"Quand on cache toutes les choses qui font mal, on risque de ne pas aller bien". Et le Luxembourg en cache selon le cardinal Jean-Claude Hollerich. Juste avant d'accueillir le pape François, l'Archevêque de Luxembourg, parle de son Église et de ses acteurs, sans tabou.

Qu'attendez de la visite du pape François à Luxembourg ? 

Cardinal Jean-Claude Hollerich: "J'attends que le Pape nous apporte des paroles d'espérance. Parce que Luxembourg est quand même un pays très matérialiste. Nous sommes un pays avec beaucoup de suicides. Nous sommes un pays avec beaucoup de solitude cachée. Nous sommes un pays avec une pauvreté cachée, avec des malheurs cachés. Et quand on cache toutes les choses qui font mal, on risque de ne pas aller bien. Le Pape peut apporter réconfort, espérance et aussi honnêteté.

Si nous n'avons pas de sens dans nos vies, pour être très riches, nous serons malheureux. Jusque maintenant, le sens de la vie était: les salaires augmentent régulièrement. On devient de plus en plus gourmand, je ne dis pas riche, parce que tout le monde n'est pas riche. Mais quand même, on a une vie confortable, comparée au passé. Et jusqu'ici, c'est toujours allé de mieux en mieux. Mais cela n'apporte pas automatiquement le bonheur.

Nous avons des jeunes qui n' ont pas de perspective d'avenir comme dans le passé. Alors il faut donner des perspectives de chemins de bonheur possible. Et je pense que là, le pape est spécialiste.

Il a le cœur ouvert aux pauvres, il a rencontré des gens, des pauvres du monde entier, il les rencontre encore. Par exemple des gens qui ont été dans un des camps en Libye. alors que ce n'est pas dans son programme officie. Il veut voir ces gens qui ont souffert énormément. Et quand on rencontre chaque jour des personnes défavorisées, on change. Et le Pape a changé. C'est un homme qui a été changé par l'Évangile. Il est authentique. Il a l'authenticité nécessaire pour nous proclamer l'Évangile."

Attendez-vous aussi quelque chose des gens qui viendront à sa rencontre ?

"Tout d'abord, j'espère qu'ils vont venir. Parce qu'il semble qu'il y ait la pluie. Alors il y a des gens qui ne vont pas sortir. Il y a des gens qui vont se dire: "je vais voir bien mieux à la télévision", et c'est déjà bien de regarder la télé. Mais ce serait quand même bien si les gens donnaient un accueil chaleureux au Pape. S'il y avait une participation active, généreuse, je pense que ce ne serait pas seulement pour le pape, mais c'est pour soi-même qu'on devrait le faire.

Le Pape a des messages. J' étais pendant cinq ans président de la Comece, la commission des évêques de l'Union européenne pour les dialogues avec les institutions de l'Union européenne et j 'ai toujours rencontré au Parlement européen, à la Commission, des gens qui n 'étaient pas catholiques, mais qui admiraient le Pape. Ils avaient lu son encyclique Laudato Si', et pas seulement lu une fois, mais ils l'avaient étudié. Son encyclique sur la fraternité humaine, Fratelli tutti, tout comme son document conjoint avec le grand imam, c'est fantastique. Les religions qui travaillent ensemble, pour la paix, pour le bien être de l'Homme, pour lutter contre la pauvreté. Et maintenant dans notre monde, la paix est tellement nécessaire. Parce que la guerre peut tout détruire. La guerre apporte la mort. Nous avons besoin de paix et il faut être engagé pour une paix et si on veut la paix, on doit travailler pour la justice."

Quelle est cette "rose d 'or" que le pape apporte dans ses valises ?

"C'est une reconnaissance spéciale du pape. Au début, des personnes, des monarques. Je pense que la Grande-Duchesse Charlotte était la dernière monarque catholique qui l'ait reçu. Par après on en est venu à la donner à des sanctuaires de Notre Dame. Fatima, je pense, Aparecida au Brésil ou encore un sanctuaire marial à Maltes. C'est donc un honneur pour nous que la Consolatrice des Affligés, dont nous fêtons le 400e anniversaire, soit rangée à côté de ces sanctuaires mariaux européens."

Quelle proximité avez-vous avec le pape?

"Ces dernières années, je le vois pour la préparation du synode, tous les mois. Je l'admire. Pour sa proximité avec l'Évangile. Il dit des choses qui me touchent au fond du cœur et qui me font changer de vie."

RTL

© Maurice Fick / RTL

Parlons de l'Église catholique luxembourgeoise. Séparation de l'Église et de l'État, abus sexuels et Covid-19, lui ont porté des coups durs. Quelle est l'ampleur de la crise aujourd'hui ?

