Langue mal aiméeLes jeunes Luxembourgeois aiment-ils toujours apprendre le français ?

Jérôme Didelot
Quel jeune écolier luxembourgeois n’a pas pesté à l’idée d’apprendre ses leçons de grammaire française ? Ce manque de motivation est plus que jamais d’actualité en 2024. RTL Infos a cherché à savoir si la langue de Molière était toujours populaire chez les jeunes et ce que le ministère de l’Éducation a mis en place pour la rendre attractive.
Les jeunes Luxembourgeois aiment-ils toujours apprendre le français ?
RTL Infos a cherché à savoir si la langue de Molière était toujours populaire chez les jeunes et ce que les autorités ont mis en place pour la rendre attractive

L’apprentissage et l’usage du français sont des sujets complexes au Luxembourg, où l’histoire entre ses habitants et cette langue pourrait se résumer à la formule “gainsbourienne” : “Je t’aime, moi non plus”.

Dans une interview accordée à nos confrères de Paperjam en 2015, le docteur “ès francophonie” Frank Wilhelm rappelait qu’au 19e siècle, “le français a été l’instrument ou le moyen d’expression de la bourgeoisie postrévolutionnaire luxembourgeoise (professions libérales, hauts fonctionnaires, négociants)”, ce qui a pu le rendre impopulaire auprès de certaines catégories plus humbles de la population. À la désignation de “langue étrangère”, Frank Wilhelm préfère celle de “langue seconde”.

“Les jeunes générations sont moins sensibles aux réalisations culturelles françaises, à l’esprit français”

Car il s’agit bien d’une langue officielle du Luxembourg, privilégiée à la Chambre des députés jusqu’à la loi du 24 février 1984 sur le régime des langues, également valorisée par le rayonnement de RTL Télévision dans les années 70 et 80. Mais des vents contraires ont soufflé : des réacteurs nucléaires installés aux portes du pays, côté français, des critiques françaises sur les pratiques fiscales du Grand-Duché, sans oublier une once d’arrogance parfois - il ne faut pas l’occulter - de certains frontaliers. D’où une forme de désaffection pour une langue pourtant très présente au Luxembourg, en particulier dans le monde du travail où elle domine toujours.

Frank Wilhelm déclarait dans l’article cité précédemment que “les jeunes générations sont moins sensibles aux réalisations culturelles françaises, à l’esprit français, à l’ironie, à la remise en question rituelle de faits et de pensées, et sont plutôt séduites par le sérieux et la fiabilité allemandes.

Tonia Raus, responsable à l’Université du Luxembourg du master visant à former les futurs enseignants et enseignantes de français pour le secondaire, est plus relativiste : “ J’ai l’impression qu’on traite cette question-là depuis des générations et des générations [...] Je ne suis pas certaine que cette crise du français existe en tant que telle. Néanmoins, ce qu’on ne peut pas négliger au Luxembourg, c’est bien cette alphabétisation successive en allemand puis en français qui peut parfois effrayer les élèves et les parents.

Un déclin de la motivation pour apprendre le français

Au ministère de l’Éducation nationale, on a décidé de réagir à ce que Christiane Bechtold, coordinatrice au ministère, décrit comme “un déclin de la motivation pour apprendre le français au cours de la scolarité de certains élèves.

Un déclin qui peut expliquer certaines statistiques révélatrices. Selon les données issues du monitoring scolaire orchestré par le Ministère de l’Éducation, on peut avoir une vision de l’évolution de la compréhension du français à l’écrit dans les classes de 5e (3 année de secondaire). En 2010, seuls 29% des élèves se situaient dans un groupe considéré comme en dessous du premier niveau (les 71% restants étant évalués de niveaux 1 à 4). En 2023, ce groupe en dessous du niveau 1 atteignait 36%.

L’accord de coalition de 2018 a prévu un processus de refonte de l’enseignement du français, qui a notamment permis l’élaboration de nouveaux matériels didactiques.

Le ministère a travaillé avec la maison d’édition Clé international, basée à Paris, et a constitué un groupe de travail incorporant des enseignants qui connaissent le contexte spécifique linguistique du Luxembourg. Sans oublier un accompagnement scientifique assuré par Jean-Louis Chiss, professeur émérite en sciences du langage et didacticien du français à la Sorbonne et Evelyne Rosen-Reinhardt, maître de conférences en didactique du français à l’Université de Lille.

© RTL

De ces travaux sont nées trois séries de manuels scolaires destinés aux cycles 2, 3 et 4 (“Salut, c’est parti !”, “Salut, c’est magique !” et “Salut, c’est à toi !”). Des livrets accompagnés de guides pédagogiques, de fiches, de jeux et même de QR codes permettant d’accéder à toutes sortes de pistes audio (textes lus, enregistrements, chansons…).

“Ce qu’on entend souvent, c’est que les enfants ont moins peur de parler français, précise Christiane Bechtold. On propose un apprentissage actif et ludique avec le jeu comme moyen pour apprendre. Il permet de dédramatiser l’erreur et de favoriser la prise de parole. Il y a énormément d’exemples dans le matériel où les enfants interagissent, où ils communiquent, où ils font des jeux de rôles. Ils apprennent beaucoup de choses en français pour les mobiliser dans des tâches concrètes et motivantes qui sont en lien avec leur vie enfantine.”

Et pour mieux répondre à la diversité linguistique de la population scolaire et pour faire face aux inégalités éducatives, le gouvernement luxembourgeois a mis en œuvre le projet pilote d’alphabétisation « Zesumme Wuessen !» dans quatre écoles fondamentales. Ce projet permet aux élèves de C2.1 de commencer l’apprentissage de la lecture et de l’écriture en français (ALPHA-français) ou en allemand (ALPHA-allemand) dans des classes mixtes. Un projet dont les premiers résultats ont été analysés en juin dernier, résultats qui ont mis en lumière une motivation générale et un bien-être scolaire plus élevés.

La France moins plébiscitée par les étudiants résidents

Une autre indication de la désaffection pour le français peut se lire dans les choix de destinations des étudiants du Grand-Duché pour faire leurs études supérieures. Selon les chiffres du ministère de l’Enseignement supérieur, ils étaient encore quelque 13% à choisir la France en 2013. 10 ans plus tard, ils ne sont plus que 6% parmi les étudiants résidents (en tout cas ceux qui ont bénéficié d’une aide de l’État). C’est l’Allemagne qui en a accueilli le plus en 2022/2023, suivie par le Luxembourg et la Belgique. Mais si on prend en compte les étudiants non résidents, c’est bien la France qui est en tête avec 8.220 bénéficiaires d’une aide financière.

En résumé, même s’il est compliqué de tirer des enseignements définitifs de ces différents éléments parcellaires, on peut quand même sentir - ne serait-ce qu’à travers la nécessité de refonte de son enseignement - que la langue française n’est plus aussi populaire qu’auparavant auprès de la jeunesse luxembourgeoise. Il sera intéressant d’évaluer les élèves qui entrent en 7e lors de cette rentrée de septembre. Il s’agira du premier groupe d’enfants qui ont expérimenté la nouvelle méthode d’enseignement du français, évoquée précédemment.

© Ministère de la Recherche et de de l’Enseignement supérieur

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