
© AFP
Aujourd'hui, "un bon employé qualifié peut pratiquement demander ce qu'il veut niveau salaire", répond le représentant des patrons boulangers-pâtissiers au Luxembourg. Main d'oeuvre, flexibilité, inflation... Il revient sur les difficultés dans son secteur.
"Les difficultés dans notre secteur ? Déjà, le personnel ! On n'a pas assez de personnel qualifié, c'est le plus grand problème" répond Jean-Marie Neuberg, de la boulangerie Jos & Jean-Marie.
Les temps restent durs pour les boulangers, constate cet artisan qui est le représentant des patrons boulangers-pâtissiers au sein de La Confédération Liewensmëttelhandwierk.
À commencer donc par la main d'oeuvre qualifiée, une ressource précieuse qui se fait toujours rare. Les salaires sont-ils peu attrayants ? Il ne croit pas : "Les salaires ont augmenté. On peut presque dire que si vous avez un bon ouvrier qualifié, il peut demander ce qu'il veut niveau salaire. Car vous n'avez aucun intérêt à le laisser partir."
D'autant que les index (déclenchés à trois reprises, rien qu'en 2023) sont passés par là. "Pour les grandes firmes, la masse salariale, c'est 20% environ de leurs charges, donc elles peuvent amortir ces index. Mais pour les petits et moyens artisans, c'est 50%, 60%, voire plus, donc plusieurs index de 2,5%, c'est très lourd. Et on ne peut pas les répercuter intégralement sur le prix des produits."

© Shutterstock
De la boulangerie... aux Ponts & Chaussées !
Autre solution pour attirer la main d'oeuvre : la flexibilité. "On dit souvent que ce sont les employeurs qui demandent plus de flexibilité aux salariés, mais c'est le contraire ! Demain, je peux avoir 20 employés supplémentaires si on leur accorde la semaine de 4 jours de travail, à 10h par jour. Le salarié aurait trois jours de repos par semaine, moins de frais de transports, etc. Ce serait win-win, beaucoup de salariés le demandent, mais le gouvernement et les syndicats bloquent..."
Autre problème, la fuite des apprentis boulangers vers la fonction publique : "On n'en parle pas assez, mais on voit souvent des apprentis qui sont formés à ce métier, et qui partent ensuite travailler pour l'État. Oui, il y a des gens qui ont le brevet pâtissier qui finissent dans les communes ou aux Ponts & Chaussées! Leur job n'a rien à voir avec leur formation, mais cette formation est utilisée dans leur carrière pour arriver à l'administration luxembourgeoise. Et ça, ce n'est pas normal. Même si on les comprend, ils ont beaucoup plus de congés, d'avantages chez les banques, etc., quand ils travaillent pour l'État."
"Des clients n'ont plus les moyens de se faire plaisir"
Certes, l'inflation s'est calmée ces derniers temps, redonnant un peu d'air à des artisans asphyxiés depuis des mois. Mais les boulangers sont loin d'être tirés d'affaire : "On manque de visibilité sur tout. On ne sait pas comment évoluera la crise énergétique, l'inflation sur les matières premières, etc. Même au niveau des banques ! Certaines entreprises ont fait de lourds investissements, et avec l'envolée des taux, fixes et variables, ça devient un gros problème pour tout le monde."
D'ailleurs, cela se ressent dans le panier des clients des boulangeries : "Oui, certains clients n'ont plus les moyens de se faire plaisir comme avant, de prendre des gâteaux, des pâtisseries en plus du pain."

© AFP
Les boulangers sont-ils nombreux à mettre la clé sous la porte ? "Cette année sera très dure, niveau chiffres, pour tout le monde. Je sais qu'il y a des rumeurs de faillite, que des gens ont dit que cette année, on ne gagnera vraiment pas d'argent, que ce sera une année sacrifiée en attendant que ca s'arrange en 2024. Mais vu le contexte international, c'est mal parti pour 2024 aussi. Je sais aussi que certaines petites boulangeries, avec des patrons âgés, ont effectivement préféré arrêter."
"Dans l'industrie, il y a aussi des produits très biens"
Nous avons publié cette semaine le témoignage d'un employé au Luxembourg qui déplore certaines pratiques dans le secteur de la boulangerie. Notamment l'industrialisation de la fabrication du pain. Est ce que la boulangerie est de moins en moins artisanale au Luxembourg ? "Chacun essaye de faire de la qualité. Mais c'est vrai que certaines boulangeries, qui n'arrivent plus à avoir de personnes qualifiées, sont obligées de réduire leur gamme. Et elles choisissent parfois d'acheter des produits finis, car elles n'ont pas la main d'oeuvre pour faire autrement. D'autant que dans l'industrie, il y a aussi des produits très bien, parfois mieux que chez certains artisans," constate Jean-Marie Neuberg.

© Image d'illustration / AFP
Autre critique récurrente, l'absence d'information sur les produits utilisés pour élaborer le pain et les pâtisseries, et de label pour garantir la qualité des produits. "On a un grand label au Luxembourg, celui des produits du terroir", qu'il utilise d'ailleurs dans sa boulangerie pour ses produits. "Ce sont des farines luxembourgeoises, qui sont 30 à 40% plus chères que les farines classiques".
Quant à l'affichage, "Vous êtes obligé d'avoir dans le magasin une fiche technique de tous les produits. Mais évidemment ce n'est pas affiché sous chaque croissant ou baguette, donc le client peut toujours demander cette fiche technique. C'est normal que les petits et moyens artisans n'aient pas les moyens de faire comme les grandes firmes ou les supermarchés au niveau de cet affichage" nuance-t-il.
D'ailleurs, il voit une exigence de retour vers la qualité : "Même dans les grandes surfaces, ou les grandes firmes du congelé, il y a des exigences de label, de produits bio, sans huile de palme, avec moins de sucre dans les pâtisseries, etc. Donc tout n'évolue pas dans le mauvais sens."
À lire sur ce sujet : Un employé témoigne : ""Dans le temps, la baguette, c'était la levure, le sel, l'eau, la farine, et c'est tout!"