"Tout d'abord Je voudrais parler de ces terribles abus sexuels dans l'Église. Tout d 'abord, il y a abus sexuels sur mineurs, et dans les derniers temps, comme avec l'Abbé Pierre, on parle aussi d'abus de pouvoir qui devient abus sexuels sur des femmes collaboratrices. Et cela me fait un mal énorme. C'est vrai que cela existe dans toute la société et que l' Église en est seulement une petite partie. Mais nous avons la mission d'annoncer l'Évangile. Et l'Évangile est là pour que les gens puissent être heureux. Alors un tel abus, c'est le contre-Évangile. C'est le contraire de ce que nous annonçons. Et que cela ait eu une telle place dans l'Église, me fait mal et j'en ai honte.

Naturellement, ça ne suffit pas. Il faut prendre des mesures. Heureusement, jusque maintenant, quand nous parlons de "nouveaux cas" à Luxembourg, ce sont des nouveaux cas du passé qui sont seulement révélés maintenant. mais nous sommes sur nos gardes. Tous ceux qui travaillent pour l'Église, prêtres et laïques, doivent faire des formations de prévention. Aussi pour reconnaitre l'abus sexuel ou l'abus de pouvoir, et le dénoncer quand nous en devenons témoins. Tous les prêtres et tous les diacres, donc tous le clergé, doivent faire une série de tests, séances psychoanalytiques, psychologiques, pour détecter la pédophilie.

Je voudrais ici remercier tous les candidats aux sacerdoce et diaconat de faire ces épreuves. Ce n'est pas facile. C'est gênant. Ça devient très personnel, mais ils le font par amour pour les personnes. De tous ces tests, moi, je ne veux savoir qu'une seule phrase: Est-ce qu' il y a des tendances pédophiles, oui ou non? Le reste, c'est le secret professionnel. S'il y a un soupçon, un soupçon, il n' y aura pas d'ordination. Ça, c'est très clair.

Naturellement, ce n' est pas une garantie contre tout. Mais je pense que dans l'Église de Luxembourg, tout le monde sait que c'est un "no go" absolu et que rien ne sera toléré. Tout sera examiné, et c'est clair aussi, que toute information que nous avons est transmise au procureur d'État. Donc il n' y a rien de caché.

Je suis reconnaissant à toutes les victimes, à qui cela fait une peine énorme qu'ils portent dans leur corps, quand ces victimes se manifestent. C'est une aide pour nous à être plus véridiques. Et sans cette véridicité, il n' y a pas d'Évangile."

Il y a toutefois une conséquence salutaire...

"On a toujours regardé les prêtres comme des super hommes. Des Supermen. Et maintenant on voit que les prêtres, ce sont des hommes comme tous. Et qu'il ne faut pas idéaliser les prêtres, mais qu'ils ont aussi besoin d'affection fraternelle, qu'ils ont besoin d'amitié pour bien vivre leur sacerdoce. Et il faut qu'on aime les prêtres, qu'on les aide dans leur ministère et qu'on sache que ce ne sont pas des supermen."

Ne devraient-ils pas pouvoir avoir une vie maritale ?

"C'est une question qui se pose. Et c'est toute l'Église que doit répondre à cette question. Mais c'est une règle d'Église, ce n'est pas un commandement divin. Nous avons dans l'Église catholique gréco-catholique, des prêtres mariés et qui ont une famille avec des enfants et qui font un travail fantastique. Nous avons aussi des prêtres qui sont convertis au catholicisme, à partir de l'Église anglicane, qui alors comme prêtre gardent leur femme et leur famille, et ce sont des prêtres magnifiques. Donc, c'est possible. Je pense que c'est un thème auquel il faut réfléchir.

Et ce n 'est pas une question de sexualité, tout d 'abord. Je pense que c'est une question de solitude pour beaucoup de prêtres. Et le sacrement est un mariage pour lequel l'Église a une très haute estime. Mais je ne pense pas qu'il y aura rapidement des changements, parce qu' il y a des résistances quand même très fortes.

Chez beaucoup d'évêques, et aussi chez beaucoup de prêtres. Je pense que le choix devrait toujours être possible. Mais le choix, c'est de vivre comme Jésus. Alors, vivre comme Jésus, cela veut dire vivre une certaine simplicité, vivre une ouverture pour tous les hommes, pour tous ceux qui nous entourent, qui existent, sans condamner."

L'Église catholique luxembourgeoise attire-t-elle moins de fidèles?

Si je vais, dans nos villages, pour la messe dominicale, c'est très mince. Il y a quelques vieilles femmes. Nous sommes contents qu' elles soient là. Mais si je vais à une messe portugaise, française, polonaise, philippines, Il y a la vie !
Et parfois la messe anglophone, dans une très grande église à Belair, et toutes les chaises sont prises. Et les gens sont encore debout.

Donc, ce n'est pas vrai qui n'y aient pas de fidèles à l'Église. C'est vrai qu' il n' y a plus beaucoup de fidèles luxembourgeois à l'Église. Donc il faut faire une nouvelle balance, un nouvel équilibre parce que le baptême est égal pour tous.

Nous sommes en train de chercher notre voie pour l'avenir. L'Église s'est toujours considérée comme luxembourgeoise, et je pense que là nous devons faire une conversion vers une Église du Christ qui est à Luxembourg."

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