La scène pourrait faire sourire si le contexte n’était pas si tendu. Un jeune des quartiers sensibles de l’agglomération thionvilloise est invité à frapper un policier avec un bâton. Nous sommes sur le tatami de la salle d’entraînement du commissariat de Thionville où huit jeunes passent la matinée. Ils sortent d’un débat animé avec les forces (de l’ordre) en présence, il est temps de se défouler un peu et de faire retomber la tension. Place aux activités et à la visite des installations.
Cette initiative insolite, presque incongrue par les temps qui courent, est celle de Jean-Marc Vaccaro, major de police à la retraite désormais délégué Cohésion Police Population. Depuis une quinzaine d’année, cet adepte de la police de proximité - abandonnée en 2003, “une grossière erreur” selon Jean-Marc -, s’évertue à rapprocher agents et citoyens, en particulier les jeunes. Activités de plein air, visites, échanges, débats... Tout est bon pour “restaurer le lien. Personnellement, j’ai toujours été persuadé du bien-fondé de la stratégie de proximité entre la police et la population. Ces actions qui nous rapprochent des jeunes nous rapprochent aussi des parents. On se rend bien compte que la problématique des carences éducatives est sous-jacente aux violences.”

Depuis mort du jeune Nahel, 17 ans, le 27 juin lors d’un contrôle routier, qui a déclenché plusieurs nuits de violences urbaines dans le pays, le contexte est explosif. Pas de quoi décourager Jean-Marc Vaccaro, ni les éducateurs de l’association Apsis Émergence, partenaire de l’opération.
Ce jour-là, les deux policiers chargés d’accueillir les jeunes s’attendent à de vifs échanges lorsque l’affaire “Nahel” arrive dans la discussion. “Le policier a menti”, “Il n’aurait pas dû tirer, ou alors dans les pneus”. Si Narek et Alik sont plutôt remontés, Asma est plus compréhensive : “On a chacun notre point de vue mais on n’a pas celui du policier en général. Du coup ça a permis de communiquer avec eux parce qu’on ne communique pas forcément tout le temps avec eux.”
Fabien S., formateur en Techniques et Sécurité en Intervention, et Cédric S., responsable Sécurité du Quotidien, tentent d’apporter de la modération aux opinions tranchées des jeunes en présence. “Il faut avoir du recul. On ne sait pas ce qui s’est passé avant”, “On ne peut pas se baser sur cinq secondes d’images”, “Ce collègue ne s’est pas levé le matin en se disant qu’il allait tuer quelqu’un”...
La parole est libre. Et si en général chacun reste sur ses positions, l’échange a le mérite de faire réfléchir toutes les parties.
” Ce qui m’a agréablement surpris, affirme Jean-Marc Vaccaro, c’est combien les plus matures, évidemment, ont pu témoigner de leur respect et de leur compréhension du rôle des policiers dans la société. Et ce qui me fait toujours plaisir, c’est de voir combien les collègues qui se prêtent au jeu de ces actions sont eux aussi satisfaits de la journée qu’ils passent à côté de ces gosses parce qu’ils se rendent bien compte que ce ne sont pas les délinquants des quartiers, ce sont d’abord des enfants.”

Le policier à la retraite, toujours sollicité pour mener ce genre d’actions en tant que délégué Cohésion Police Population, se plaît à conclure sur une anecdote qui confirme le bien-fondé de sa démarche : “Je me rappelle toujours cette expérience. C’était pendant le covid, on devait arriver manu militari en nombre sur une place pour disperser les gens qui ne respectaient plus la distanciation physique et on se disait ça risquait de tourner au vinaigre. Lorsqu’on est arrivés sur l’espace public et le city stade où jouaient des gamins, aussitôt des collègues ont été reconnus par des jeunes qui avaient fait du vélo, du kayak avec eux. Ils sont venus d’eux- mêmes au contact des collègues et machinalement, ça a désamorcé les tensions.”