
En attendant de trouver un repreneur, La Villa de Camille et Julien continue d'accueillir ses clients, rue de Pulvermuhl, à Luxembourg. / © Domingos Oliveira
Auréolé d'une étoile Michelin depuis 2022, le restaurant gastronomique de Luxembourg "La Villa de Camille et Julien" a été mis en vente par son chef et sa compagne. Une décision "réfléchie" qui survient après des mois de questionnement.
Quelques semaines après la fermeture définitive du Pavillon Eden Rose à Kayl, le Luxembourg devrait perdre un nouveau restaurant étoilé dans les mois à venir. Le fond de commerce de La Villa de Camille et Julien, située rue de Pulvermuhl dans la capitale, est en effet à vendre comme en témoigne l'annonce que nous avons pu consulter sur un portail immobilier. Le prix a été fixé à 590.000€.
Le manque de clients, "c'est invivable, même blessant"
Contacté, le chef Julien Lucas a confirmé la mise en vente de son restaurant tout en soulignant que l'établissement continuait d'accueillir ses clients aux horaires habituels. "On a le souhait de partir mais le marché étant ce qu'il est, on peut très bien être encore là dans un an" nous explique t-il.
Vendredi 10 janvier 2025 au matin, le chef nous confiait, la mort dans l'âme, n'avoir aucune table réservée pour le service du midi. Comme la veille au soir. Samedi soir, il n'était, à ce moment-là, pas complet avec 24 couverts réservés et misait sur des réservations de dernière minute. Or, le restaurant propose 38 couverts, à l'intérieur et/ou à l'extérieur. "Pour mon équipe et moi, c'est invivable. C'est même blessant." Il dit avoir sondé ses confrères étoilés, qui n'ont pas vraiment d'explications à lui donner.
Le couple qu'il forme avec Camille Tardif s'est lancé dans l'aventure de La Villa en juin 2020, en pleine crise du covid. Elle avait l'expérience des hôtels de luxe, lui avait travaillé notamment aux côtés de Joël Robuchon. Très ambitieux, ils ont obtenu le macaron Michelin qu'ils convoitaient dès leur arrivée dans la capitale deux ans plus tard, en 2022. L'établissement, qui était un hôtel avant d'être un restaurant, est bien connu à Luxembourg.
Alors pourquoi cette grande maison, qui fait partie de la petite liste des étoilés du Luxembourg, se retrouve t-elle sur le point de fermer ses portes ? Le chef, originaire de Moselle, avoue s'interroger depuis plus d'un an. "Je suis bien obligé d'admettre que j'ai moins de travail que d'autres chefs. Mes tarifs sont moins élevés que certains restaurants non étoilés. On y mange très bien aussi, mais ça me fait dire que ce n'est pas une question de prix. Et notre cadre est quand même joli. Alors est-ce que c'est nous, le problème? Je n'en sais rien" nous répond-il.
Dernièrement, le restaurant a même joué le jeu des RestoDays, ces moments de l'année où les établissements du pays proposent des menus à des tarifs abordables. La Villa était d'ailleurs le seul restaurant étoilé lors des dernières éditions. "Mais les clients des RestoDays restent des clients des RestoDays. On ne les revoit pas en dehors de cet événement" glisse le chef de 38 ans.
"Proposer 2.800€ nets à des jeunes ne suffit plus"

Julien Lucas, le chef du restaurant, regrette un certain manque de reconnaissance au Grand-Duché depuis son arrivée en 2020, avec sa compagne Camille Tardif. / © Domingos Oliveira
Julien Lucas revient sur la crise du covid qui n'a pas facilité le démarrage de cette Villa version "Camille et Julien". Cela a engendré une obligation de faire le plein quotidiennement afin de ne pas se mettre en danger sur le plan financier. Il cite l'impact du télétravail, l'augmentation des taux bancaires et l'attractivité de l'aéroport du Findel qui permet de passer des week-ends à moindre frais au soleil. "On avait des clients fidèles qui mangent désormais dans le sud de la France tous les week-ends."
À cela s'ajoute des difficultés à recruter du personnel, un problème auquel doivent faire face de nombreux patrons au Grand-Duché. "Proposer 2.800€ nets à des jeunes ne suffit plus. On doit chercher à l'étranger. Mais même des Français ou des Belges, quand ils se rendent compte qu'ils vont devoir payer 1.300€ de loyer pour vivre dans un petit appartement au Luxembourg, on n'arrive plus à les attirer. J'aimerais bien proposer 3.500€ nets à un jeune chef de partie, mais je serais forcé d'augmenter encore le prix de mes menus. Ce n'est pas faisable."
Julien Lucas confie avoir réfléchi à changer de concept. À proposer une autre cuisine. Celle-ci a pourtant séduit les guides gastronomiques: le restaurant est noté 15/20 dans le Gault&Millau. Le chef a aussi remporté le titre de champion du monde de Lièvre à la royale, il y a deux ans.
"Malgré l'étoile Michelin, je pense qu'on a manqué de reconnaissance au Luxembourg. Il y a encore des clients qui nous disent qu'ils ne nous connaissaient pas alors que ça fait bientôt 5 ans qu'on est là. Pourtant, tout le monde sait dans la capitale quand un resto ouvre ou ferme. Aujourd'hui, je me pose la question: est-ce que les gens ont vraiment envie de venir manger à La Villa ? Est-ce qu'ils adhèrent à ce qu'on fait ? La plupart des clients qui viennent manger chez nous nous complimentent. On n'est peut-être pas au bon endroit, au bon moment. Du coup, on en est venu à cette conclusion qu'il est temps de passer à autre chose. C'est une décision mûrement réfléchie."
Blessé, Julien Lucas affirme ne pas être résigné. "Je ne suis pas dégoûté, je reste entrepreneur dans l'âme. J'ai des idées, des envies. Les risques ne me font pas peur, la pression non plus. Où on sera après La Villa ? On verra bien. Mais on a envie de repartir de plus belle."