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Une grossesse sur quatre se termine par une perte. Pourtant, ce deuil reste souvent invisible, isolant les parents dans le silence et l’incompréhension.
Lorsque l’on apprend que l’on attend un enfant — surtout lorsqu’on y a mûrement réfléchi — les premiers rendez-vous médicaux sont souvent vécus avec joie et espoir. Très vite, les premiers projets prennent forme : choisir un hôpital, annoncer la nouvelle, préparer la chambre, installer le berceau… Le bébé devient alors bien plus qu’une réalité physique : il occupe déjà une place émotionnelle, dès l’instant où la décision d’avoir un enfant est prise.
Pourtant, ce que l’on oublie souvent, c’est que une grossesse sur quatre se termine par une fausse couche. La majorité d'entre elles surviennent au cours des 12 premières semaines, mais certaines arrivent plus tard. Après la 24e semaine, une perte est considérée non plus comme une fausse couche, mais comme une "mortinaissance" (ou mort fœtale tardive : se réfère à la naissance d'un enfant sans signe de vie après une certaine date de gestation ou un certain poids du bébé). Quel que soit le moment, cependant, le deuil qui suit est profondément personnel, intime, et souvent silencieux.
Faire face à la perte d'un bébé
Une fausse couche est un véritable séisme émotionnel. Un monde jusque-là rempli d’espoir et de promesses s’effondre soudainement. Les mots "Il n’y a pas de battement cardiaque" bouleversent tout. Tout l’amour déjà tissé n’a plus d’endroit où aller. La joie de fonder une famille se transforme brutalement en deuil.
Rentrer chez soi avec cette nouvelle est une épreuve d’une rare intensité. L’espace autrefois habité par les projets et les rêves semble soudain froid, silencieux, vidé de sens. Certains parents doivent attendre qu’une fausse couche naturelle se déclenche, ou subir une intervention médicale, parfois même un accouchement, en sachant qu’ils ne ramèneront jamais leur enfant à la maison.
Même lorsqu’il s’agit d’une perte précoce, l’impact émotionnel peut être immense. D’après mon expérience en cabinet privé, chaque parent traverse ce deuil à sa manière. Certains l’expriment ouvertement, d’autres se plongent dans l’action pour faire face. L’un des deux peut ressentir la perte avec une intensité particulière, tandis que l’autre semble plus distant, souvent désemparé face à la douleur. Ces différences peuvent créer un sentiment d’isolement, même au sein du couple, d’où l’importance cruciale d’une communication sincère et d’un soutien mutuel.
Le parent qui n’a pas porté l’enfant peut se sentir contraint de rester fort ou de refouler sa peine pour soutenir l’autre. Pourtant, ses émotions ont, elles aussi, toute leur légitimité. Il peut être bénéfique de partager son expérience, de demander du soutien ou d’envisager une thérapie, seul ou en couple.
Pouvoir dire au revoir fait partie intégrante du processus de deuil. Peu importe le moment où la perte survient, cette étape peut prendre des formes très diverses. Certaines personnes éprouvent le besoin d’écrire une lettre à l’enfant perdu pour lui confier pensées et émotions. D’autres trouvent du réconfort à parler à voix haute, peut-être à un objet symbolique comme un doudou, pour exprimer ce qui doit l’être. Créer un album souvenir, y glisser par exemple une photo d’échographie, peut aussi être une manière significative d’honorer la mémoire du bébé.
Lorsque la grossesse est plus avancée et qu’il s’agit d’une mortinaissance, pouvoir faire ses adieux prend souvent une importance particulière. Cela peut inclure le fait de prendre des photos avec le bébé, d’organiser une cérémonie d’adieu, ou de célébrer des funérailles.
Le deuil après une fausse couche est différent pour tout le monde. Il va et vient, souvent ravivé par des dates importantes : le jour prévu de l’accouchement, l’anniversaire de la perte, la fête des Mères ou des Pères… Autant de moments qui peuvent agir comme des déclencheurs invisibles, mais lourds à porter pour les parents endeuillés. Ce n’est pas un chapitre que l’on referme simplement.
