Ils s'appellent Cayotte, Neuberg, Ponzoni: discussion avec des boulangers du Luxembourg et de la proche frontière sur l'extraordinaire flambée des prix, autour d'une question: et si la baguette artisanale coûtait bientôt 1,5 euro... voire plus?

C'est un commentaire lâché comme ça par mon boulanger, au moment du passage à la caisse: "De toute façon, si ça continue, on va être obligé de faire des baguettes à 1,5 euro".

1,5 euro? Alors que la baguette artisanale se vend depuis des années autour d'un euro en moyenne, une telle augmentation semble grotesque.

Et pourtant. Vous l'avez forcément remarqué: les prix flambent. Farine, œufs, produits laitiers dans l'agroalimentaire, mais aussi gaz, électricité, matériaux de construction... Saupoudrez le tout, côté luxembourgeois,  d'une double ration d'index envisagée cette année, et vous obtenez la recette d'une inflation gratinée.

Nous avons donc demandé à trois boulangeries* leur avis sur la question.

GÉRARD CAYOTTE, À ESCH-SUR-ALZETTE
PRIX DE LA BAGUETTE: 1,2 EURO

"La baguette coûte 1,2 euro chez nous" explique à RTL 5Minutes Gérard Cayotte, de la boulangerie-pâtisserie du même nom, établissement bien connu dans la Métropole du Fer.

Quand on lui soumet l'idée de boulangers bientôt obligés de vendre leurs baguettes à 1,5 euros, il estime que "ce n'est pas du tout farfelu". Pour sa part, "je n'ai pas augmenté mes prix pour l'instant", mais devient très difficile de ne pas répercuter des hausses de prix quasi-mensuelles. Par exemple, le beurre: "En septembre dernier on était à 5,95 euros (le kilo), cette semaine, on est à 8,2 euros". Ou la farine: "mes fournisseurs m'ont annoncé une hausse de 3% pour le mois de mars".

Ce fils d'agriculteur a d'ailleurs une pensée pour cette profession qui voit, elle aussi, ses marges fondre. Cependant, tout le monde n'est pas à plaindre: "entre les agriculteurs et les artisans, il y en a certains qui ne s'en sortent pas trop mal" glisse-t-il. "C'est anormal que la farine, les oeufs, le beurre, le lait, augmentent comme ça, et le Covid a parfois bon dos."

Ces intermédiaires pointés du doigt, ce sont probablement les spéculateurs qui manipulent les prix sur les marchés internationaux, tout comme les négociants et autres grossistes. Mais Gérard Cayotte accuse également la grande distribution de "tirer les prix vers le bas." On pense évidemment à la polémique en France avec une grande enseigne qui vante sa baguette à moins de 30 centimes. "S'il y avait plus de solidarité entre les artisans, on n'en serait pas là" déplore Cayotte.

L'artisan déplore certains "comportements malsains, on ne joue pas toujours carte sur table". Par exemple, ce beurre luxembourgeois qui "a été écoulé sur le marché belge, et que les Belges me revendaient ensuite moins cher qu'au Luxembourg!"

Bref, "L'artisanat passe un mauvais quart d'heure, tout augmente, les matières premières, le coût du personnel" énumère-t-il. Il pense en particulier à l'index, cette hausse automatique des salaires au Luxembourg, qui pourrait tomber deux fois cette année en raison de l'inflation. " Oui, d'un côté l'index c'est bien car ça aide le personnel. Mais de l'autre, pour les employeurs, il va bien falloir le répercuter quelque part." Pour sa boulangerie par exemple, cet index 2022, "Ce sera comme si on embauchait une personne en plus".

Et de conclure: "Ces charges grignotent les fonds qu'on devrait consacrer à l'investissement, à la formation du personnel, etc. Moi par exemple, c'est aussi grâce à mon équipe que l'on trouve des solutions pour traverser cette crise. Sans le personnel, on n'est rien du tout. Et aujourd'hui, le personnel dans notre secteur, donc on doit le bichonner, car c'est une denrée très rare!"

