Céline a été victime d'une piqûre à la seringue commise durant la fête nationale au Luxembourg, le 22 juin dernier. Une mauvaise blague? Non, une agression intolérable, qui cible principalement des femmes, et qui a laissé sur cette jeune Française des séquelles physiques et psychologiques. Voici son témoignage, ainsi que la réponse de la police.

"J'étais sur la place du Théâtre, à Luxembourg [...] Je me suis décalée de quelques mètres de mes autres amies, et c'est à ce moment-là que la personne est passée derrière moi, m'a piquée en bas de la fesse. J'ai sursauté, et je me suis retournée. J'ai juste eu le temps de voir la personne partir en courant dans la foule" raconte Céline.

"Sur le moment, j'ai juste senti une aiguille rentrer. Sur le coup du stress, on ne sent pas forcément la douleur. [...]  La première chose qui m'est venue en tête, c'était d'aller voir directement mes amies. Parce qu'on ne sait jamais si une drogue a été injectée, ou quoi que ce soit. Donc je dirais que ce sont les premières minutes qui sont les plus stressantes, car on ne sait jamais si on va s'évanouir. Et c'est une amie qui m'a trainée jusqu'à la sécurité pour demander..."

Céline (prénom modifié) ne parvient pas à finir sa phrase. Agitée de sanglots, elle essuie ses larmes.

Il faut beaucoup de courage pour témoigner d'une agression. Cette Française de 18 ans, qui fait actuellement un stage au Luxembourg, a décidé d'en parler. Avec dignité, même si le traumatisme est toujours vif. Elle est, à l'heure où nous écrivons, le seul cas "recensé" par les autorités de piqûre à la seringue lors de la fête nationale, le 22 juin dernier à Luxembourg-Ville. Mais selon nos informations, d'autres victimes auraient aussi été agressées ce soir-là (lire à la fin de l'article).

Céline reprend son récit. Avec ses amies, "Nous sommes allées voir la sécurité, qui a appelé l'hôpital pour savoir exactement ce qu'il fallait faire. Ils m'ont dit de porter plainte, et qu'il y avait aussi des caméras sur le lieu du festival."

Accompagnée par ses amies, elle prend un premier taxi pour se rendre à l'hôpital du Kirchberg, avant de se rendre compte qu'il n'y a pas de service d'urgence la nuit. Elles repartent donc pour finalement arriver au centre hospitalier de Luxembourg (CHL), vers minuit.

Elle ne sait toujours pas si on lui a injecté quelque chose

"À l'hôpital, j'ai été bien accueillie, d'abord aux urgences ensuite au secteur des maladies infectieuses. On m'a expliqué qu'il fallait faire une première prise de sang, mais que cela n'allait pas tout révéler dans un premier temps, et qu'il faudrait que je revienne 6 semaines plus tard pour une autre prise de sang". Céline nous montre un document de l'hôpital qui détaille les analyses en question.

Une situation angoissante : elle ne sait toujours pas si l'agresseur lui a injecté quelque chose. Elle doit patienter pendant des semaines, avec la crainte d'une infection par une maladie transmissible par le sang, comme le VIH, une hépatite...

Et ceux qui croient que piquer quelqu'un avec une seringue "vide" est inoffensif se trompent lourdement. D'abord, le fait de piquer plusieurs personnes avec la même seringue peut provoquer des infections. Ensuite, une injection d'air avec une seringue peut entraîner une embolie gazeuse (lorsqu'une bulle d'air provoque l'obstruction d'un vaisseau sanguin).

Lors de sa visite à l'hôpital, Céline apprend aussi quelque chose d'inquiétant : des membres du personnel lui ont "expliqué aussi que je n'étais pas la première femme à être venue ce soir-là pour des questions de piqûres sauvages. [On m'a dit] qu'il y en avait déjà eu avant moi, et qu'il risquait d'y en avoir après, car il était seulement près de minuit quand on est arrivées."

La police lui aurait dit que "porter plainte contre X allait être long et compliqué"

Après cette soirée très éprouvante, Céline a pu rentrer se coucher. Le lendemain, avec un ami, elle est allée à la police luxembourgeoise pour porter plainte. Malgré une attente de plus de 2h, "J'ai été bien accueillie par la police. Mais au moment de porter plainte, la police m'a avoué qu'une procédure pour porter plainte contre X allait être longue et compliquée, et qu'il valait mieux déclarer un "fait", signaler à la police, mais que je n'aurais pas eu d'enquête sur ce qui s'est passé. Comme j'avais attendu deux heures, je n'ai pas insisté." 

