L'autisme gagne en visibilité au Luxembourg, mais l'exemple de Cassie et Alfie montre qu'une sensibilisation doit s'accompagner d'un soutien concret.
La plupart des lecteurs – même ceux qui côtoient peu d’enfants – n’ont pas pu rester indifférents face à la présence grandissante de l’autisme dans notre quotidien.
Les données recueillies à travers le monde indiquent une augmentation spectaculaire du nombre de diagnostics, tant chez les enfants que chez les adultes. Aux États-Unis, par exemple, des études menées entre 2011 et 2022 ont révélé une hausse de 450 % des diagnostics chez les 25-35 ans. Et comme le montre la partie 1 de notre série sur ce sujet, environ 6.500 personnes sont concernées par ce trouble dans le pays.
Parallèlement, on observe une volonté croissante de parler d’autisme, de mieux le comprendre, et de le normaliser – dans les discours publics, dans les familles, et dans les médias. La culture populaire s’en fait d’ailleurs l’écho : des célébrités révèlent leur diagnostic, des personnages de séries arborent des traits explicitement autistiques, et même des émissions de téléréalité consacrent des formats entiers à des personnes sur le spectre.
L’autisme s’est ainsi imposé dans le regard du grand public – une visibilité qui a permis des avancées en matière de sensibilisation et d’inclusion.
Mais cette reconnaissance nouvelle s’accompagne aussi de ses écueils. Car à mesure que le trouble est mieux accepté, voire idéalisé, le risque est réel : celui de minimiser les défis bien réels auxquels sont confrontées les personnes concernées et leurs familles.
Cassie et Alfie
Cassie, Anglaise, travaille dans la capitale et a toujours vécu au Luxembourg. Elle élève seule son fils Alfie, 10 ans, diagnostiqué autiste de niveau 3 dès son plus jeune âge.
"C'était lors de son examen médical à neuf mois... J’avais remarqué certaines choses. Il ne souriait pas comme les autres bébés… Nous sommes allés voir un pédiatre, qui nous a ensuite orientés vers un spécialiste de l'autisme. Ce spécialiste a ensuite travaillé avec un psychométricien, et ensemble, ils ont posé le diagnostic officiel à l'âge de 18 mois", raconte Cassie.
"Il avait besoin d'une attention constante, d’un suivi individuel. Chez les jeunes enfants, les symptômes peuvent être très violents : agressivité, morsures, automutilation… Il avait besoin d’aide dès le départ."
Grâce à une prise de conscience rapide et à un accès fluide aux professionnels de santé, Cassie et Alfie ont pu obtenir un diagnostic précoce. Alfie est aujourd’hui suivi au Centre pour enfants et jeunes présentant un Trouble du Spectre de l’Autisme (CTSA) à Weimerskirch.
"Nous avons eu de la chance d’avoir une place, car il y a très peu de classes dans tout le pays... Je suis convaincue que s’il n’était pas dans cet environnement, il ne serait pas là où il en est aujourd’hui. Ce cadre sécurisé, bienveillant, lui a permis de gagner en confiance, de se sentir protégé, tout en recevant les outils et stratégies nécessaires pour traverser les moments les plus durs."
Elle ajoute, souriante : "Il est tellement lui-même, un garçon très heureux, intelligent, aimant, entouré de personnes qui croient en lui. Mais c’est notre parcours. Nous avons pu suivre cette voie."
Un chemin qui n’a pas toujours été simple.
Après le diagnostic, Alfie a intégré plusieurs crèches. Cassie a dû payer, de sa poche, des soins individualisés. Puis, à l’entrée en école luxembourgeoise, elle s’est vite rendu compte – tout comme l’équipe éducative – que le cadre classique ne répondait pas aux besoins spécifiques d’Alfie.
Ils parlaient beaucoup d’intégration : "On essaie de garder les enfants dans le système ordinaire. En tant que parent, on a tendance à faire confiance aux professionnels… Mais on lit aussi des choses très inquiétantes sur les écoles spécialisées."
Accéder à des informations fiables sur les services disponibles, les aides financières, les droits, tout cela a été un vrai parcours du combattant.
"Si on ne cherche pas activement, on ne trouve rien. Je suis tombée sur des choses et je me suis dit : Mais pourquoi personne ne m’en a parlé ? Même pour les aides financières, certaines me concernaient, en tant que parent seul, mais je n’étais au courant de rien", regrette-t-elle.
Finalement, sur recommandation, Cassie tente un essai de deux semaines au CTSA pour Alfie, alors âgé de six ans.
Créé en 2018, le CTSA regroupe aujourd’hui 18 structures réparties dans tout le pays. Elles accompagnent les enfants et leurs familles, avec un enseignement adapté aux personnes autistes, dans le cadre ou en parallèle du système public.