Comment les amis et la famille peuvent apporter leur soutien
Pour beaucoup, la perte d’un enfant pendant la grossesse reste un sujet tabou. Il est difficile d’en parler, et encore plus difficile d’y répondre. Pourtant, ce silence peut accentuer le sentiment d’isolement chez les parents en deuil. Famille et amis, souvent désemparés, ne savent pas quoi dire – et malheureusement, certaines paroles, bien qu’animées de bonnes intentions, peuvent parfois blesser davantage qu’elles ne réconfortent.
Des phrases comme "Au moins, c’est arrivé tôt" ou "Il devait y avoir quelque chose qui n’allait pas avec le bébé" cherchent à donner un sens à l’incompréhensible. Mais elles peuvent involontairement minimiser l’intensité du chagrin. Ce que vivent les parents n’a rien à voir avec la logique : c’est une perte, une absence, une douleur profonde.
Dans ces moments-là, la réponse la plus précieuse n’est pas un conseil, mais une forme simple et sincère d’empathie. Dire : "Je suis vraiment désolé. Je suis là pour vous. Je n’imagine pas à quel point cela doit être difficile", peut déjà offrir un vrai réconfort. Parfois, le plus beau geste consiste simplement à être présent, à écouter, à laisser les parents exprimer ce qu’ils ressentent – sans chercher à "réparer" leur peine.
Il arrive que l’entourage, par crainte de mal faire ou de raviver la douleur, s’éloigne. Ce réflexe, bien qu’humain, peut aggraver la souffrance. Si une certaine distance peut être compréhensible dans des relations plus lointaines, les proches devraient, autant que possible, rester présents. Un message, une visite, un moment partagé en silence : ces gestes simples ont un grand impact.
Si le soutien reçu ne semble pas adapté ou réconfortant, il peut être utile pour les parents d’exprimer leurs besoins clairement. Dire ce qui fait mal, ce qui aide, et comment être accompagné dans cette période difficile peut ouvrir la voie à une meilleure compréhension et renforcer les liens.
Les émotions après un deuil
Lorsque les parents décident de réessayer d'avoir un enfant, les grossesses suivantes commencent souvent avec plus d'anxiété que de joie. La peur peut éclipser les premières semaines et ne s'atténuer qu'une fois le point de la perte précédente passé. Reconstruire la confiance en son corps et en l'avenir prend du temps et mérite des soins patients et compatissants de la part des professionnels et des proches.
Lorsqu’un couple décide de tenter une nouvelle grossesse, celle-ci débute souvent avec davantage d’anxiété que de joie. La peur prend le pas sur l’enthousiasme, en particulier durant les premières semaines, et ne s’atténue parfois qu’une fois passé le stade critique de la perte précédente. Reprendre confiance en son corps, en l’avenir, demande du temps, de la patience et un accompagnement bienveillant, tant de la part des professionnels que de l’entourage.
Parler ouvertement de sa fausse couche
Pour soutenir les parents en deuil, il est essentiel de normaliser les conversations autour d'une fausse couche. Cela commence par briser le silence. Car la perte est réelle. L’enfant était réel. Et le chagrin l’est tout autant.
Pour ceux qui n’ont pas vécu cette expérience, la meilleure façon d’apporter un soutien est simple : écouter, valider, rester présent. Ne minimisez pas, ne cherchez pas à rationaliser la douleur, et surtout, ne disparaissez pas. Soyez là, avec douceur, bienveillance et amour.
Les bébés qui ne sont pas nés, même ceux qui n’ont été présents qu’un court instant, laissent une empreinte indélébile. Ils nous apprennent ce que signifie aimer intensément, espérer profondément et pleurer sans retenue. Et ils nous rappellent, malgré la fragilité, la force dont nous sommes capables.