Il faut se lever très tôt le matin pour espérer éviter les bouchons vers le Luxembourg. Stéphanie, Olivier, Mélanie, Thomas, et bien d'autres, tentent tout les matins de réduire le temps passé dans la voiture. Car ça "use" et les interroge sur leur vie de frontalier. Ils témoignent.

"On n'ose pas trop y penser. Ça donne parfois le vertige de voir tout ce temps perdu", reconnaît Stéphanie, en filant dans la nuit matinale sur l'A31, direction le Luxembourg. Comme un frontalier français sur quatre qui travaille au Luxembourg, elle fait plus de 50 km sur un seul trajet. De son petit village situé au nord-est de Metz, jusqu'à Leudelange, il y a exactement 70 km que Stéphanie met "en moyenne une heure et demie" à avaler en partant de chez elle vers 6h45.

Elle passe "au minimum, trois heures par jour dans sa voiture", confie-t-elle en levant ses sourcils pour dire son dépit. À raison de 220 jours de travail par an, cela représente près de 28 jours par an passés derrière le volant !

"Je vais avoir 50 ans et je ne sais pas si je vais encore être capable de faire ça pendant dix ans", confesse Stéphanie les yeux rivés sur la route, en jetant des regards furtifs sur Waze. Car "c'est usant, c'est fatiguant. Quand arrive le vendredi soir, on est épuisé", souffle Stéphanie, pourtant d'un naturel enjoué.

Ce qui est usant, au fond, c'est de ne pas avoir de prévisibilité et d'être impuissant face ces conditions de trajets matinaux. Sachant d'avance que l'A31 sera "bouchée" au plus tôt, dans le passage de Thionville, et au plus tard, aux alentours de Kanfen. Cela fait 26 ans que Stéphanie connaît la musique. Et "tous les matins quand on part, on a le stress de ne pas savoir comment va être la route et à quelle heure on va arriver, sans parler de la pluie ou des conditions hivernales".

En six ans "mon temps de route a été multiplié par deux"

Un sentiment largement partagé par nombre de frontaliers, comme Mélanie, également salariée dans une grande entreprise à Leudelange. Mélanie part pourtant bien plus tôt pour faire à peine mois de kilomètres. Elle allume son moteur à 5h50 et met "entre 1h15 et 1h30 le matin. Soit en moyenne, entre deux et trois heures de route par jour". Elle est frontalière depuis six ans et a surtout constaté un rallongement net du temps passé sur un trajet: "Depuis que j'ai commencé au Luxembourg, mon temps de route a été multiplié par deux".

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© Maurice Fick

Car il faut se lever de très bonne heure le matin pour espérer éviter les bouchons vers le Luxembourg. Sachant qu'à partir de 3.500 véhicules par heure sur deux voies, c'est le bouchon garanti. Avec 60.000 véhicules qui passent tous les jours la frontière vers le Luxembourg, on comprend que le problème c'est la densité du trafic.

"Aujourd'hui on considère que l'heure de pointe commence à 5h00 du matin. L'axe qui va vers le Luxembourg dépasse les 3.000 véhicules heure! Ensuite le trafic augmente, pour redescendre après 9h00", sait bien Sébastien Delbirani. Le chef du District de Metz de la DIR Est est formel: L'heure de pointe "a été décalée" au fil des années. "Il n'y a pas si longtemps, c'était 6h00. Aujourd'hui si vous voulez vous rendre au Luxembourg de manière fluide, il faut partir avant 4h30", conseille-t-il.

"Terminer sa nuit sur le parking"

Mais ça nous fait lever à quelle heure ça? Se lever très tôt c'est la solution pour laquelle opte tous les matins Jérémie, frontalier depuis six ans. Chauffeur-livreur au service de la restauration, il démarre à 3h45. Ce poste "en décalé" a pour corollaire qu' il "n'a quasiment aucun souci avec les bouchons". Il boucle les 50 km qui séparent Charly-Oradour et Bettembourg, en "30 à 35 minutes le matin. Au retour ça dépend, mais c'est toujours plus chargé qu'à l'aller. Je mets plutôt 40 minutes".

