Donald Trump “ne se soucie pas de l’Ukraine”, il ne se soucie “que de lui-même": l’ex-ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba, a exposé vendredi à Nancy le regard qu’il porte sur le président américain. “Abandonnez toute illusion selon laquelle Donald Trump se soucierait de quelqu’un d’autre que de lui-même et des États-Unis”, a déclaré M. Kouleba, qui était à la tête de la diplomatie ukrainienne jusqu’en septembre dernier.
Pendant les 30 premiers mois qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, il a sillonné la planète pour réclamer des armes pour son pays. Ecarté du gouvernement en septembre, Dmytro Kouleba continue à œuvrer pour la défense de l’Ukraine, en tant que professeur désormais.
“Je renoue avec le monde universitaire, car je crois que c’est là que se façonnent les visions des futurs politiciens, généraux, journalistes et experts”, expose le diplomate de carrière, diplômé de l’université Taras-Chevtchenko de Kiev. “Si je veux que les étudiants comprennent l’Ukraine et soient prêts à l’aider dans 10 ans, je dois être à leurs côtés aujourd’hui pour leur expliquer ce qu’est l’Ukraine et pourquoi elle est importante”, explique-t-il.
Il juge qu’entre 1991 et 2021, “les dirigeants et les citoyens européens ont largement ignoré” son pays. “C’est ce qui a rendu cette guerre possible”.
Ainsi, quand un autre diplomate, Luis Vassy, nouveau directeur de Sciences Po, lui a proposé de devenir professeur associé de l’établissement, il n’a pas hésité longtemps. Les deux hommes se connaissent: il se sont côtoyés lorsque le Français était directeur de cabinet de Catherine Colonna puis de Stéphane Séjourné au Quai d’Orsay entre 2022 et 2024.
Ce recrutement témoigne d’une volonté de réintroduire une approche de la “conflictualité” dans les enseignements, explique François Laval, directeur du campus nancéien de Sciences Po Paris.
“Les étudiants doivent prendre conscience que la communauté internationale, telle qu’on l’a connue depuis 1945, est en train progressivement de s’effondrer et qu’on revient dans un système de grandes puissances prédatrices”, détaille-t-il. “Il y a cette idée de dire: ouvrons les yeux. Notre angélisme, c’est fini.”
En termes de conflictualité, les étudiants venus écouter Dmytro Kouleba sont servis. Dans son tour de France des campus qui l’a amené cette semaine de Paris à Dijon, Poitiers, Nancy puis Menton ce samedi, l’ex-chef de la diplomatie ukrainienne n’a de cesse d’alerter son auditoire sur les risques qui pèsent sur l’Europe aujourd’hui.
“La Russie n’a pas besoin de venir jusqu’en France pour déclencher une guerre”, avertit-il. “Vous vous réveillez un matin, vous mettez les infos et vous apprenez que cinq drones non identifiés ont frappé une infrastructure énergétique ou un dépôt de munitions. Selon les analystes, la trajectoire des drones montre qu’ils viennent de Russie, mais Moscou dément. C’est là que les gouvernements doivent se positionner : comment réagir ?”
Eviter l’escalade n’est pas une option, pour Dmytro Kouleba. “Vous pouvez essayer, mais ce n’est pas une stratégie tenable. Cela ne fait que retarder l’échéance. J’espère que cela n’arrivera jamais, mais vous devez commencer à considérer que le risque de guerre est réel”. Le public se montre très attentif aux propos de cet orateur charismatique, qui parle d’expérience, dans un anglais parfaitement maîtrisé. Mais les étudiants ont des difficultés à envisager la possibilité d’une guerre impliquant la France.
“Il faut resituer dans le contexte : c’est quelqu’un qui défend la position de l’Ukraine”, se raisonne Maxime Clavel, 18 ans, étudiant en première année. “Je ne pense pas qu’une guerre sur le territoire français pourrait advenir dans les prochaines années. Il a peut-être cherché à grossir un peu le trait à des fins politiques.”
“La Russie appuie sur nos failles et nous affaiblit déjà un peu, donc bien sûr qu’il faut être vigilant”, tempère Manon Ségalat, 20 ans, également en première année. “Mais j’arrive pas trop à me représenter la chose parce qu’on vit en paix depuis tant de temps, on n’arrive pas à croire que ça puisse arriver”, reconnaît-elle.
“On l’a oublié, mais les jours qui précédaient l’invasion russe en Ukraine, le consensus en Europe était qu’il n’y aurait pas d’attaque. C’était une erreur. S’il vous plaît, ne refaites pas la même”, a conclu Dmytro Kouleba.