Le regrette-t-elle? "Peut-être. J'aurais dû un peu plus forcer." Mais en même temps, poursuit-elle, son stage au Luxembourg s'achève bientôt, "donc je n'avais pas forcément envie de devoir retourner au Luxembourg, faire des démarches..."

Hélas, qui sait si une plainte et une enquête n'auraient pas débouché sur l'identification de son agresseur, notamment grâce à l'exploitation des caméras de vidéosurveillance en ville?

Nous avons contacté la police luxembourgeoise, qui nous a fait parvenir ce matin sa réponse au sujet de ce phénomène d'agression à la seringue au Luxembourg (lire à la fin de l'article).

 "Ça fait 3-4 jours que j'ai une sciatique avec des douleurs dans le dos, des difficultés à marcher..."

Nous demandons à Céline de décrire les conséquences physiques de l'agression. Quelques heures après, elle a constaté qu'elle avait une marque et "des douleurs au niveau de la zone où j'ai été piquée".

Ensuite, "le lendemain, j'ai eu des douleurs de la zone de la piqûre jusque dans mes pieds, dans le trajet de la jambe. Quelques jours plus tard, c'est remonté dans le dos. Et là, ça fait 3-4 jours que j'ai une sciatique avec des douleurs dans le dos, des difficultés à marcher. J'ai aussi des atteintes au niveau des racines nerveuses."

Ces symptômes pourraient être dus "à la piqûre que j'ai eue au niveau du bas de la fesse. C'est là où passe le nerf sciatique. On pense qu'en piquant, ça a dû créer une inflammation et que ça a touché le nerf qui était déjà fragile". Pudique, Céline ne s'étend pas sur le sujet, mais elle nous a confié qu'elle souffrait déjà d'une maladie chronique au moment de l'agression.

"Je suis suivie par un kiné, c'est d'ailleurs lui qui m'a fait un bilan pour savoir si mon nerf était touché ou non. C'est là qu'il s'est rendu compte que j'avais une perte de force et de sensibilité".

Et l'impact psychologique ? "C'est déjà beaucoup de stress sur le moment. Enormément. Peut-être aussi... (elle réfléchit) Je ne pense pas que cette agression va faire que je ne vais plus sortir, ou avoir peur. Mais je me suis rendu compte que je faisais plus attention dès qu'il y avait quelqu'un trop proche, derrière moi. Je ne suis plus aussi tranquille."

Envisage-t-elle une thérapie? "Pour l'instant, pas forcément. Ça fait seulement une semaine et demie. Après, je ne dis pas non à une thérapie, peut-être après, quand je rentrerai en France, je ne sais pas" hésite-t-elle.

"Je trouve ça important de témoigner, pour montrer qu'on n'est pas seules"

Pourquoi avoir décidé de témoigner ? "Parce que je trouve ça important d'en parler. Au Luxembourg, c'est encore peu connu, et on parle d'un seul cas recensé. Mais quand j'ai été accueillie par l'hôpital, ils m'ont parlé de plusieurs femmes [qui auraient été agressées]. Beaucoup de femmes ne portent pas plainte, ou ne veulent pas en parler, et je trouve ça important de témoigner pour montrer qu'on n'est pas seules, et que ca arrive plus souvent qu'on ne pense."

Sûrement à cause des réseaux sociaux, poursuit-elle. "Cette vague de piqures sauvages a été amenée par une invitation sur les réseaux à en faire le plus possible, comme un défi."

Rappelons qu'en France, dans la nuit du 21 juin et à la suite de publications sur les réseaux sociaux appelant à "attaquer et à piquer des femmes lors de la Fête de la musique", 145 victimes de piqûres se sont manifestées auprès des services de police. Des cas ont été recensés à Metz ou Thionville. En France, le fait de piquer quelqu'un avec une seringue vide, ou d'appeler à le faire, peut être puni de 3 ans d'emprisonnement. S'il y a une drogue dans la seringue, la peine peut grimper à 10 ans de prison.

Et au Luxembourg, que risquent les agresseurs ? Nous avons contacté le Parquet général de Luxembourg. Après quelques recherches -car les agressions à la seringue sont un phénomène nouveau - il nous informe que :

  • agresser quelqu'un avec une seringue vide est passible d'une peine de prison allant de huit jours à quinze ans, selon la gravité des blessures et le caractère prémédité de l'agression.
  • Si la seringue contient des drogues ou des substances nocives, la peine est considérablement aggravée, allant de trois mois à vingt ans de prison, selon que la substance a causé une maladie, un handicap ou le décès.

