La Fondation Idea a présenté ce jeudi 3 avril quatre scénarios de réforme des retraites, dont le débat est en cours au Luxembourg. On les décrypte.

Que faire pour régler l'épineux dossier de réforme des retraites, dont le Luxembourg débat depuis fin 2024 ? Face à la complexité politique du sujet, et les données chiffrées à prendre en compte, la Fondation Idea a publié ce jeudi quatre scénarios envisageables.

Contrairement à la position des syndicats, qui assurent qu'une réforme n'est pas urgente, Idea n'y va pas par quatre chemins : il faut réformer sans attendre. "Plus nous retardons l'effort, plus celui-ci sera important. Il sera deux à trois fois plus violent si l'on attend 20 ans" assure Muriel Bouchet, économiste et auteur de l'étude présentée. De toute façon, "ne rien faire n'est pas une option" avait anticipé Martine Deprez lors du débat organisé avec les députés en mars.

Les dernières prévisions de l'IGSS, annonçant un système déficitaire dès 2026, poussent le Luxembourg à devoir agir : à quoi bon avoir un des systèmes les plus généreux au monde si celui-ci est financièrement promis à la ruine ? Car le nombre de retraités va augmenter drastiquement, et les travailleurs ne pourront plus financer le système si celui-ci n'évolue pas.

"Le vieillissement est une réalité à laquelle le Luxembourg échapperait à une seule condition : attirer toujours plus de travailleurs" fait remarquer le directeur d'Idea, Vincent Hein, en préambule de la présentation de leurs travaux. Mais le marché du travail et la croissance économique ne sont pas des leviers sur lesquels compter indéfiniment.

Quatre scénarios pour une retraite garantie au Luxembourg

Muriel Bouchet, et Jean-Baptiste Nivet, économiste également, ont donc planché sur quatre scénarios pour pousser le gouvernement à réfléchir. Avec l'ambition de "garantir l'avenir du premier pilier" des retraites du régime privé, à savoir la pension garantie par l'État, à laquelle chacun cotise :

  • une réforme "Écureuil", économe pour l'État mais forcément plus dure pour la population
  • une réforme "Sociale", avec davantage de mesures favorables aux besoins des travailleurs
  • une réforme "d'âge", avec un allongement progressif des carrières pour soutenir le système
  • une réforme "pilotage automatique", purement technique, avec une adaptation mécanique des dépenses et des rentrées d'argent

Loin d'être des formules "à prendre ou à laisser", les quatre scénarios servent surtout à "nourrir la réflexion" du gouvernement, explique Muriel Bouchet.

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Luc Frieden, Martine Deprez et Serge Wilmes lors du débat de consultation sur la réforme des retraites le 19 mars 2025. / © Chambre des députés / Flickr

De ces quatre scénarios, le 4e est sans aucun doute le plus simple et le plus brutal : si le système des retraites est déficitaire, le mécanisme vient rogner les dépenses et gonfler les recettes pour garantir l'équilibre. Simple et efficace, mais à l'opposé des trois premiers, qui prennent en compte davantage de facteurs. Tous ont néanmoins un avantage : garantir l'équilibre du système des pensions à long terme et, cerise sur le gâteau, maintenir une réserve plus que confortable (entre deux et quatre années de dépenses, selon la formule choisie).

Les trois premiers sont eux fidèles à leur dénomination. À savoir mettre l'accent soit :

  • sur des économies en faveur pour l'État
  • sur l'amélioration de la qualité de vie des travailleurs retraités
  • sur l'allongement des carrières pour suivre l'augmentation de l'espérance de vie

Avec toujours un souci d'équilibre financier et un maintien du "contrat social entre les générations". Traduction : les travailleurs d'aujourd'hui ne peuvent pas être sacrifiés en faveur de leurs aînés.

"Nos propositions sont certes un peu techniques mais elles ne sont pas sortie d'un chapeau magique" assure Muriel Bouchet, l'auteur de l'étude.

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1/ La réforme "Écureuil", ou comment faire un maximum d'économies

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© Envato

Garantir l'équilibre financier du système luxembourgeois, c'est la priorité n°1 affichée lors du débat sur les retraites. C'est aussi celle d'Idea. "La réforme va droit au but" explique-t-il.

La réforme propose une hausse des recettes et un rognage des dépenses. Notamment de limiter (voire supprimer) l'accès des pensionnés les plus favorisés à l'allocation de fin d'année (environ 980€ par an) dès 2027. Et de réduire le lien entre les pensions et les salaires réels. Car en plus de l'index, les retraites sont revalorisées régulièrement et suivent le niveau des salaires luxembourgeois.

Un plan "50+1" s'étendrait en parallèle sur quasiment trois décennies. Il reviendrait à "écrémer" graduellement les pensions les plus importantes à l'horizon 2052 en augmentant la part forfaitaire des retraites, tout en diminuant la part proportionnelle. "Le tout en préservant les petites pensions" rassure l'économiste.

