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La boulangerie-pâtisserie emploie beaucoup de monde au Luxembourg. Malgré cela, il n'existe pas de convention collective dans ce secteur, plaide l'OGBL, qui ambitionne de changer les choses dès mars prochain.
Dans la boulangerie-pâtisserie, "Les salaires ont augmenté. On peut presque dire que si vous avez un bon ouvrier qualifié, il peut demander ce qu'il veut niveau salaire. Car vous n'avez aucun intérêt à le laisser partir " déclarait, la semaine dernière à RTL, le représentant des patrons boulangers-pâtissiers. Ce qui n'avait pas manqué de susciter de nombreuses réactions.
Y compris celle de Milena Steinmetzer, de la branche industrie alimentaire au syndicat OGBL. Elle nous a contacté pour exprimer ses doutes sur cette "embellie des salaires" dans le secteur, qu'il s'agisse des ouvriers produisant pains et pâtisseries, ou du personnel accueillant la clientèle...
Elle donne un exemple : "Ce qu'on voit beaucoup, c'est la vendeuse qui travaille dans une boulangerie depuis longtemps, qui devient première vendeuse, responsable d'un site, etc. et qui reste pourtant sur son salaire minimum de base. Et on lui donne simplement une prime mensuelle en contrepartie de ses responsabilités. Le problème, c'est qu'à la différence d'un salaire fixé dans un contrat, une prime peut sauter du jour au lendemain."
"On voit aussi beaucoup de contrat de travail qui ont des clauses permettant des mutations de site, et là aussi c'est une insécurité pour l'employé".
"Aujourd'hui, ils sentent que le plus important, c'est la rentabilité"
"Donc il y a toujours une épée de Damoclès au dessus de leur tête" poursuit la syndicaliste. "C'est pour ça aussi que des gens se plaignent de ne pas avoir de vision de leur carrière, de ne pas savoir comment ils vont progresser".
Selon elle, il existe d'ailleurs deux grands cas de figure dans la profession: "Globalement, on voit soit des salariés qui ont beaucoup d'ancienneté dans la même entreprise, plus de vingt ans, soit ceux enchaînent les contrats, car il y a beaucoup de turn-over."

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Ancienneté ou pas, des employés se plaindraient en tout cas d'une dégradation des conditions de travail : "Ce qu'ils disent, c'est qu'avant, il y avait un respect et une valorisation de la qualité du travail, ils se sentaient reconnus pour leur travail, c'était plus motivant. Même si, il faut le rappeler, le métier était déjà dur, il l'a toujours été. Aujourd'hui, ils sentent que le plus important, c'est la rentabilité" affirme Milena Steinmetzer.
On lui fait cependant remarquer que le contexte économique s'est dégradé et frappe durement les boulangeries. Le secteur affronte plusieurs crises successives : crise Covid, crise énergétique, crise inflationniste, sans oublier les index qui plombent les charges salariales des entreprises... "Oui, c'est vrai, mais les employés du secteur subissent eux la double peine, car non seulement ils subissent aussi une perte de pouvoir d'achat, mais en plus ils deviennent la variable d'ajustement, leurs conditions de travail se dégradent, leur stress augmente".
Est-ce que les employés ont davantage de pouvoir aujourd'hui?
Est-ce que les dernières crises n'ont pas, justement, déplacé le curseur du côté des salariés, devenus une denrée rare et donc convoitée dans ce secteur ?
Ces dernières années en effet, on parle beaucoup de ces nouvelles générations qui fuient ces métiers où elles ne se sentent pas respectées et payées à leur juste valeur, poussant des employeurs à assouplir les conditions de travail et à augmenter les salaires. "C'est vrai que ce contexte rééquilibre un peu la situation. C'est pourquoi on pense que c'est le bon moment pour faire avancer les choses" réagit la syndicaliste, qui en profite pour plaider en vue des prochaines élections sociales. Le 12 mars prochain en effet, les salariés du Luxembourg seront invités à voter pour élire les délégués du personnel au sein de leur entreprise, ainsi que leurs représentants au sein de la Chambre des salariés.
Or, les syndicats peinent à percer dans le secteur de la boulangerie, admet Milena Steinmetzer. "C'est un secteur traditionnellement peu organisé syndicalement. Dans les boulangeries, les boucheries aussi, les gens se syndicalisent peu, et nous sollicitent plutôt une fois qu'ils ont un soucis concret, avec la fiche de salaire par exemple."
2.000 employés et "toujours pas de convention collective"
D'ailleurs, la petite boulangerie familiale, avec le boulanger qui travaille avec des membres de sa famille et un ou deux salariés, ce n'est plus représentative du secteur. Désormais, la majorité des salariés travaillent dans des grands groupes. "Si on additionne les 5 plus grandes structures -Fischer, Oberweis, Hoffmann, Jos et Jean Marie, et Namur -, on arrive à 2.000 salariés" explique la syndicaliste. "Fischer, la plus grande, compte à elle-seule près de 1.000 salariés."
C'est pourquoi "ce n'est pas normal qu'il n'y ait pas de convention collective dans ces grandes entreprises" plaide la syndicaliste.
Au delà de ces poids-lourds, "il y a aussi une douzaine de boulangeries qui ont plus de 15 salariés et qui ont donc l'obligation d'avoir une délégation du personnel, et puis enfin les petites entreprises familiales", plus marginalisées.

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Les entreprises de plus de 15 salariés ont en effet l'obligation d'avoir une délégation du personnel, dont la mission est de défendre les intérêts du personnel dans l'entreprise, de régler les conflits, de recevoir certaines informations stratégiques de la direction, etc.
Or, dans les faits, la désignation de ces délégués pose parfois soucis : "L'ITM peut intervenir pour nommer des délégués, si personne ne souhaite se présenter, ou si un patron met la pression sur des employés pour qu'ils ne se présentent pas. On voit aussi que parfois, c'est le patron qui met en place une délégation, disons, plus proches de ses intérêts à lui."
Aujourd'hui, elle déplore que ces délégations soient neutres, c'est-à-dire non soutenues par un syndicat, et donc risquent de "ne pas avoir les informations et les ressources nécessaires pour défendre les salariés".
Est-ce que l'OGBL ambitionne d'installer des délégations dans tous les grands groupes de la boulangerie ? "Idéalement, oui. Si on fait de bons scores, on pourrait entamer des négociations sectorielles (NDLR : englobant tout le secteur de la boulangerie), ou à défaut dans les entreprises où on est représentés." Avec, in fine, l'ambition d' "instaurer des conventions collectives qui permettraient d'améliorer les conditions de travail et les salaires, en négociant notamment une grille de salaire."
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