MAISON PONZONI, À VILLERUPT (FRANCE)
PRIX DE LA BAGUETTE: 1 EURO

"C'est simple, on a pris 20% d'augmentation sur le prix de la farine en un an" hallucine Xavier Ponzoni, un ancien électricien au Luxembourg reconverti dans la boulangerie de l'autre côté de la frontière, à Villerupt. Son établissement a récemment brillé au concours "La meilleure boulangerie de France" sur M6.

Mais ce n'est pas cette exposition médiatique qui justifie la hausse de ses prix. C'est bien la hausse des matières premières. "Ce qu'on a fait, c'est augmenter le prix de la baguette tradition qui est passé d'1,1 à 1,2 euros.  En revanche, on n'a pas augmenté le prix de la baguette blanche, de sorte que les personnes qui ont des difficultés financières puissent toujours avoir leur baguette à un euro."

Lui aussi constate une inflation sans précédent: "Les années précédentes, il y avait parfois une augmentation des prix, mais minime, d'un centime ou deux. Mais là ca commence à peser très lourd. Tout explose, les prix deviennent fous", y compris celui des fournitures non alimentaires, de l'énergie... Heureusement pour lui, ses boulangeries carburent à l'électrique. Car "pour les pauvres boulangers qui travaillent avec du gaz, c'est délirant, j'ai vu que certains artisans prenaient des hausses de 600%."

RTL

Il n'y a pas que les matières premières qui flambent: pour les boulangeries qui carburent au gaz, la facture est de plus en plus salée... / © AFP

On lui demande s'il ne serait pas possible de réduire la taille des produits pour diminuer leur coût. La réponse est catégorique: pas de croissants au rabais ou de baguette allégée. "Je ne joue pas avec ca, car cela changerait le processus de fabrication, et puis le client n'est pas dupe, les gens se plaignent dès que le produit est plus petit."

BOULANGERIE JOS & JEAN MARIE À LUXEMBOURG-VILLE
PRIX DE LA BAGUETTE: 2 EUROS (MAIS C'EST DU LOURD)

D'emblée, Jean-Marie Neuberg nous prévient: "Je n'aime pas l'idée d'une comparaison du prix des baguettes". Car explique-t-il, chaque boulanger a sa recette particulière, qui fait varier le poids, la qualité des ingrédients, etc. Lui, par exemple, "travaille avec des farines produit du terroir, ou même régionaux, qui sont 30 à 40% plus chères que les farines classiques" explique celui qui représente aussi les patrons boulangers-pâtissiers au sein de La Confédération Liewensmëttelhandwierk.

Mais "comme ce n'est pas un secret", ce boulanger nous livre le tarif de sa baguette: 2 euros. Avec une précision importante: sa baguette pèse 450 grammes. Sachant qu'une baguette normale pèse généralement 250 gr., sa baguette n'est pas plus chère qu'une autre si on se base sur le prix au kilo.

Toujours est-il que sur ces 2 euros, "environ 50% représentent les coûts du personnel. Donc vous voyez l'importance que représente l'index". D'ailleurs, pour les plus petites boulangeries qui n'ont que quelques salariés, "ces frais grimpent à 60 ou 65%, c'est énorme!" Heureusement pour lui, 
"Nous on travaille en direct avec nos fournisseurs, surtout dans la farine, les produits laitiers..." ce qui permet d'économiser sur de coûteux intermédiaires.

RTL

"La farine a augmenté entre 12 et 15% l'an passé", constate Jean-Marie Neuberg. Et la situation ne s'arrange pas en 2022.

Il énumère à son tour les prix qui ont flambé: "La farine a augmenté entre 12 et 15% l'année passée, les frais fixes comme le gasoil qui explose, l'électricité qui va grimper aussi... les produits laitiers qui augmentent de 10% environ dans les 2-3 derniers mois." Il donne un exemple concret de l'impact de cette flambée: "Le coût de fabrication de nos pralines a pratiquement été doublé en quelques mois". Une telle hausse des prix, conclut-il, c'est tout simplement du jamais-vu!" Et hélas, ce n'est peut-être pas terminé...

*Nous avons également contacté une grande enseigne de supermarché au Luxembourg, qui nous a expliqué ne jamais commenter l'évolution des prix.