Au centre périscolaire de Villerupt (Meurthe-et-Moselle), Sadia a marqué des générations d'enfants. Il faut dire que cette animatrice est un sacré personnage!

Il y a quelques jours, Clément, 16 ans, s'est rendu au centre périscolaire de Villerupt. Une visite surprise pour revoir l'animatrice qui l'a tant marqué durant son enfance: Sadia.

Avec un sourire en coin, il s'est approché d'elle et lui a lancé: "Tu ne te souviens sûrement pas de moi ?". Malgré sa transformation physique et les années passées, Sadia n'a eu besoin que de quelques secondes pour le remettre : "Clément! Comment tu vas?" L'ado était bluffé !

C'est que Sadia a une mémoire d'éléphant : "J'ai vu passer plusieurs générations d'enfants, et chacun est unique, chacun nous marque. Parfois, j'en croise qui sont maintenant à la fac, et ils me demandent si je me rappelle d'eux. Tu parles que je ne les ai pas oubliés!" éclate de rire Sadia.

"On doit apprendre aux enfants la frustration. Ne pas avoir tout, tout de suite"

Sadia Hamadou est animatrice périscolaire. Sa mission est d'encadrer les enfants en dehors des heures de classe, avec des activités ludiques, créatives...

Les mauvaises langues diront qu'il ne s'agit que de gardiennage. Alors que ce métier est bien plus que cela. Souvent, il permet d'ouvrir aux enfants une parenthèse enchantée dans leurs journées.  "On veut être ce grain de folie que les enfants n'ont pas toujours à la maison avec papa et maman. Avec nous, les enfants se lâchent. Toujours dans le respect, dans la tolérance, etc.. Mais parfois on a des conversations très profondes, ou de sacrés fous-rires !"

RTL

Sadia n'est jamais en manque d'idées de jeux et d'activités pour les enfants!

Mais attention, prévient-elle, elle n'est pas là pour "éduquer" les enfants : "Éduquer, ça, c'est le rôle des parents. C'est comme l'instruction, ça c'est le rôle de l'école. Être animateur, c'est autre chose : ça veut dire animer, donner vie. Nous, on peut être un relais d'éducation, mais en aucun cas on ne se permettrait d'éduquer les enfants. On est là pour que les enfants passent du bon temps, en mettant dans leur tête pleins de souvenirs."

En revanche, Sadia est ferme sur ce qu'elle appelle "les bases" : "Le «bonjour», «s'il te plait», «merci», «au revoir», c'est la base de toute une vie, ils vont grandir avec ça. Chez certains enfants, c'est ancré, chez d'autres, non. Ce travail doit aussi être fait en amont, dans la cellule familial, et ça c'est pas notre travail."

Qu'est-ce qu'elle regrette, chez la nouvelle génération? "Je dirais peut-être la frustration. Un peu de frustration, ça fait du bien, ça fait grandir. On doit apprendre aux enfants de ne pas avoir tout tout de suite. Tout se mérite. Nous, quand on était petit, on voulait quelque chose, on attendait patiemment. Je viens du Nord, à mon époque, l'orange et le sachet de bonbon à la sortie du cinéma, c'était le Graal. Cette nouvelle génération, ils ont tout, tout de suite. Ils n'apprécient plus ce qu'ils ont, en fait."

Une Ch'ti débarque dans la "Petite Italie"... devenue le "Petit Portugal"

Cette Cht'i est tombée dans le métier quand elle était toute petite ( ou "tchiotte" comme on dit là-bas). "J'ai toujours aimé l'animation. Peut-être parce que je viens d'une grosse famille, j'ai 5 frères et 2 soeurs. J'adorais m'occuper d'autres enfants. Et puis ça vient aussi mon milieu. Dans le nord, dans les corons, on était confrontés à toutes sortes de nationalités, on jouait tous ensemble, c'était comme une grande colonie."

C'est donc tout naturellement qu'elle a commencé à travailler, dès ses 18 ans, dans un centre de loisirs, puis dans des centres aérés, des colonies de vacances.... En décembre 1992, elle quitte le Nord pour poser ses valises en Lorraine, à Villerupt. Elle repasse un CAP petite enfance : "Je suis retournée sur les bancs de l'école à 44 ans. Ça a été difficile, j'étais la plus âgée à le passer, mais je l'ai eu avec mention."

Elle a été aussi témoin de l'évolution démographique à Villerupt, surnommée la "petite Italie" et célèbre pour son festival du film Italien. Mais l'immigration venue de la grande "Botte" a été remplacée, ces dernières années, par l'immigration portugaise, sous l'influence du Luxembourg voisin. "Maintenant, c'est le petit Portugal. C'est un enrichissement, ces enfants portugais nous apportent des choses, on leur en apporte en retour. C'est parfois compliqué au niveau de la barrière de la langue, mais les enfants savent s'adapter très vite, en quelques mois ils apprennent les bases du français".

Une chose est sûre, affirme-t-elle: "Animateur, ce n'est pas un métier qu'on fait pour l'argent. Il faut avoir la vocation. J'ai aimé faire ce métier.Quand t'es sincère, les enfants le savent et en redemandent".

Aujourd'hui, Sadia Hamadou a 64 ans. Et l'émotion la saisit lorsqu'elle évoque son départ à la retraite (qui a eu lieu le 31 juillet dernier). "'J'aurais pu partir à la retraite il y a deux ans, mais je me plaisais bien au travail. Maintenant, le corps nous rappelle qu'on est en train de vieillir. Donc c'est ma nouvelle vie qui commence, je vais enfin penser à moi... Mais oui, ça me fait quelque chose". Elle écrase une larme, secouée par l'émotion.

On assiste alors à une scène poignante: face aux larmes de Sadia, tous les enfants se pressent pour venir lui faire un câlin et la soutenir. De l'amour, comme seuls les enfants savent généreusement en donner !

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