
Imaginez un monde du travail dans lequel nous pourrions connaître la rémunération de tous nos collègues et managers. Tiens, ce salarié gagne autant, alors qu’il est si peu qualifié? Tiens, ce chef est plus payé qu’un autre? Tiens, cette collègue a obtenu un avancement?
Une telle transparence relève de la science-fiction. Car il existe peu de tabous aussi bien gardés que celui les salaires. En même temps, imaginez l’ambiance dans les bureaux si le salaire de chacun était révélé au grand jour !
Dans certaines entreprises ou administrations, il existe bien sûr des grilles salariales permettant une évolution plus transparente. Mais généralement, les entreprises cultivent le flou, et les salaires, promotions et autre avantages se négocient à l’abri des oreilles indiscrètes.
Mais une directive européenne est en train de donner des sueurs froides à beaucoup de DRH. Il s’agit de la directive 2023/970 sur la transparence des rémunérations. Adoptée en mai 2023, sa limite pour être transposée au Luxembourg et dans les autres États membres de l’U.E. est le 7 juin 2026. Autant dire demain !

Si cette directive bouscule le monde du travail, c’est parce qu’elle entend renforcer “le principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur, par la transparence des rémunérations”.
Contacté par RTL Infos, le ministère du Travail luxembourgeois nous explique que cette directive “prévoit entre autres qu’il y aura un droit pour les salariés de demander et d’obtenir par écrit de l’employeur des informations sur leur niveau de salaire individuel et sur les niveaux de salaire moyens, ventilés par sexe, pour les catégories de salariés accomplissant le même travail qu’eux ou un travail de même valeur.”
Bref, il ne sera pas possible de savoir ce que gagne précisément tel ou tel collègue. En revanche, le salarié pourra connaître quel est le salaire moyen de ses collègues faisant le même travail que lui, en distinguant bien le salaire moyen des hommes et des femmes. Si les salaires ne sont pas équitables ou si une franche discrimination apparaît entre les deux sexes, l’employé(e) aura plus de moyens pour dénoncer ces écarts.
Et lors de l’embauche, le futur employeur aura “entre autres, l’obligation d’appliquer des critères objectifs, non discriminatoires et non sexistes dans le cadre de la détermination du salaire, des niveaux de salaire et de la progression du salaire des salariés.”
Concrètement, la personne qui postule pourra “recevoir de l’employeur potentiel des informations sur le salaire initial ou la fourchette de salaire initial sur base de critères objectifs non sexistes correspondant au poste concerné.” En plus, “les employeurs potentiels ne seront plus autorisés à demander aux candidats à un emploi leur salaire actuel ou antérieur” explique encore le ministère du Travail.

La Directive s’applique à tous les employeurs, qu’ils relèvent du secteur public ou privé, et concerne tous les salariés et candidats à l’emploi. Mais toutes les entreprises ne seront pas soumises aux mêmes obligations:
À noter que l’écart de rémunération supérieur à 5 % pourra être admis s’il est justifié par des critères objectifs “non sexistes et dépourvus de tout parti pris” (la compétence, l’ancienneté ou la performance par exemple).
D’ailleurs, la directive prévoit des recours afin de compenser les salariés victimes d’un écart de salaire, des pénalités pour les employeurs qui ne respectent pas la législation, et une protection juridique contre les représailles bénéficiant aux salariés. Autre point important, la directive prévoit un renversement de la charge de la preuve en matière de rémunération. Auparavant, le salarié devait prouver que l’employeur avait enfreint les règles concernant la transparence salariale. Lorsque la directive sera transposée, la charge de la preuve reviendra à l’employeur.
Pourquoi le Luxembourg tarde-t-il à transposer - comme la France et d’autres pays - cette directive? Le Ministère du Travail nous répond que “le dépôt du projet de loi est prévu pour la fin de l’année 2025”.
Et d’expliquer: “Vu que plusieurs ministères et administrations concernés ont dû être consultés lors de la rédaction de l’avant-projet de loi, ce projet n’a pas encore pu être déposé. Par ailleurs, une complexité dans le cadre de la transposition de la directive consiste à trouver un bon équilibre entre, d’une part, la protection efficace des droits des salariés et, d’autre part, à éviter la création de charges administratives trop lourdes pour les entreprises”.

On imagine en effet que cette plus grande transparence s’accompagnera de risques de tensions internes : rivalités entre les employés, perte de motivation et de productivité, démissions, litiges judiciaires, complexité de mise en oeuvre et de respect de la confidentialité des données...
Mais elle mettra aussi la pression sur les employeurs qui ne se gênent pas pour proposer des salaires “à la tête du client”, ou à bloquer injustement la carrière d’un(e) employé(e). “Oui, cette directive peut apporter des évolutions positives sur le marché du travail luxembourgeois, dont notamment plus de transparence salariale pour les candidats à un emploi. Pour ce qui est des défis, l’obligation d’évaluer la valeur d’un poste de travail en fonction de critères tels que les compétences, les efforts, les responsabilités, etc. peut s’avérer complexe, surtout pour les petites et moyennes entreprises” conclut le ministère du Travail.
Et vous? Pensez-vous qu’il faille plus de transparence des salaires? Que vous êtes payé à votre juste valeur? Que votre employeur pratique des discriminations salariales? Vous pouvez participer (anonymement) à notre rapide sondage ci-dessous. Vous pouvez aussi contacter notre journaliste (romain.vandyck@rtl.com) si vous souhaitez témoigner sur ce sujet. Merci!
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