Le mouvement #MeToo a bousculé toute la société, mais plus particulièrement le monde du cinéma. On a pu le constater encore récemment avec les accusations visant les cinéastes Benoît Jacquot et Jacques Doillon en France, le premier ayant été inculpé pour viols sur deux actrices.
Au Luxembourg, l’industrie du cinéma s’est fortement développée depuis les années 90 mais, malgré le passage de nombreuses stars au Grand-Duché, aucune plainte n’a jamais été déposée. Ce qui ne veut pas dire que les comportements ont toujours été exemplaires sur les plateaux. Dans le torrent de témoignages concernant l’acteur Gérard Depardieu, celui d’une jeune femme a résonné jusqu’au Luxembourg.
En 2008, Marylène Andrin est une jeune régisseuse de 23 ans qui découvre les plateaux de cinéma et les rouages d’une industrie qui la passionne sur le tournage du film Diamant 13 au Grand-Duché. Mais cette expérience, censée être enrichissante, va être gâchée par le comportement d’une star qui se permet tout. À l’époque, le mouvement #MeToo n’a pas encore explosé.
“Je suis sur le plateau, je fais les silences, se rappelle Marylène, c’est-à-dire que je me cache dans un coin et je relaie ce qui se passe sur le plateau avec ce qui se passe en bas. Je suis très en retrait. Et voilà, il y a ce moment où Gérard Depardieu, qui prend énormément de place pendant ce tournage, se faufile dans le couloir où je suis et, de nulle part, me dit quelques obscénités.” (voir notre vidéo. NDR)
Cette sortie traumatisante ne sera pas le seul épisode. Il y aura aussi ce trajet en voiture et un “climat obscène” au moment où l’acteur doit soulager sa vessie. Un technicien présent sur le tournage et qui préfère garder l’anonymat relate également cette scène gênante où une photographe qui ne s’était pas présentée se fait traiter de “pute “ par Gérard Depardieu, contrarié.
Après la diffusion du témoignage de Marylène Andrin dans une émission de télévision en France, l’ancienne régisseuse a subi une salve de commentaires haineux sur les réseaux sociaux. “Avec mes yeux de quadragénaire avertie, c’était presque un régal. Mais si je m’étais pris ça à 23 ans, je ne suis pas sûre que je serais là, souriante, à en parler.”
À l’époque, l’équipe du film fait comprendre à Marylène qu’il faut passer à autre chose : “Oui, ce n’était pas grave. Le ‘ça va, c’est Gérard’, vraiment, je l’ai entendu.” Contacté par RTL Infos, le producteur luxembourgeois du film, Claude Waringo de Samsa Film, a déclaré : “J’ai découvert ce témoignage après la diffusion de l’émission. Si j’avais su à l’époque ce qui s’était passé, je serais intervenu.”
Plus de 15 ans après les faits, Marylène Andrin reste très acerbe sur la question: “Les témoignages de femmes - ici une main aux fesses, là une humiliation, ailleurs une tentative de viol - n’ont pas suffi, il a fallu que le grand public voie Gérard Depardieu tenir des propos odieux sur une petite fille dans l’émission de France Télévisions pour qu’il y ait une prise de conscience.”
Certains professionnels essaient de faire bouger les choses. La productrice luxembourgeoise Alexandra Hoesdorff, associée de l’actrice et réalisatrice Désirée Nosbusch au sein de la société Deal Productions, a fait de la prévention des comportements abusifs l’un des ses combats : “On s’est dit qu’il était temps, qu’il fallait faire quelque chose. Et voilà, et on a mis quelque chose en place, une charte qu’on a attachée à tous nos contrats. On a également intégré une personne neutre qui explique le système à tout le monde avant le tournage et que les victimes peuvent aller voir sans avoir peur des conséquences. Techniciens ou acteurs, je ne laisse jamais personne utiliser son pouvoir pour maltraiter les gens.”
Interpellé lui aussi par le témoignage de Marylène Andrin, Guy Daleiden, directeur du Film Fund, l’organisme qui soutient la création cinématographique dans le pays, a également réagi : “Pour moi et pour notre administration, c’est une situation qui n’est pas acceptable. Un tel comportement ne peut jamais être acceptable. On a réagi, on s’est dit : On doit prévenir, on doit organiser des séminaires de sensibilisation, de formation mais aussi définir des solutions pour que ça n’arrive pas.”
Les solutions sont multiples : une personne référente à contacter sur le tournage bien sûr, également l’affichage de messages d’information. Le 15 novembre prochain, le Film Fund organisera un premier séminaire sur la question, qui sera obligatoire pour les producteurs qui demandent une aide financière. Les intervenants sont issus d’un cabinet d’avocats français, déjà responsable d’un séminaire semblable pour la communauté française de Belgique.
Comme de nombreuses femmes dans le milieu du cinéma, Alexandra Hoesdorff a observé et même parfois été victime de comportements déplacés. Longtemps, ils ont été tolérés tacitement : “Notre génération, les années précédentes, c’était la normalité, comme dans beaucoup d’industries, pas uniquement dans le cinéma. La hiérarchie est souvent confondue avec la domination.”
Le cinéma a cette particularité de faire collaborer des professionnels de l’ombre avec des artistes ayant une certaine notoriété. Le terrain est donc plus propice à la domination.
“Le cinéma, ce n’est pas seulement un savoir-faire, affirme Marylène Andrin, c’est aussi un savoir-être, comme dans n’importe quel travail. Se respecter les uns les autres, ça commence par dire bonjour sur le plateau quand on arrive.”

Aujourd’hui, Marylène Andrin est éducatrice spécialisée mais a gardé un pied dans le monde du cinéma en continuant à écrire de la fiction et en réalisant des courts-métrages. Le prochain s’intitule Raccrocher et a été produit par la société luxembourgeoise Six Letters.
Poison, premier long-métrage réalisé par Désirée Nosbusch et produit par Deal Productions a été diffusé en avant-première au Film Fest de Munich début juillet. Trine Dyrholm et Tim Roth sont au casting de cette histoire d’amour évoquant un couple déchiré par un drame et qui se retrouve.