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© Maurice Fick

Mais ce n'était pas toujours comme ça. Quand son patron lui a demandé de démarrer sa journée à 6h00, 7h00 ou 8h00, il n'a pas mis trois jours pour "comprendre la galère". Pour y échapper il a "préféré venir trois heures plus tôt et terminer sa nuit sur le parking devant la société, en prenant une couverture et en allongeant son siège", raconte Jérémie. Il reconnaît "avoir une facilité à dormir dans n'importe quelles conditions". Sa technique à lui pour ne pas passer plus d'une demi-heure sur la route le matin. Mais il est catégorique: "Si je devais mettre 1h30 ou 2h00 de trajet pour venir au travail et ensuite rentrer à la maison, je ne le ferais pas. Je ne serais pas frontalier".

La "loi du frontalier", comme dit Olivier 56 ans, c'est "d'avoir des avantages, mais aussi des inconvénients". Et le principal pour lui, c'est "cette réflexion permanente pour optimiser le temps de trajet. Avec le temps, ça use". Salarié dans l'informatique depuis une quinzaine d'années au Luxembourg, il résume d'un trait ce que vit au quotidien une grande partie du peuple des navetteurs.

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© Domingos Oliveira

Pour gagner du temps, Olivier jongle "entre organisation et application mobile d'aide à la conduite" pour partir au meilleur moment de chez lui, à Rombas. Depuis une poignée d'années, il a mis en place une stratégie simple pour éviter les bouchons du matin: "Je laisse passer le gros du flux et je me mets en route" pour arriver vers 10h00 à la Cloche d'Or. Olivier utilise "deux leviers: la flexibilité horaire et le télétravail". Mais quand il arrive au travail autour de 10h00, Olivier "a déjà travaillé une heure et demie et fait une réunion dans la voiture".

Thomas, 27 ans, vient d'un village près de Longwy et fait 60 km pour venir travailler au Luxembourg depuis un an seulement. Au lieu de 45 minutes il met "entre 1h15 et 1h30". Sa règle première c'est d'"éviter l'autoroute A30 parce que c'est vraiment saturé". Comme de plus en plus de frontaliers français (ils sont 125.000) il  "essaye de suivre Waze sans trop le suivre", mais ne passe plus que par les petites routes. L'ennui c'est que le matin "elle sont vite engorgées".

Toutes les projections montrent que le trafic va "continuer d'augmenter dans les prochaines années", atteste le chef de la DIR Est. Il n'y a donc pas réellement d'issue pour les 230.000 frontaliers français, belges ou allemand qui travaillent au Luxembourg qui reste un eldorado avec des salaires attractifs mais qui ne fait plus vraiment envie à la jeune génération.

Long "tunnel" de travaux autoroutiers 

Les frontaliers français qui empruntent l'A31 et poursuivent ensuite sur l'A3 au Luxembourg, ne sont pas sortis d'affaire. Ils devront s'armer de patience pour de longues années encore.

Car l'A3, autoroute la plus fréquentée du Luxembourg, fait l'objet de vastes travaux d'élargissement depuis avril 2022. Et les 12 kilomètres qui séparent la frontière et la Croix de Gasperich devraient seulement passer à 2x3 voies "pour la fin de l’année 2030", avait assuré la ministre de la Mobilité et des Travaux publics, Yuriko Backes en février. Ce qui laisse entrevoir encore au moins cinq années de bouchons "compliqués" par des chantiers.

Suivront les travaux qui permettront d'élargir à 2x3 voies l'A31, côté français, sur les 12,4 kilomètres qui joignent le nord de Thionville à la frontière. Et les travaux de construction de l'A31bis. Le futur contournement passera par l'ouest de Thionville, nécessitera la construction d'un tunnel sous la ville de Florange, et sera payant. Les travaux doivent débuter en 2029 et s'achever en 2032.

Les frontaliers pourraient être plus nombreux à se tourner vers le train dans les années à avenir. Le Luxembourg investit massivement dans le train et selon l'accord intergouvernemental conclu entre le Luxembourg et la France en 2018 la capacité de la ligne ferroviaire Metz - Thionville - Luxembourg doit doit "augmenter significativement" d’ici 2030.

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