La hausse des diagnostics d'autisme confronte les familles à un système où les ambitions d'inclusion dépassent les moyens disponibles.
Il reste difficile de trouver des données précises sur le nombre d’enfants vivant aujourd’hui avec un diagnostic d’autisme au Luxembourg. Ce que l’on sait en revanche avec certitude, c’est que les diagnostics ont fortement augmenté au cours des trente dernières années, tout comme notre compréhension de ce trouble.
Les chiffres disponibles illustrent bien cette tendance. Au début des années 1990, l’autisme était estimé à cinq cas pour 10.000 personnes. En 2025, les études montrent que cette estimation est désormais largement dépassée. À l’échelle mondiale, on estime qu’un enfant sur 100 est aujourd’hui diagnostiqué, soit une augmentation de 178 % depuis l’an 2000.
Appliquée au Luxembourg, cette prévalence suggère qu’environ 6.500 personnes seraient concernées par l’autisme dans le pays. Un chiffre qui met en lumière la pression exercée sur un système qui, malgré ses atouts, reste confronté à de réelles lacunes en matière de prise en charge.
Diagnostic précoce et soins préscolaires
Un diagnostic précoce, accompagné d’une prise en charge immédiate, améliore considérablement les perspectives d’un enfant atteint d’autisme et permet de mieux atténuer les effets de cette condition. Avant l’entrée dans l’enseignement formel, la détection des premiers signes repose principalement sur les parents, guidés par les conseils de leurs professionnels de santé. Or, à l’âge préscolaire, les signes de l’autisme peuvent être difficiles à identifier ou facilement confondus avec d’autres comportements.
La plupart des parents ne sont pas des professionnels de santé et ne disposent pas forcément des connaissances nécessaires pour reconnaître ces signaux. Sans formation ni information spécifique, la majorité des diagnostics ne sont donc posés qu’après l’âge de trois ans.
Lorsqu’un diagnostic est posé avant l’entrée en école primaire, les Maisons Relais, encadrées par la Croix-Rouge luxembourgeoise, proposent des crèches adaptées aux besoins éducatifs spécifiques. Soutenues par le ministère de la Justice en tant qu’ASBL, ces structures ont la capacité de mobiliser du personnel formé, disposant d’outils et de ressources pour accompagner les enfants autistes.
Mais le système ne garantit pas un accès systématique à ces structures : les listes d’attente sont longues et les moyens disponibles varient fortement d’une commune à l’autre. Des initiatives comme Incluso permettent heureusement de combler certaines lacunes, en apportant conseils et formations au personnel de l’enseignement préscolaire.
Toutefois, selon la région dans laquelle on vit, l’accès à une prise en charge adaptée repose encore en grande partie sur la chance.
École primaire et secondaire
Lorsque les enfants autistes atteignent l’âge d’intégrer l’enseignement formel, le gouvernement évalue leurs besoins individuels afin d’adapter la manière dont le contenu est enseigné, de proposer un accompagnement en classe, ou, si nécessaire, d’offrir des alternatives éducatives mieux adaptées à leur situation.
L’engagement du ministère de l’Éducation, de l’Enfance et de la Jeunesse (MEN) en faveur de l’inclusion et de la diversité mérite d’être souligné. L’objectif d’adapter le système scolaire aux besoins éducatifs spécifiques de chaque élève, bien qu’ambitieux, reflète une politique résolument tournée vers l’avenir.
Selon le MEN, cette approche porte ses fruits : "Moins de 1 % des élèves luxembourgeois sont scolarisés dans des établissements d’enseignement spécialisé, ce qui indique un taux d’inclusion élevé."
À l’école primaire, le MEN veille à la présence d’enseignants spécialisés au sein des établissements, appuyés par des équipes dédiées qui travaillent directement avec les élèves afin d’identifier les solutions pédagogiques les plus adaptées. Ce dispositif devrait être renforcé par le recrutement progressif d’assistants en classe, venant en soutien des enseignants spécialisés lorsque cela s’avère nécessaire.
Au niveau secondaire, chaque établissement dispose d’une commission d’inclusion, chargée d’informer les élèves et leurs familles sur les aides disponibles, et de définir les mesures spécifiques à mettre en place. Ces commissions s’appuient dans leurs décisions sur l’expertise de la Commission nationale pour l’inclusion et de la Commission pour les aménagements raisonnables.
Théorie et pratique
En théorie, un soutien solide est en place, et de nombreuses familles en bénéficient. Mais lorsqu’il s’agit de répondre aux exigences spécifiques liées à l’autisme, certains besoins demeurent particulièrement difficiles à satisfaire.
"Il est difficile de trouver suffisamment de personnel… à cela s’ajoute le défi de former ces professionnels à l’autisme. Il faut apprendre à comprendre comment fonctionnent les personnes autistes… leur cerveau fonctionne différemment ", explique Corrine Wuidar, responsable de la psychopédagogie à la Fondation luxembourgeoise de l’autisme.
"Pour travailler correctement avec elles, il faut adopter leur point de vue, mais aussi comprendre leur manière de penser", ajoute-t-elle.
Le manque de personnel qualifié reste un obstacle majeur. Former des spécialistes capables de répondre aux besoins des enfants et jeunes adultes autistes requiert du temps et un investissement important. "Il ne s’agit pas simplement de recruter quelqu’un, comme on le ferait pour une secrétaire. Il faut un à deux ans pour qu’un professionnel soit réellement opérationnel", précise Wuidar.
L’autisme peut également se traduire par des comportements qui perturbent non seulement l’apprentissage de l’enfant concerné, mais aussi celui de ses camarades. Certains enfants nécessitent un encadrement très individualisé, bien au-delà de l’attention habituellement requise dans une classe.
