
“Notre histoire familiale est inscrite dans l’Histoire avec un grand H”: descendante d’une famille de martyrs d’Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne), Marie-Cécile Rogissard, originaire du village de Charly, en Moselle, veut “transmettre” cette mémoire afin qu’elle ne s’éteigne pas, à des centaines de kilomètres du Limousin.
A quelques jours de la commémoration du massacre d’Oradour-sur-Glane, village de Haute-Vienne dont la population fut massacrée par la division SS Das Reich le 10 juin 1944, les préparatifs s’organisent aussi en Moselle, dans le village de Charly, près de Metz, rebaptisé Charly-Oradour en 1950.
Trente-neuf Mosellans expulsés de Charly ont été massacrés dans le Limousin. Cinq autres venaient de Montoy-Flanville, à quelques kilomètres de là.
Parmi les martyrs, six membres de la famille Girard, dont Marie-Cécile Rogissard est une descendante. A 73 ans, elle explique à l’AFP souhaiter avant tout “transmettre” cette histoire, au sein de sa famille et dans toute la Moselle.
“Mes parents ont été expulsés (de Charly) en novembre 1940", alors que la Moselle était occupée par les Allemands et que les membres de sa famille avaient décidé de rester Français.
Au total, 79 habitants de Charly et de Montoy-Flanville sont arrivés à Oradour-sur-Glane le 17 novembre 1940.
La famille de Marie-Cécile Rogissard était alors composée de ses grands-parents, de son oncle, sa tante et leurs deux enfants, ainsi que de ses parents et de deux de ses soeurs. Elle a été logée dans une “petite ferme” d’Oradour. “Mon oncle et mon grand-père étaient agriculteurs, mon père, lui, était menuisier”, détaille-t-elle.
C’est parce qu’il ne travaillait pas sur l’exploitation, et parce que la famille s’agrandissait, avec la naissance de trois enfants entre 1941 et 1943 que les parents de Mme Rogissard ont quitté la ferme pour trouver un logement “à quelques kilomètres d’Oradour, dans un petit village qui s’appelle Javerdat”, retrace Mme Rogissard.
Ils n’étaient donc pas sur place lors du massacre. “Ils ont vu des fumées, voilà les témoignages qu’ils ont rapportés”, souffle-t-elle. “Et mon père était présent lorsqu’il a été décidé de déblayer les décombres”.
À la ferme où vivait le reste de la famille Girard expulsée de Moselle, un corps, “qui avait été jeté dans un puits dans la cour”, a été retrouvé. “C’était ma grand-mère. Ma grand-mère a été fusillée devant la porte de la maison, et elle a été jetée dans le puits.”
Marie Girard a été la seule victime retirée du puits. “Les sauveteurs ont vu des corps, mais c’était profond, c’était difficile d’accès (...) alors ils ont jeté de la chaux dans le puits”.
Constant Girard, le grand-père de Marie-Cécile Rogissard, son fils Charles, sa belle-fille Clothilde ainsi que leurs deux fillettes, Yvette et Jeanine, nées en 1935 et 1937, sont morts dans le massacre.
En 1945, les parents de Mme Rogissard sont rentrés vivre dans leur maison en Moselle. “Ni mon père, ni ma mère, ne nous parlaient à nous, enfants, de ce qui s’était passé”, explique-t-elle, évoquant un “tabou” dans la famille.
“Parfois, ma mère nous parlait de la vie qu’ils avaient. Elle aimait bien le Limousin, ses paysages... Mais jamais elle n’a parlé de ce qui s’était passé le 10 juin.”
Aujourd’hui, Mme Rogissard se sent “un rôle de passeur de mémoire au niveau de la Moselle mais aussi au sein de (sa) famille”, d’abord auprès de ses enfants, puis de ses petits-enfants. Cette année, une dizaine de ses neveux et nièces suivront le voyage organisé au départ de Charly-Oradour pour une quarantaine de personnes vers Oradour le 8 juin.
Dans le village mosellan de 600 habitants, un mémorial a été érigé à la mémoire des victimes, et les commémorations ont lieu tous les ans. Mais à des centaines de kilomètres du Limousin, “la mémoire ne subsiste peut-être pas autant qu’on l’aimerait”, regrette Marie-Cécile Rogissard, par ailleurs membre du bureau de l’Association nationale des familles de martyrs d’Oradour-sur-Glane.
“Tous les ans, avant le 10 juin, nous allons dans la classe des élèves de CM1, CM2, pour témoigner. Parce que la mémoire, ça passe par les enfants qui habitent à Charly-Oradour”, qui organisera une cérémonie le 16 juin.