"Dès les premiers jours, j’ai su que c’était le bon endroit pour lui. Il a noué des liens très forts avec ses enseignants. Nous avons beaucoup de chance. Mais chaque année, la même question revient : Va-t-il pouvoir rester ici ? On nous prévient qu’il pourrait être transféré ailleurs, avec un trajet qui passerait de 15 minutes à plus d’une heure. Tous les centres sont assez éloignés, sauf celui-ci."
Aujourd’hui, un accompagnateur vient chez eux chaque matin, 15 minutes avant l’arrivée du bus du centre.
"C’est quelqu’un de gentil, d’attentionné, qui comprend Alfie. Ils jouent un peu, discutent. Ça aide énormément à la transition maison-bus-école, qui est très difficile pour les personnes autistes… quitter la maison sans leur personne de référence et pour Alfie, c’est moi."
Ce lien humain permet aussi une meilleure circulation de l’information. L’équipe du CTSA et celle de l’accueil périscolaire échangent régulièrement sur l’état d’Alfie: "Comme Alfie ne parle pas, il ne peut pas me raconter sa journée. Et il ne peut pas non plus dire à ses professeurs comment s’est passée sa soirée."
Dans le cas d’Alfie, l’État luxembourgeois a su mettre en place une structure adaptée à ses besoins. Grâce à un diagnostic précoce, à la ténacité de sa mère, et à un encadrement sur mesure, il bénéficie aujourd’hui d’un soutien précieux pour son développement.
Mais cette stabilité reste fragile. Et si Alfie devait changer de centre ? "Je suis quelqu’un qui se battra toujours pour obtenir la moindre aide. Je n’ai pas honte qu’il ait besoin d’un accompagnement, c’est son droit. Et j’ai toujours insisté pour qu’il reçoive le soutien le plus complet possible", affirme Cassie.
Sensibilisation et inclusion au-delà du système éducatif
Le système éducatif luxembourgeois semble de plus en plus conscient de la prévalence de l’autisme, et s’efforce d’adapter ses écoles en conséquence. Mais l’école ne représente qu’une partie de la vie.
Tous les enfants ont le droit de découvrir le monde, d’en faire l’expérience, de participer à la vie quotidienne dans toute sa diversité. Pourtant, le manque de sensibilisation du grand public continue de poser des obstacles majeurs aux familles, même pour des tâches qui semblent banales à la plupart d’entre nous.
"Je pense que les autorités et les ministères sont bien plus sensibilisés aujourd’hui à l’importance de l’inclusion, et qu’ils la souhaitent sincèrement", déclare Corrine Wuidar, de l’Association luxembourgeoise pour l’autisme (ASL). "Du point de vue de la fondation, cela a toujours été une priorité."
Mais elle nuance : "En dehors de la réponse gouvernementale, il reste beaucoup à faire pour sensibiliser le grand public aux enjeux de l’inclusion, à l’autisme et à d’autres troubles. Le public doit encore faire un vrai chemin pour devenir réellement inclusif. Les personnes autistes ont énormément à offrir à la société."
Cassie témoigne elle aussi de ce manque de compréhension dans la vie de tous les jours, lorsqu’elle sort avec son fils Alfie :
"Vous savez, les gens le regardent… ils ne comprennent pas. Si je compare avec le Royaume-Uni, où je l’emmène parfois, il y a toujours des gens qui ne comprennent pas non plus. Mais là-bas, bien plus de personnes sont gentilles, compréhensives, simplement au courant. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup plus de possibilités pour les personnes autistes dans la vie quotidienne au Royaume-Uni. Alors qu’ici, au Luxembourg, je trouve qu’il n’y a rien."
Elle raconte un souvenir douloureux : "Je trouve ça terrible de ne pas pouvoir emmener mon enfant au cinéma. Une fois, on a essayé d’aller voir La Reine des neiges 2. Ça a été un désastre. Il était terrifié, complètement dépassé sensoriellement… et il a mis trois jours à s’en remettre. La semaine entière a été extrêmement difficile pour nous tous.
Et tout ça… pour une simple sortie au cinéma. On se sent comme de mauvais parents."
Elle oppose cette expérience à ce qu’elle a vécu outre-Manche : "Au Royaume-Uni, nous avons assisté à une projection autism-friendly – lumière tamisée, son réduit, tolérance aux déplacements et aux réactions. Personne ne jugeait. Tout le monde savait que le public ne resterait probablement pas assis en silence pendant tout le film… Et Alfie a adoré.Un environnement compréhensif, sûr, accueillant. Ce genre d’accessibilité, s’il existait au Luxembourg, ferait une différence énorme dans notre quotidien."
Comment améliorer la sensibilisation et l’inclusion
Des progrès notables ont été réalisés ces dernières années pour accueillir les personnes ayant des besoins sensoriels spécifiques. Par exemple, le centre commercial de Kirchberg a mis en place une "heure tranquille" certains mardis et jeudis, pendant laquelle l’environnement sonore et lumineux est adouci.
