"Chasseur de terroristes"Un ancien membre des unités spéciales raconte l'arrestation d'Abdeslam

Gaël Arellano
Interview avec Lionel D., un ancien membre de l''unité d'élite belge, l'Escadron Spécial d'Intervention (ESI), qui a décidé de tomber la cagoule et de se confier sur ses années au sein de cette unité anti-terroriste.
Chasseur de terroriste
Lionel D. ex-membre de l’unité spéciale belge (ESI) tombe la cagoule.
Reportage: Gaël Arellano, Pedro Venancio; Montage: Jérôme Didelot

Il était au premier rang lors de l’opération de Verviers, il a participé à l’arrestation de Salah Adbeslam, il s’est confronté à des preneurs d’otage et à des terroristes: Lionel D. a décidé de se confier après 15 ans de bons et loyaux services au sein de l’unité d’élite belge, l’ESI (Escadron Spécial d’intervention) devenue depuis la DSU (Direction des Unités Spéciales).

Il le fait à travers un livre qui paraît aujourd’hui aux éditions Racine mais aussi à travers l’interview qu’il nous a accordé cette semaine. Une interview lors de laquelle il a répondu aux questions que l’on se pose inévitablement lorsqu’on évoque les forces spéciales et les attaques terroristes qui ont semé la terreur en Europe ces dernières années.

A peine installé devant notre caméra, Lionel D. fixe les règles du jeu: on ne parlera ni de sa famille, ni de sa nouvelle situation professionnelle. Des règles que l’on accepte sans broncher parce qu’on connaît l’enjeu. Ce qui nous intéresse de toute façon, c’est son parcours au sein de l’ESI.

Et c’est un parcours tout à fait atypique puisqu’au départ, Lionel n’avait pas nécessairement le pedigree que l’on attend d’un de ces hommes cagoulés que l’on voit plus souvent dans les films que dans la vie réelle. Il passe un brevet de sport, étudie la criminologie puis jouit des “plaisirs éthyliques” de la vie estudiantine avant d’entrer dans le monde de la police...

UNE FORMATION IMPITOYABLE

Il fait un stage au sein de la police communale et “c’est presque par hasard” qu’il essaie d’entrer au sein de l’unité d’élite. Puis vient l’opportunité, à travers la réforme des polices belges, d’intégrer le corps d’élite. Une opportunité qu’il saisit et quand on sait ce qui l’attend, on comprend très vite que sa sélection n’avait rien à voir avec le hasard.

Il endurera la “hell week” ou “semaine de l’enfer” puis 10 mois de formation qui lui feront regretter cette fameuse semaine avant d’être sélectionné. “On était 230 candidats cette année et à la fin de tout ce parcours, on n’était plus que 7” nous raconte-t-il. Puis viennent six mois de spécialisation avant de pouvoir prétendre au Graal: intégrer l’équipe des Iris, la crème de la crème de l’ESI.

L'ESI se prépare à intervenir dans les rues de Bruxelles
L’ESI se prépare à intervenir dans les rues de Bruxelles
© AFP

La légende veut que deux membres discutaient du nom qu’il faudrait donner à cette unité lorsque l’un d’eux aurait suggéré que l’on utilise le prénom de sa fille”, nous explique-t-il tout en ajoutant que “Iris” pourrait avoir d’autres significations (la fleur de Bruxelles par exemple).

On est en 2003 et s’en suivront des années d’opérations plus dangereuses que les autres au sein d’une unité qui fait souvent face aux situations les plus imprévisibles. Des prises d’otages aux tentatives de braquage en passant par les fusillades, Lionel et ses collègues en voient de toutes les couleurs mais parviennent presque toujours à mener leurs opérations à bien sans qu’il y ait de victime.

Impassibles la plupart du temps, il y a tout de même certaines opérations qui percent la cuirasse de ces hommes surentraînés. “Les prises d’otage où des enfants sont impliqués, les perquisitions renforcées où on voit certaines choses. En général, quand des enfants sont impliqués, ça nous touche toujours un peu plus” admet-il avant d’ajouter “les enfants n’ont rien demandé”.

Mais pour faire ce genre de travail, il insiste sur le fait que l’on ne peut pas “mélanger les émotions aux missions”.

UN AVANT ET UN APRÈS VERVIERS

Nous évoquons avec Lionel l’opération menée à Verviers, une semaine après les attentats de Charlie Hebdo. On est désormais en 2015 et la menace terroriste pèse sur la France mais pas encore vraiment sur la Belgique. Ce n’est qu’après Verviers que “l’on réalise que la menace est concrète” chez nos voisins belges.

“Lio” ne fait pas encore partie des plus expérimentés de l’unité mais se retrouve en charge de l’opération anti-terroriste qui doit être menée à Verviers par la force des choses. C’est là que lui et son équipe se confrontent pour la première fois aux terroristes de l’EI.

