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Du premier saut à la prise de crayon, chaque geste compte. Les psychomotriciens déchiffrent ces indices pour guider le développement phsyique de l'enfant.
Comprendre le lien entre le corps et l’esprit est au cœur de la psychomotricité, une discipline encore trop méconnue mais essentielle au bon développement des enfants. Pour en savoir plus sur ce métier, RTL Today a rencontré Pauline*, psychomotricienne, qui a partagé son expérience quotidienne, les défis qu’elle rencontre et l’importance de son rôle pour accompagner les enfants dans leur croissance, leurs mouvements et leur épanouissement.
Que fait un pyschomotricien ?
Le psychomotricien est un professionnel de santé qui travaille sur l’interaction entre les capacités motrices, les fonctions cognitives et les émotions. Il accompagne des personnes de tous âges – du nourrisson à la personne âgée – dans la prévention, l’éducation ou la rééducation des troubles psychomoteurs. Son champ de compétence couvre un large éventail de difficultés : coordination des mouvements, traitement sensoriel, développement cognitif, régulation émotionnelle ou encore interactions sociales. Cette approche globale tient compte des dimensions physiques, psychologiques et sociales afin de favoriser l’autonomie et le bien-être au quotidien.
Pauline*, elle, se consacre surtout aux jeunes enfants, et plus particulièrement à ceux de 5 à 6 ans. Ses activités sont pensées pour stimuler à la fois la motricité fine – les gestes précis, comme tenir un crayon ou écrire – et la motricité globale, qui concerne les mouvements amples tels que sauter, garder l’équilibre ou coordonner plusieurs actions.
Sur le plan émotionnel, elle aide les enfants à mieux gérer leur frustration et leurs émotions intenses, en leur proposant des stratégies pour les identifier et les exprimer. Pour ceux qui présentent des troubles de l’attention, elle met en place des aménagements simples, comme des pauses fréquentes ou un mobilier adapté, afin de répondre plus efficacement à leurs besoins.
Le fonctionnement d'une séance
Chaque jour, Pauline accueille les enfants en séances individuelles ou en petits groupes de quatre ou cinq. Elle prépare ses activités avec soin, veillant à maintenir un fil conducteur qui aide les plus jeunes à se repérer. Le début et la fin de chaque rencontre sont rythmés par de petits rituels, comme inscrire son prénom ou apposer un tampon sur un calendrier. Ce geste simple rassure l’enfant en lui donnant un repère régulier, tout en permettant à Pauline d’observer discrètement l’évolution de sa motricité fine au fil des semaines.
L'activité principale d'une séance implique un parcous d’obstacles : les enfants doivent ramper, se balancer, pousser ou attraper des objets. Chaque activité est pensée pour stimuler à la fois leur coordination et leur conscience corporelle. Même lorsqu’il s’agit simplement de bouger, Pauline veille à rendre le moment amusant et motivant. Un minuteur visuel les accompagne tout au long de l’exercice, les aidant à mieux gérer leur temps et à comprendre, presque sans s’en rendre compte, la progression d’une activité – un début, un milieu et une fin.
Pendant les exercices, Pauline observe bien plus que les gestes. Elle évalue la motricité globale et fine, l’équilibre ou encore la perception de l’espace, parfois à l’aide de simples supports comme une feuille de papier qu’elle invite les enfants à plier en accordéon, ou grâce à des activités de traçage. Mais son regard se porte aussi sur la façon dont l’enfant interagit avec ce qui l’entoure. Sait-il attendre son tour ? Établir un contact visuel ? Se montre-t-il trop discret, impulsif, ou inhabituellement fermé et timide ?
Les séances en groupe se concluent souvent par un moment de partage : assis en cercle, les enfants se disent au revoir en accompagnant leurs mots d’un geste que chacun reproduit, transformant les adieux en un petit jeu collectif.
Pauline accompagne régulièrement des enfants présentant des difficultés d’attention, qui peuvent parfois se manifester par une coordination physique moins assurée. L’un de ses tests consiste à demander à l’enfant de rester en équilibre sur un pied tout en fixant un point précis. S’il chancelle ou pose le pied au sol, la question se pose : s’agit-il d’un trouble physique ou d’un manque de concentration ?
Elle remarque aussi que de plus en plus d’enfants ont du mal à rester attentifs. Selon elle, le problème ne vient pas tant des écrans eux-mêmes que du flux constant de contenus courts et rapides, qui morcellent l’attention. L’effet varie selon la durée d’exposition et le contexte dans lequel l’enfant consomme ces contenus.
Le suivi est individualisé pour chaque enfant. Le plus souvent, les séances sont prescrites par un médecin pour une durée d’environ six mois, soit une vingtaine de rencontres. Au terme de cette période, un bilan est réalisé, souvent avec le médecin, pour décider si un accompagnement supplémentaire est nécessaire. Le travail de Pauline s’inscrit surtout dans une démarche préventive : intervenir tôt permet de limiter les risques de retard de développement et d’offrir aux familles des outils concrets à appliquer au quotidien.
Pauline insiste sur le rôle clé des parents dans les progrès de l’enfant. Sans leur engagement, explique-t-elle, les avancées peuvent rester limitées. "Nous ne sommes qu’un grain de sable dans la vie quotidienne d’un enfant", souligne-t-elle, comparant les psychomotriciens à des détectives. Leur mission : observer, comprendre ce qui aide l’enfant, puis transmettre aux familles des outils concrets pour que son environnement devienne un soutien de tous les instants.
