs au niveau national ”. Alors qu’on pourrait croire qu’on trouverait ces agents hyperperformants davantage dans des grandes agglomérations comme Lyon, Paris, Marseille ! Donc “il y a beaucoup de flux d’argent en vente et en location, et cela attire aussi les personnes mal intentionnées. Les arnaqueurs ciblent ce genre de territoire où ils ont plus de chance de faire des victimes”.
D’autant qu’il y a “des gens qui viennent de très loin pour s’installer à la frontière et aller bosser au Luxembourg, et certains ne sont là que pour quelques mois seulement.” Ces travailleurs“peuvent se retrouver en situation d’urgence de trouver un logement, donc ils sautent sur la première occasion, en se disant bon, c’est un peu inhabituel comme annonce immobilière, mais je vais tenter ma chance, j’avance les frais de dossier, au pire je perds cet argent mais ça vaut le coup d’essayer”.
Des travailleurs qui peuvent aussi faire les frais d’autres types de profiteurs : les propriétaires, bien réels eux, qui surfent sur la demande élevée pour faire flamber les prix immobiliers. Le maire de Villerupt donnait récemment l’exemple d’un studio de 17m2 loué au tarif délirant de 800 euros à Audun-le-Tiche. Cela n’étonne pas Mourad Icher, qui partage cette indignation.

Il cite l’exemple de personnes “cap-verdiennes, nigériennes - deux communautés très présentes actuellement au Grand-Duché - qui travaillent dans des secteurs en tension comme la construction. Ils aimeraient s’installer au Luxembourg parce qu’ils y travaillent, mais quand ils répondent aux annonces au Luxembourg, leur dossier ne passe pas : pas de profession stable, intérim, pas assez de revenus, etc. Donc ils passent la frontière où le propriétaire français est moins exigeant.” Et pourquoi est-il moins exigeant ? “Parce qu’en contrepartie, ce propriétaire se permet de mettre un loyer au dessus du marché. Pour ces clients-là, ça reste malgré tout accessible, et ils ne se méfient pas car ils ne connaissent pas les vrais prix du marché local.”
Décidément, le marché immobilier à la frontière prend de plus en plus des allures de Far-West : dans cette nouvelle ruée vers l’or, des charlatans flairent le bon filon, certains croient que tous les coups sont permis, et les nouveaux venus doivent se méfier des vautours prêts à leur tomber dessus...