La piste d'attaques sexistes, alimentées par des défis stupides sur les réseaux sociaux... 

Une tendance se dessine par contre plus clairement : ces agressions ont visé majoritairement des femmes et des adolescentes. "Je ne sais pas si ce sont des agressions sexistes, je pense que pour la majorité oui, mais après, il y a aussi des hommes qui sont piqués, même si c'est une minorité" réagit Céline. "En fait, je pense qu'il y a plusieurs choses. Il y a des personnes qui ont piqué pour profiter de la personne, avec des drogues. Je pense qu'il y en a d'autres pour se sentir, on va dire, plus fort, pour créer une sorte de peur chez la personne. Peut être qu'il y en a d'autres pour montrer qu'ils sont en désaccord sur la tenue vestimentaire, ou sur le fait qu'on sorte faire la fête. Après, je pense qu'on ne peut jamais trop savoir ce qu'il se passe dans la tête de ces agresseurs."

Enfin, que répond-elle à ceux qui minimisent, en disant qu'elle a "juste" été piquée avec une aiguille, pas un couteau?

"Peut-être que c'est moins grave d'être piqué avec une aiguille qu'un couteau, mais ça reste une agression physique. Et ce que je trouve le pire dans cette agression, c'est qu'on ne sait pas réellement avec quoi la personne a piqué. Où est-ce que l'aiguille a traîné. Si quelque chose a été injecté ou non. Ça engendre beaucoup de stress."

Réponse de la police : "C'est à la victime de décider si elle souhaite porter plainte"

Ce mercredi matin, la police grand-ducale nous a fait parvenir une réponse concernant les agressions à la seringue au Luxembourg. Première information : une plainte a été déposée pour des faits "qui pourraient éventuellement être liés à ce type d'agression. Il s'agit d'une personne qui s'est présentée le 26 juin 2025 à un commissariat de Police et a déposé une plainte. Elle a déclaré avoir été à Luxembourg-ville dans la soirée du 22 juin 2025 et avoir ressenti une légère douleur lancinante suivie d'une légère démangeaison. Peu après, elle a ressenti des douleurs au niveau des hanches, à la suite de quoi elle s'est rendue à l'hôpital pour subir un examen médical. Une enquête a été ouverte à ce sujet" nous écrit la police. Reste à voir donc s'il s'agit bien d'une autre agression à la seringue.

Quant à la tentative de dépôt de plainte de Céline, le 23 juin dernier, la police rapporte qu'elle "a déclaré avoir ressenti, dans la nuit de dimanche à lundi, une piqûre qui ressemblait à celle d'une seringue alors qu'elle faisait la fête sur la place du Théâtre à Luxembourg-Ville. La femme a déclaré ne ressentir aucune douleur ni aucun autre symptôme inhabituel. Elle s'est toutefois rendue à l'hôpital par mesure de précaution afin de se faire examiner. Aucune plainte n'a été déposée à ce jour, nous ne disposons donc d'aucune information sur la suite."

Céline affirme que l'agent de police l'aurait découragé de porter plainte. "C'est à la victime de décider si elle souhaite porter plainte. L'agent de Police informe le citoyen des démarches possibles et ce dernier décide alors s'il souhaite porter plainte" nous répond la police. Mais le signalement fait par Céline a néanmoins une utilité, ajoute la police : "Ces informations peuvent être enregistrées afin de conserver une trace de la déclaration. Cela peut par exemple s'avérer utile si la victime décide de porter plainte ultérieurement."

[EDIT] Céline nous a contacté le 7 août pour nous annoncer les résultats de sa prise de sang. Bonne nouvelle, "les résultats sont négatifs", bref aucune substance suspecte n'a été retrouvée dans son sang. Un soulagement évident pour la jeune femme, mais qui ne doit pas minimiser la gravité de l'agression qu'elle a subie.

Appel à témoignage

Vous souhaitez signaler une agression à la seringue / aiguille, survenue au Luxembourg ou dans la proche région? Vous avez vous-même déjà pratiqué ce type d'agression et vous souhaitez en parler? Vous pouvez nous contacter en envoyant un mail à notre journaliste (romain.vandyck@rtl.com). Anonymat garanti.