L'environnement familial et le développement physique
Pauline a souvent pu constater à quel point l’environnement familial influence le développement physique. Elle se souvient par exemple d’un petit garçon dont le père, craignant qu’il ne se blesse, ne le laissait jamais jouer librement. L’enfant présentait alors des difficultés d’équilibre et de motricité globale, non pas en raison d’un problème médical, mais simplement parce qu’il n’avait pas eu l’occasion d’explorer et de bouger à sa guise.
Pour elle, les facteurs émotionnels et neurologiques s’entremêlent fréquemment, et il faut du temps, ainsi qu’une bonne connaissance de l’enfant et de son entourage, pour identifier la véritable origine des difficultés. Parfois, un examen médical comme une IRM s’avère nécessaire ; d’autres fois, les réponses se trouvent dans la manière dont l’enfant interagit avec ce qui l’entoure.
Au Luxembourg, où se côtoient de nombreuses cultures, Pauline remarque aussi de grandes différences dans la façon dont chaque famille définit ce qu’est un développement "normal". Elle se rappelle le cas d’un enfant issu d’une famille expatriée, qui ne savait pas encore s’habiller seul. Dans un contexte occidental, cela pouvait être interprété comme un signe de retard, mais dans la culture de cette famille, on ne s’attendait pas encore à ce que l’enfant le fasse seul. Dans certains pays, les frères et sœurs plus âgés, les enseignants ou les grands-parents continuent à aider les enfants dans ces gestes bien plus longtemps.
Si certaines étapes, comme ramper ou marcher, sont universelles, d’autres, liées à l’autonomie – aller aux toilettes, s’habiller – varient d’une culture à l’autre. Les professionnels doivent rester attentifs à ces nuances et éviter de confondre différence culturelle et retard de développement.
Les écrans: le grand méchant loup ?
Pour Pauline, le problème ne vient pas des écrans en tant que tels, mais du mode de vie sédentaire qu’ils favorisent. "C’est du temps volé à l’exploration", dit-elle. Chaque minute passée devant un écran est une minute de moins pour ramper, grimper ou toucher le monde qui nous entoure.
Elle rappelle que l’exploration est à la base de tous les apprentissages – émotionnels, physiques et cognitifs. Au cours de notre entretien, elle soulève un verre et le secoue : "Un enfant entend les glaçons, ressent le poids, la paille, la texture. C’est ainsi qu’il apprend : en utilisant son corps."
Même le dessin numérique, selon elle, ne remplace pas la richesse sensorielle qu’apportent les crayons, marqueurs ou crayons de couleur, chacun ayant sa texture, sa vibration et sa prise en main. Ces variations affinent la motricité fine. Elle a ainsi vu des enfants, habitués aux tablettes, appuyer si fort sur le papier qu’ils le déchirent – signe d’un contrôle insuffisant de la main et d’une mauvaise modulation musculaire.
L’impact se fait aussi sentir dans l’apprentissage des mathématiques : le mouvement physique renforce la mémorisation. Tapoter un écran ne crée pas les mêmes connexions neuronales que l’écriture à la main. Certains enfants, d’ailleurs, peinent à reconnaître les chiffres lorsqu’ils ne les voient qu’en format numérique.
Au fond, l’exploration permet aux enfants de mieux s’adapter à leur environnement, aux outils qu’ils utilisent et à leur propre corps. Pauline rappelle que l’écriture figure parmi les tâches de motricité fine les plus complexes. Même le simple fait de dessiner contribue à développer le sens de l’orientation dans l’espace. Elle se souvient ainsi d’un garçon qui, invité à écrire son nom sur une ligne, l’a inscrit sur le titre de la page. Il n’avait tout simplement pas encore acquis la capacité de se repérer sur l’espace d’une feuille.
Conclusion: les signes à surveiller
Parmi les premiers signes à surveiller, Pauline cite la capacité du bébé à ramper. Certains enfants ne passent pas par cette étape et préfèrent se déplacer en glissant sur les fesses, souvent parce qu’ils trouvent le mouvement trop difficile. Chaque enfant évolue à son rythme, mais ramper joue un rôle essentiel dans le développement de la force, de la coordination et de la conscience corporelle. Si cette étape est absente, elle recommande de consulter un pédiatre.
Lorsque les difficultés motrices passent inaperçues, les enfants trouvent parfois des moyens de les contourner – mais cela ne signifie pas qu’elles disparaissent. À long terme, ces problèmes non résolus peuvent freiner les apprentissages et entamer la confiance en soi. Un enfant souvent qualifié de maladroit ou "mauvais en sport" risque de développer la crainte d’essayer de nouvelles activités.
Les parents peuvent soutenir leurs enfants en leur proposant des activités simples et plaisantes : dessiner, faire du vélo, jouer au ballon ou même aider à mettre la table. Autant de gestes qui favorisent la coordination et la confiance. Aucun matériel particulier n’est nécessaire, seulement du temps, de l’attention et des occasions d’explorer. Avant de conclure l’entretien, Pauline insiste : "Faites dessiner vos enfants sur du papier, c’est l’une des meilleures choses que les parents puissent faire !"
*Pseudonyme utilisé pour protéger son identité et celle de ses patients.