De petites initiatives comme celle-ci peuvent avoir un impact considérable : elles favorisent l’inclusion dans les espaces publics et contribuent, en parallèle, à diffuser une meilleure compréhension des particularités sensorielles liées à l’autisme.
Pour Annalisa Destefanis, présidente de l’Association luxembourgeoise pour la sensibilisation à l’autisme (3AL), tout commence par l’information : "Il faut informer, sensibiliser, expliquer la différence… Montrer comment, avec un petit effort de part et d’autre, on peut être plus ouverts et vraiment inclure les enfants."
Cassie, de son côté, imagine un rôle plus actif de la part du gouvernement, notamment à travers des partenariats avec le secteur privé : "Il faudrait encourager les entreprises à s’engager via des initiatives de responsabilité sociale – surtout dans des lieux fréquentés par les enfants, comme les parcs de trampolines ou les piscines. Parfois, il suffit d’un petit coup de pouce pour les rendre plus accessibles… et d’expliquer pourquoi."
Mais même si la sensibilisation progressait et que l’inclusion s’élargissait, une autre question resterait en suspens : le système actuel est-il prêt à répondre à une demande croissante ?
Aujourd’hui déjà, les activités et événements adaptés aux personnes autistes, organisés par la FAL, sont pris d’assaut.
"Il y a encore un manque de services", déplore Wuidar. "Peut-être qu’une centaine de familles aimeraient que leur enfant puisse pratiquer un sport bien spécifique. Mais il y a très peu d’endroits où c’est possible. La volonté existe, mais les structures pratiques et les nouveaux services font encore défaut".
Ce que nous pouvons faire
Alors que l’autisme continue de gagner en visibilité au Luxembourg et dans le monde, cette évolution ne peut être significative que si elle s’accompagne d’une prise de conscience plus profonde et d’une véritable compréhension de la part du grand public.
Aujourd’hui encore, il reste beaucoup à faire. C’est un constat que partage Cassie : "Je pense que beaucoup de gens ont déjà entendu le mot “autisme”, peut-être vu un ou deux cas extrêmes ou plus légers, et pensent savoir de quoi il s’agit. Mais ce n’est pas le cas ! Il y a tellement de nuances entre les deux."
Tout comme le trouble obsessionnel compulsif a longtemps été réduit à une caricature pour désigner toute forme de manie ou de perfectionnisme, l’autisme, lui aussi, subit une simplification inquiétante. Accélérée par sa “mémification” en ligne et sa représentation souvent stéréotypée dans la culture populaire – de Rain Man à Love on the Spectrum – cette condition complexe est de plus en plus utilisée comme un raccourci pour désigner tout comportement perçu comme "atypique".
Des phrases comme "C’était un peu autiste de ma part", "Ils doivent être quelque part sur le spectre", ou encore "Mon autisme ressort" s’infiltrent progressivement dans notre langage quotidien. À cela s’ajoute le phénomène croissant de l’autodiagnostic, souvent déconnecté d’une véritable évaluation médicale ou psychologique.
Ces tendances, bien qu’alimentées par une volonté d’ouverture ou d’identification, ont un revers : elles renforcent des idées fausses sur l’autisme et contribuent à minimiser les réalités complexes – et parfois épuisantes – que vivent les familles confrontées au diagnostic d’un enfant, ici au Luxembourg comme ailleurs.
L’autisme touche chaque enfant différemment : chez certains, il est presque invisible ; chez d’autres, il nécessite un accompagnement constant. Mais quelle que soit la forme qu’il prend, les répercussions sur les familles – qui se battent pour offrir à leur enfant une éducation digne, une place dans la société ou simplement le plaisir d’un film au cinéma – sont souvent similaires. Et, le plus souvent, invisibles elles aussi.
La sensibilisation et l’inclusion commencent par des gestes simples. Le gouvernement a pris des engagements en matière d’inclusion, et les associations jouent un rôle clé. Des initiatives comme la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme ou la campagne Light It Up Blue permettent de faire parler du sujet. Mais pour que ces efforts aient un réel impact, la société dans son ensemble doit s’impliquer davantage.
Cela ne demande pas grand-chose : prendre conscience que le monde peut être perçu autrement – un bruit trop fort, une lumière trop vive, un contact physique difficile – et que cela mérite notre attention.
Et si l’on y regarde de plus près, des gestes comme poser une question avec bienveillance, attendre patiemment lorsqu’un parent est en difficulté avec son enfant, chercher à comprendre plutôt que juger… ne sont que de petits ajustements. Des efforts minimes dans un monde façonné, pour l’instant, par et pour les neurotypiques.
Mais si davantage de personnes faisaient ces choix-là, le Luxembourg pourrait devenir un espace bien plus inclusif pour les personnes autistes et leurs familles.