La difficulté à trouver du personnel formé pour ces missions limite les options de nombreux parents. Cela conduit à des transferts fréquents d’établissement en établissement et impose des choix difficiles dans d’autres aspects de la vie familiale, comme le lieu de résidence ou le travail. Ajoutée à une répartition inégale des ressources, cette situation place les familles face à des dilemmes constants pour assurer à leurs enfants les meilleures chances de réussite.
Financement et information
"Parfois, les moyens financiers ou les ressources humaines nécessaires pour garantir une inclusion véritable et satisfaisante font défaut", déclare Corrine Wuidar. Elle souligne que le problème ne réside pas dans le manque de volonté du ministère de l’Éducation nationale ; l’engagement est réel, mais les moyens à disposition ne suivent pas toujours l’ambition affichée.
Un autre frein réside dans l’accès à l’information. Comme souvent au Luxembourg, les aides existent bel et bien, mais les démarches pour y accéder peuvent se révéler complexes. Les familles peinent à trouver des informations claires, à jour et centralisées, un paradoxe dans un pays où les services sont pourtant largement disponibles.
Il y a toutefois des avancées. Le mois dernier a vu le lancement de Dalza, une plateforme prometteuse qui vise à simplifier l’accès aux soins pour les enfants neurodivergents. En reliant parents, thérapeutes, éducateurs et institutions publiques, Dalza centralise les ressources utiles et facilite les échanges entre les différents acteurs.
Mais cette initiative soulève une question fondamentale : pourquoi l’information essentielle n’est-elle pas plus accessible, plus transparente et directement intégrée dans les plateformes officielles du gouvernement ?
Associations
Pour pallier ces manquements, plusieurs associations, souvent créées à l’initiative de parents concernés, proposent accompagnement, informations et soutien à ceux qui tentent de naviguer dans un système parfois opaque.
La Fondation Autisme Luxembourg (FAL), fondée en 1996, et l’Association luxembourgeoise de sensibilisation à l’autisme (3AL), créée en 2019, sont aujourd’hui deux acteurs majeurs dans ce domaine. La FAL, solidement implantée, combine campagnes de sensibilisation, services de formation et structures d’accueil dans plusieurs localités du pays, notamment à Munshausen, Rambrouch, Belvaux et Steinsel, avec des services résidentiels et des activités adaptées.
"Les parents à l’origine de la FAL voulaient créer tout ce dont leurs enfants avaient besoin ici, au Luxembourg. C’est comme ça que tout a commencé", explique Corrine Wuidar. En évoquant la création de la fondation, elle ajoute : "À l’époque, tout faisait défaut… même la possibilité d’obtenir un diagnostic fiable. C’était tout simplement impossible dans le pays."
3AL, plus récente, met l’accent sur la sensibilisation du public, la normalisation de l’autisme dans la société luxembourgeoise et la promotion d’interventions précoces basées sur des approches "adaptées et avancées". À l’image de la FAL, elle propose également du soutien aux familles, ainsi que des activités éducatives et récréatives conçues pour être pleinement accessibles aux enfants autistes.
"Les deux objectifs principaux de l’association sont de créer un véritable réseau entre parents et thérapeutes, et de promouvoir l’analyse comportementale appliquée, une méthode reconnue à l’international, mais encore peu développée au Luxembourg", explique Annalisa Destefanis, analyste comportementale appliquée et présidente de 3AL.
L’inclusion reste au cœur des missions de ces deux structures. Toutes deux soulignent les efforts qui restent à fournir pour déconstruire les idées reçues et sensibiliser le grand public à la réalité de l’autisme.
"Certaines attitudes doivent encore évoluer pour permettre une inclusion véritable", affirme Wuidar. Et lorsqu’on lui demande ce qui pourrait faire la différence, elle répond sans hésiter : "Il faut sensibiliser. Faire comprendre ce que vit un enfant autiste. Montrer qu’avec un peu d’effort, de compréhension mutuelle, on peut s’ouvrir davantage. L’inclusion, ce n’est pas coller une étiquette. Ce n’est pas dire : “tu es autiste.” C’est voir la personne dans son ensemble : ses intérêts, ses passions, ses talents… C’est ça que les gens doivent comprendre."
Et maintenant?
Les ambitions et les dispositifs mis en place pour répondre à l’autisme au Luxembourg ont indéniablement progressé, témoignant d’une volonté gouvernementale d’écouter les familles et d’agir en conséquence. Le sentiment général est que les choses avancent, et dans la bonne direction.
Cependant, la réalité sur le terrain s’éloigne parfois des succès d’inclusion que le pays revendique, ainsi que de l’auto-satisfaction peut-être un peu prématurée qui entoure le chiffre souvent cité : moins de 1 % des enfants luxembourgeois fréquenteraient des établissements spécialisés.
En pratique, le manque de personnel qualifié, la répartition inégale des ressources financières, la complexité de l’accès à l’information et le manque de sensibilisation publique demeurent des obstacles de taille pour les familles. Et si une majorité d’enfants ne sont ni diagnostiqués ni évalués avant un âge avancé, il est alors légitime de se demander si ce "moins de 1 %" reflète réellement les besoins, ou simplement les limites actuelles du système.
Comme pour de nombreuses causes sociales, la sensibilisation du public et l’éducation sont essentielles pour bâtir une société véritablement inclusive. Sans une compréhension partagée de ce qu’est l’autisme, des efforts restent vains et les politiques les mieux intentionnées peinent à porter leurs fruits.
Et en matière de sensibilisation, force est de constater qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Dans la deuxième partie, nous nous pencherons sur les réalités quotidiennes de ceux qui vivent dans le système – enfants, parents, professionnels – et sur ce que chacun d’entre nous peut faire pour favoriser une inclusion plus authentique de la communauté autiste au Luxembourg.