La cotisation d'assurance dépendance, visible sur votre fiche de paie, serait également adaptée à la hausse. "On préfère cette mesure à une hausse globale des cotisations, elle a une base plus large."

Les frais administratifs de la CNAP seraient finalement repris par l'État. Enfin, une "surveillance conditionnelle" viendrait s'assurer, à intervalles réguliers, que le système est durable (économiquement parlant).

Sur les pensions mensuelles, les retraités les plus fortunés (9.000€ par mois) seraient les plus mis à contribution et perdraient en pouvoir d'achat. Tandis que les autres (2.500€ et 4.000€ par mois) seraient relativement protégés au cours des prochaines années.

Ainsi, pour une pension de 4.000€ par mois, le montant mensuel de la retraite augmenterait bien plus lentement que si rien n'était fait. Autour de 2.500€ de retraite, le montant de la retraite en 2052 augmenterait de plus de 15%.

2/ La réforme "Sociale", plus acceptable pour le plus grand nombre

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© CDC / Unsplash

"Là, c'est limpide, on inverse la logique par rapport à la précédente" explique Muriel Bouchet. La priorité n'est donc pas de faire des économies mais d'améliorer les pensions, tout en garantissant la stabilité du système.

L'allocation de fin d'année serait conservée pour une personne à la pension minimum. Et le lien entre pensions et salaires réels serait à nouveau utilisé, mais de manière bien plus ciblée. En revanche, la pension minimum pour une carrière complète (environ 2.300€ en 2025) serait augmentée de 10%. "Ça permettrait de réduire le taux de risque de pauvreté chez les personnes âgées et réduirait la différence entre les hommes et les femmes sur le volet des retraites." Car justement, la pension minimum est majoritairement perçue par des femmes.

Au volet des recettes, Idea suggère de déplafonner les cotisations (aujourd'hui bloquées autour de 13.000€) pour faire cotiser employés, entreprises et État à hauteur de 3% sur les salaires très élevés. Ces 3% donneraient bien sûr droit à un retour (indirect) à la retraite.

Ainsi, cette réforme "Sociale" abaisserait forcément les retraites les plus élevées (celles d'environ 9.000€) mais améliorerait significativement le pouvoir d'achat des pensionnés les moins bien lotis.

3/ La réforme "d'âge", qui allongerait votre carrière

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Rallonger les carrières des travailleurs du Luxembourg ? C'est une des pistes évoquées par la Fondation Idea. / © Shutterstock

Aujourd'hui, le Luxembourg est champion d'Europe des pensions longues : elles durent 25 années en moyenne. Et puisque l'espérance de vie augmente et que le système est déjà bien généreux, Idea propose donc d'allonger les carrières pour que cette durée n'augmente pas. Mais impossible de simplement augmenter l'âge de la retraite, il faut "accompagner" assure Muriel Bouchet.

Les trois âges de départ à la retraite (57 ans, 60 ans et 65 ans) et la durée d'une carrière seraient donc progressivement décalés vers le haut, en suivant l'espérance de vie. "Cela ferait deux ans de plus à travailler d'ici 2050" estime Muriel Bouchet. Ce qui offrirait des retraites plus élevées, en échange d'une carrière plus longue. Pour limiter le coût, la mesure serait donc associée à un "coefficient de longévité" qui réduirait les pensions progressivement.

Pour encourager les départs plus tardifs à la retraite, Idea imagine aussi un "bonus" accordé à ceux qui décaleraient volontairement leur retraite.

S'y ajouteraient des mesures plus sociales : une retraite partielle pour réduire son temps de travail et partir en douceur, et une gestion plus dynamique de fin de carrière (en matière de pénibilité par exemple).

Concrètement, sur la fin de mois, les retraités y seraient tout de même gagnants dès les prochaines années et jusque dans les années 2050. Un bémol toutefois à ce scénario d'Idea : il transgresse la promesse du gouvernement de ne pas toucher à l'âge des 65 ans.

4/ La réforme "pilotage automatique", l'équilibre mathématique avant tout

C'est la réforme la plus "mathématique" : le mécanisme augmente les cotisations et réduit les prestations en fonction de l'équilibre du système.

Avec un seul objectif : que les comptes du Luxembourg restent dans le vert. Cela signifie qu'en cas d'équilibre, le système ne serait pas déclenché. Et en cas de dérapage, il s'activerait.

Les pensions pourraient toutefois baisser jusqu'à 20% d'ici 2050, par rapport à une politique inchangée. Avec des adaptations à prendre par le gouvernement en tripartite, en cours de route, pour atténuer les effets négatifs par exemple.

"On propose une évolution, pas une révolution. Les réformes sont conçues pour faire réfléchir, ce sera le travail du gouvernement de combiner ça au mieux" conclut Muriel Bouchet. Le gouvernement, qui a symboliquement reçu les travaux d'Idea, aura justement à charge de poursuivre son long tour de table jusqu'au 24 avril. "D'ici là mi-mai, on connaitra les positions de tous" a annoncé la ministre lors de la table ronde organisée ce jeudi.