Plusieurs chefs du Luxembourg et de la Grande Région s'allient régulièrement afin de proposer des dîners d'exception à plusieurs mains. Pour RTL Infos, certain(e)s se livrent sur ce phénomène qui dépasse la simple envie de faire le buzz. Aujourd'hui: Cyril Molard (Ma Langue Sourit) et René Mathieu (La Distillerie).
Ce sont les deux chefs les plus réputés du Luxembourg. Le premier est le seul chef doublement étoilé au guide Michelin du pays, le second est le maître de la cuisine végétale au restaurant La Distillerie, au Château de Bourglinster. À la fin du mois de juillet, Cyril Molard invitait René Mathieu à venir dans son restaurant, Ma Langue Sourit à Moutfort, afin de réaliser un "4 mains".
À l'image de deux musiciens jouant sur le même piano, le "4 mains" est un exercice apprécié des chefs qui permet de combiner deux cuisines. Dans ce menu inédit de haute volée en six services, proposé au tarif de 320 euros, on a retrouvé par exemple la langoustine confite, estragon, citron de Cyril Molard mariée aux "nuances de verts", légumes, chlorophylle et fleurs blanches de René Mathieu.
Le "4 mains" est-il un coup de pub pour les chefs en mal de reconnaissance ? Incontestablement dans certains cas. Mais ni le chef de Ma Langue Sourit, ni celui de La Distillerie n'ont besoin de faire la promotion de leurs restaurants qui affichent complets plusieurs mois à l'avance.
"C'est un échange et en l'occurrence, une histoire d'amitié" nous répond René Mathieu, moins habitué aux joies de l'exercice que son compère. "Ça se fait dans le monde entier. C'est une tradition un peu festive de vivre la gastronomie. On a besoin de ça. Ça fait du bien aux équipes, c'est un voyage, une respiration, un 4 mains" développe Cyril Molard.
Dans le cadre de cette "collab", c'est l'hôte français qui s'est servi du menu végétal du chef belge en l'adaptant avec des poissons et de la viande, et "en cherchant un équilibre" entre les deux cuisines. Si chaque chef peut très bien se concentrer sur ses propres assiettes, il s'agissait là de travailler chaque plat ensemble. "C'est ça qui est intéressant, ça nous fait grandir" explique René Mathieu. "Quand tu fais tes plats de ton côté, tu n'as pas le temps de goûter ceux de l'autre chef. Il n'y a pas d'échange. Chacun bosse à côté de l'autre mais pas vraiment avec l'autre. Alors que, quand tu travailles dans la même assiette, t'es forcément obligé de tout goûter. Et ça, ça change absolument tout" ajoute Cyril Molard.
Ces alliances éphémères ne se limitent pas forcément à deux chefs. Début juillet, la "Nuit Blanche" à Monforf a par exemple réuni 6 chefs pour la bonne cause, dont Cyril Molard (et le "Lorrain d'adoption" Charles Coulombeau, qu'on retrouvera dans l'épisode 2 de notre mini-série). "Un 4 mains est plus facile qu'un 6, un 8 ou un 10 mains. Tu ne peux pas être compatible avec tout le monde" souligne René Mathieu. "L'idéal pour moi, c'est quatre mains avec, en plus, deux mains pâtissières" estime Cyril Molard.
Selon nos deux interlocuteurs, les mauvaises expériences sont rares dans la mesure où les chefs "se choisissent" les uns les autres, mais ça arrive. "Plus il y a de mains, plus il y a d'égo. C'est pour ça qu'à un moment donné, je n'ai plus eu envie de collaborer avec plusieurs chefs en même temps" appuie le chef de La Distillerie. "Ça arrive que tous les mecs ne soient pas "focus", mettent moins d'intensité dans les plats et banalisent l'événement. C'est pour ça que c'est important de s'assurer qu'on aille dans la même direction. Un 4 mains, ça demande beaucoup d'engagement" plussoie le chef de Ma Langue Sourit.
Peut-on pousser le curseur à fond et imaginer des mariages entre deux cuisines que tout oppose ? "Oui, mais c'est risqué" nous répondent les deux chefs. "C'est chercher la difficulté. Or, il faut quand même que le menu soit cohérent. Les clients attendent quelque chose, on peut pas faire n'importe quoi."
Mais la haute gastronomie ne se ferme pas pour autant à des cuisines plus populaires. S'acoquiner avec la street food ? "On l'a fait pendant le covid et c'était génial" avance René Mathieu. "Tu peux très bien avoir un chef qui fait toutes ses cuissons au barbecue pour une assiette qui va partir avec un légume de René" illustre Cyril Molard. En résumé, "tout est possible aujourd'hui, c'est juste une histoire de feeling."
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Dîner de rêve Ep. 3/3, "Un chef et un pianiste, c'est aussi une forme de 4 mains"