Des restaurateurs réagissentComment ça, la pizza et la carbonara sont américains?

Raphaël Ferber
Quelques mois après la remise en question de certains plats typiquement italiens par l'historien Alberto Grandi, nous avons demandé l'avis de restaurateurs en Moselle et au Luxembourg.
Stéphane Carissimi, gérant de la pizzeria qui porte son nom à Metz:
Stéphane Carissimi, gérant de la pizzeria qui porte son nom à Metz:
© Raphaël Ferber/RTL

C’est ce qui s’appelle lancer un pavé dans la sauce tomate. En mars dernier, l’historien Alberto Grandi relançait la polémique autour de plats traditionnels italiens qui seraient au moins autant américains qu’italiens, voire totalement américains. Auteur de bouquins sur le sujet (Dénomination d’origine inventée, 2018, Mondadori) et habitué à faire le buzz, il épingle ainsi la carbonara, le parmesan et le tiramisu. Et même la pizza qui, à l’en croire, s’est largement démocratisée à New York avant même la Première Guerre Mondiale, quand elle n’était encore qu’un plat modeste concocté dans les cuisines des Italiens les plus pauvres au moment du deuxième conflit international.

Dès lors, nous sommes allés sonder des restaurateurs italiens en Moselle et au Luxembourg. On a vite compris que les explications d’Alberto Grandi restaient en travers de quelques gorges. “Je n’ai jamais entendu ça. Les carbonaras, c’est italien”répond Stéphane Carissimi, gérants des pizzerias qui portent son nom, à Metz et Woippy.

Qu’il existe une histoire commune entre les États-Unis et l’Italie n’est pas un secret. À la fin des années 1800 et jusqu’au milieu des années 1900, une vague d’immigrés italiens fuyant la misère économique de leur pays ont traversé l’Atlantique. Cela a donné naissance à des quartiers spécifiques, souvent appelés “Little Italy”. Aujourd’hui encore, Little Italy est un quartier très populaire de Manhattan à New York, quoique sa superficie a diminué depuis, notamment avec l’expansion de Chinatown. Durant la Seconde Guerre Mondiale, plus d’un million de jeunes soldats d’origine italienne ont servi dans l’armée américaine.

Ainsi, l’historien Alberto Grandi souligne que l’origine des pâtes carbonara remonterait justement aux dernières années du deuxième conflit mondial, lorsque les troupes américaines se trouvaient en Italie. Selon lui, c’est en 1944 à Riccione (en Émilie-Romagne) que les soldats américains ont eu l’idée d’ajouter des pâtes au bacon et aux oeufs qui constituaient leur petit-déjeuner. Ils venaient de créer, sans le savoir, la recette des pâtes à la carbonara dont la recette a été répertoriée en 1952 à Chicago - toujours selon Grandi -, puis reprise par la cuisine italienne, laquelle a intégré le guanciale dans les années 1990.

À la table de la pizzeria Carissimi, le cousin du patron, Paulo, se mêle à notre discussion. “La carbonara, c’est romain. Au départ, on mélangeait de la pancetta, de l’oeuf et des pâtes. Pas de crème. Le guanciale a remplacé la pancetta plus tard” argue t-il, “surpris” des propos qu’on lui rapporte d’Alberto Grandi: “jamais je n’avais entendu dire que les carbonaras étaient un plat américain”. Quant au fait que le parmesan du Wisconsin ressemble le plus au format d’origine du parmesan selon l’historien, Paulo tranche en peu de mots: “Parmesan, comme son nom l’indique, ça vient de Parme!”

Au Luxembourg à Clausen, Leonardo De Paoli, chef italien du restaurant OiO, se montre plus mesuré: “il y a beaucoup de plats qu’on pense strictement italiens, mais qui sont influencés par les Etats-Unis” reconnaît-il. “Certains immigrés italiens, une fois qu’ils ont gagné un peu d’argent aux Etats-Unis, se sont mis à ajouter de la viande à des plats modestes typiquement italiens. Est-ce que ça en fait des plats italiens ou américains? On peut en discuter, je pense.”

Il nous sert un autre exemple: “Moi, je suis originaire de Vérone. L’Autriche n’est pas loin. Souvent, on compare notre mentalité à celle des Allemands: on est organisés, carrés. Et ça, ça se retrouve aussi dans la cuisine du nord de l’Italie, qui n’est pas du tout la même que celle du sud.”

Pour lui, la définition de ce qu’est un plat italien est dans certains cas “impossible.” Et ce n’est d’ailleurs pas le plus important. “L’Italie est très attachée aux traditions. Mais ils y a 50, 60, 70 ans, les gens s’en foutaient de la tradition. Ils voulaient juste manger à leur faim.”

Quand on est sûr de ses traditions, on ne peut pas vraiment être vexé par les remises en question des autres. L’Italie est très attachée à sa cuisine mais on peut toujours discuter (Leonardo Di Paoli, chef du restaurant OiO à Luxembourg)

Une pizza Margherita pour la Reine !

Et la pizza dans tout ça ? “Elle est née à Naples, une ville très pauvre, à partir des restes des pâtes à pain. Chacun ramenait un ingrédient, des tomates, des anchois, le fromage maison etc. C’est comme ça que la pizza napolitaine a été créée bien avant les années 1900" argue Stéphane Carissimi. C’est l’histoire de la pizza originelle, “qui était une sorte de galette de pain sur laquelle les Italiens étalent, dès le Moyen-Âge, ce qu’ils ont sous la main” entend t-on par exemple, dans l’émission “Historiquement vôtre” d’Europe 1. L’histoire retient surtout l’année 1889, lorsqu’un pizzaiolo napolitain a confectionné une pizza aux couleurs de l’Italie à la reine Margherita... ce qui a donné naissance à la pizza Margherita, basée sur la tomate, la mozzarella et le basilic. “Mais il y avait des pizzerias en Italie bien avant les années 70" ajoute Paulo, en contradiction avec d’autres affirmations de l’historien.

Leonardo Di Paoli, lui, prend les choses avec philosophie. “Que la pizza ait été inventée ailleurs qu’en Italie, ça ne m’étonnerait pas” nous répond t-il, avant de raconter: “la première fois que je suis allé dans une pizzeria dans la région de Vérone, c’était dans les années 80. Avant cela, pourquoi aller dans une pizzeria manger un plat modeste? La pizza, c’est comme les crêpes, c’est facile à faire.” Au fond, le chef de l’OiO ne voit pas vraiment où est la polémique: “Quand on est sûr de ses traditions, on ne peut pas vraiment être vexé par les remises en question des autres. L’Italie est très attachée à sa cuisine mais on peut toujours discuter. La cuisine, ça évolue constamment.”

Pour mettre tout le monde d’accord, Stéphane Carissimi conclut en plaisantant : “Si les Italiens n’ont rien inventé, alors on peut dire qu’ils ont tout amélioré!”

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