Hayange, 8h40. Michael, Mélanie et leur petite fille Alyssa sont les premiers arrivés devant la petite boutique Miss’Tery Box qui va bientôt ouvrir ses portes. On papote. Michael nous apprend que cette tendance des “colis mystères”, en vogue sur les réseaux sociaux, a failli lui coûter très cher : “Je me suis fait arnaquer une fois. J’ai vu une pub sur Facebook pour des ventes de colis mystères sur Amazon. Ça ressemblait vraiment au site Amazon, donc je ne me suis pas méfié. Il fallait payer 1 euro pour participer à un tirage au sort et peut-être gagner une palette de colis. J’ai tenté ma chance et payé avec ma carte bleue. Un mois plus tard, je me suis rendu compte que 30 euros avaient été débités, et que ça allait être débité tous les mois. J’ai tout de suite fait opposition”.
Ça aurait pu le refroidir, mais lorsqu’il a entendu parler de l’ouverture d’une boutique de colis perdus à Hayange, il a décidé de retenter sa chance : “La différence, là, c’est que c’est une boutique, donc pas d’arnaque possible, on repart direct avec la marchandise”. Et que rêve-t-il de déballer ? “Un téléphone par exemple”. “Il sera pour moi alors?” demande sa fille. “Ça dépend, si c’est uniPhone 15, je te donnerai plutôt le mien en échange” rigole Michael.
Comme pour les vide-greniers, les chasseurs de bonnes affaires se pressent pour être parmi les premiers. “Des colis intéressants, avec des choses de valeur, il n’y en aura pas 36.000, vaut mieux être dans les premiers pour les repérer” dit un retraité.
8h55, le rideau se lève en avance, et Jennifer Pignanelli accueille, un brin stressée, une vingtaine de curieux. Elle les briefe sur le fonctionnement de son commerce : “Vous choisissez autant de colis que vous le souhaitez, on les pèse et vous payez en fonction du poids”. Les clients se massent autour des tables, soupesant les colis, les secouant, essayant de déchiffrer les quelques lettres ou symboles qui subsistent sur les colis. Car évidemment, “tout ce qui permettrait une identification, comme les étiquettes avec les adresses, a été masqué” explique Jennifer.
L’achat se fait à l’aveugle, interdiction d’ouvrir les colis. Jennifer surveille donc les clients du coin de l’œil : il ne faudrait pas qu’un petit malin tente de déchirer un coin de carton pour voir ce qui se cache dedans... Mais rien n’interdit de jouer au détective en analysant certains indices : la forme du colis, son poids, des étiquettes indiquant une fragilité du colis ou la présence de batteries, donc d’un appareil électronique...
Entre deux pesées de colis, Jennifer nous raconte son parcours: “J’ai travaillé pendant 13 ans dans le commerce et j’ai quitté ma place de gérante de magasin au Luxembourg en février dernier pour me lancer dans ce projet.” "Au début je pensais organiser des événements de ventes éphémères dans les galeries marchandes, sur les marchés, dans les braderies... puis j’ai pu avoir l’opportunité d’ouvrir la boutique ici à Hayange”. À noter que ce type de boutique est probablement une première dans la région: à part le centre commercial Muse qui avait fait une opération éphémère de colis perdus, nous n’avons pas trouvé de boutiques similaires dans le secteur.
Le fonctionnement de son business est simple: “J’achète des palettes de colis via un grossiste à Paris. Je vends ces colis au détail dans ma boutique, les clients paient en fonction du poids, et ensuite... bonne chance” sourit-elle. Le tarif : 3,5 euros les 100 gr, mais pour un kilo le prix est dégressif à 30 euros.
Pour améliorer les “chances” des acheteurs, elle dit ne sélectionner que des colis en provenance d’Espagne, Allemagne ou autres pays européens proches, et de refuser ceux en provenance des pays de l’Est “qui ont une plus faible qualité et valeur”. Elle privilégie aussi des colis Amazon, considérés comme “potentiellement de qualité supérieure”.
Ce jour là, elle est secondée par son compagnon Jonathan. Il raconte avoir lui-même ouvert des colis par curiosité et découvert des objets de valeur, comme “un drone, un jeu PS5, une dashcam, un appareil photo...”
Mais évidemment la probabilité est forte de trouver du bric-à-brac, ajoute Jennifer: “Ca peut être des lampes torche, de l’outillage, des coques de téléphone, des sextoys... Pour moi c’est un jeu de hasard, 100% gagnant puisque contrairement au ticket à gratter il y a toujours quelque chose à gagner”.
Même si certains joueurs sont vite déçus, comme cette dame qui ouvre un de ses colis et extirpe... un petit bocal en plastique, du genre où l’on met des cotons tiges... “Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de ça” soupire-t-elle. On dirait bien que cet objet va quand même finir à la poubelle.

Comme le rappelle Jennifer, “Une boutique comme la nôtre, ça donne une seconde chance à ces produits, ça évite le gaspillage.”
Ce genre de boutique éclaire aussi l’une des faces cachées de l’e-commerce : la montagne de déchets et le gaspillage que représentent ces produits qui n’arrivent jamais à bon port, et qui sont mis au rebut alors qu’ils sont encore neufs et fonctionnels.
Adresse introuvable, déménagement, colis non réclamé... Il y a mille raisons pour qu’un colis finisse par prendre la poussière dans un entrepôt. Généralement, les plateformes d’e-commerce ne s’embarrassent pas à rechercher ou reconditionner ces produits égarés, préférant rembourser l’acheteur ou réexpédier un objet identique. Des grossistes ont donc senti le filon, d’autant que depuis 2022, l’instauration de la loi anti-gaspillageinterdit la destruction des colis perdus. Plutôt que de les stocker, les plateformes d’e-commerce et les sociétés de transports ont donc tout à gagner à les donner à des associations ou à les vendre par tonnes entières auprès de grossistes qui les vendront à leur tour à des boutiques comme celles d’Hayange.
Bref, un business qui a sûrement de l’avenir. Même s’il représente un clou de plus enfoncé dans le cercueil du commerce traditionnel, qui peine de plus en plus à concurrencer les plateformes de l’e-commerce, ces mastodontes digitaux où l’on trouve de tout et où il suffit de quelques clics pour s’offrir un objet livré à domicile.