Une confrontation qui sera relayée dans les médias du monde entier tant l’affrontement était rude. Tirs de Kalashnikov, grenades, ceinture explosive. La cellule terroriste de Verviers n’avait aucune intention de se rendre et n’a laissé aucun choix aux hommes de l’ESI.

Des membres de la police et des unités scientifiques interviennent après la fusillade qui a eu lieu rue de la Colline à Verviers le 15 janvier 2015
Des membres de la police et des unités scientifiques interviennent après la fusillade qui a eu lieu rue de la Colline à Verviers le 15 janvier 2015
© AFP

Verviers est le début d’une guerre contre un ennemi d’un genre nouveau, un ennemi que n’impressionnent ni nos grenades ni nos pistolets mitrailleurs” écrit Lionel dans son livre. Et c’est ce qu’il nous répète lors de notre interview. “On leur donne toutes les chances de se rendre mais certains d’entre-eux veulent mourir” nous dit-il.

Il nous raconte ensuite les mois intenses qui s’en sont suivis. Son unité était constamment mobilisée dans le but de démanteler d’éventuelles cellules terroristes et surtout d’arrêter une bonne fois pour toute l’ennemi public numéro 1: Salah Adbeslam.

LA TRAQUE D’ABDESLAM

La traque d’Abdeslam s’est faite en quatre mois. Il y a des moments où on le voit partout, dans le tram, chez le boulanger puis d’autre moments où on n’entend plus rien et où les médias disent qu’il est parti à l’étranger. Nous avions une idée d’où il se cachait et lors des dernières semaines, les enquêteurs avaient réduit le nombre possible d’endroits à deux ou trois adresses. Nous nous étions bien évidemment déjà préparés pour intervenir à n’importe laquelle de ces adresses”, affirme Lionel.

Après avoir échappé aux autorités à Forest que Salah Adbeslam commet un faux-pas qui va mener à son arrestation. Trois jours plus tard, la rue des Quatre-Vents est bouclée par les autorités et l’ESI entre en scène.

Moi et mon équipe, on fait office de cut-off. On escalade l’immeuble et on s’assure qu’il ne puisse pas fuir par le toit et qu’il ne puisse pas se réfugier dans un des appartements au-dessus de sa planque”, nous explique-t-il.

Des membres des forces spéciales escaladent les résidences de la rue des Quatre-Vents peu avant l'arrestation de Salah Abdeslam
Des membres des forces spéciales escaladent les résidences de la rue des Quatre-Vents peu avant l’arrestation de Salah Abdeslam
© AFP

C’est son collègue et ami de la première heure, Charly, qui est au premier rang cette fois-ci et l’ESI se prépare à tous les scénarios: “On le voit dans la cour, on crie ‘Police’, il nous regarde et il repart dans l’autre sens. C’est là que mon collègue me dit: je pense que c’est lui, j’en suis sûr à 90 -85%. On se dit que, là il ne va plus nous échapper.”

Les minutes passent et les membres de l’ESI qui se trouvent à l’entrée de la résidence finissent par voir apparaître Salah Abdeslam: “Mes collègues lui donnent les injonctions mais il avance, il recule, il joue au chat et à la souris. Enfin, il fait mine de sortir et quand il est sur le pas de la porte, il décide de partir en courant.”

Une fuite immédiatement interrompue par les tirs des unités spéciales qui touchent le fuyard à la jambe qui s’effondre et se fait arrêter. A l’intérieur, un de ses acolytes fait de la résistance mais finit par se rendre après avoir été touché d’une balle à la jambe.

C’est ainsi que se finit la longue traque de l’ennemi public numéro 1 mais le cauchemar est malheureusement loin d’être fini pour la Belgique. En effet, quelques jours plus tard, les attentats de Zaventem et de Maelbeck font 32 morts et 340 blessés.

L'aéroport de Bruxelles Zaventem après le double attentat à la bombe du 22 mars 2016
L’aéroport de Bruxelles Zaventem après le double attentat à la bombe du 22 mars 2016
© AFP

Pour sa part, Lionel D. continue à participer aux perquisitions renforcées et à toutes les opérations que l’on assigne à son unité. Des mois intenses au bout desquels il finit par fatiguer mais ce n’est que quand “la fièvre terroriste” se calme qu’il décide de quitter l’ESI.

C’est en 2017, cinq ans plus tard. Il admet à notre micro que ça a été difficile “parce que je porte cette unité dans mon cœur et que j’ai encore des potes qui y sont” mais qu’il a quitté ce travail “sans amertume et sans regret” pour prendre un nouveau tournant dans sa vie.

S’il n’a pas voulu préciser ce qu’il faisait désormais dans la vie, on sait qu’il a écrit un livre qui relate en détail ce qu’il a vécu au sein de l’ESI et des Iris. Un récit dont on a du mal à détourner les yeux, tant il est fascinant.

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