Impôts, chômage, télétravail, transports... les 223.000 frontaliers du Luxembourg subissent des attaques de toute part et voient leur situation se compliquer de jour en jour. À tel point que l'attractivité du Luxembourg pourrait en pâtir. Explications.
Ils sont souvent considérés comme des privilégiés, aussi bien au Luxembourg que dans leur pays de résidence. Mais la situation des frontaliers est de moins en moins reluisante. Entre les nombreuses heures passées dans les transports (3 heures par jour en moyenne), le matraquage fiscal qui peut s'apparenter à une double imposition déguisée, les inégalités de traitement sur le télétravail, la fiscalité sur les heures supplémentaires et plus récemment la réduction de l'indemnisation chômage des frontaliers, ils sont de moins en moins enclins à venir travailler au Luxembourg.
Pour Pascal Peuvrel, Président de l'AFAL, l'Association des Frontaliers Au Luxembourg,on peut clairement parler de discrimination. "Ils subissent depuis des années de nombreuses attaques du Luxembourg et maintenant on passe du côté des Etats de résidence".
Baisse significative des indemnités de chômage
La dernière en date concerne la France qui veut changer le système d'indemnisation des allocataires frontaliers. Les règles européennes prévoient que les frontaliers cotisent dans le pays d'emploi mais perçoivent des indemnités calculées sur la base de leurs salaires, souvent plus élevés qu'en France, notamment pour ceux ayant travaillé en Suisse et au Luxembourg.
Problème : cela représente un surcoût d'environ 800 millions d'euros par an pour l'assurance chômage en France selon l'Unédic. La Suisse est le pays qui coûte le plus cher à la France, mais le Luxembourg représente tout de même 22% de ces dépenses.

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Le gouvernement a donc demandé aux partenaires sociaux de trouver des économies sur l'indemnisation chômage des frontaliers. Et quelques syndicats français ont signé un accord qui prévoit un coup de rabot sur le chômage des frontaliers français qui pourrait baisser d'un tiers.
Une discrimination manifeste
L'accord pourrait s'appliquer dès 2025 et a immédiatement été qualifié de discriminatoire par les associations de frontaliers qui sont prêtes à aller en justice.
Pour Lucas Grandjean, Député suppléant de la Moselle : "Cette mesure ne respecte ni nos principes, ni des décisions de justice antérieures".
Il explique que "les économies ne peuvent se faire au détriment de 77.000 personnes ayant exercé dans un pays frontalier et aujourd'hui au chômage. Ces derniers supporteraient près de 60% des économies réalisées alors qu'ils ne représentent que 0,3% des chômeurs en France".
Impôts : une augmentation en vue
L'autre mauvaise nouvelle concerne les impôts. Comme le constate, amer, Georges Gondon, Président de l'ASBL Frontaliers Luxembourg, "Chaque Etat crée de plus en plus de mécanismes qui lui permettent de capter le maximum d'argent". Que ce soit le Luxembourg, l'Allemagne, la Belgique ou la France, les services fiscaux ne manquent pas d'imagination pour faire les poches des frontaliers.
La preuve avec une nouvelle hausse d'impôts qui se profile pour les frontaliers français qui ont des revenus mixtes, c'est à dire des deux côtés de la frontière. La convention fiscale franco-luxembourgeoise signée en 2018 prévoyait un changement de méthode du calcul de l'impôt en France. Une évolution annoncée comme sans incidence pour les contribuables, mais les conséquences se sont immédiatement fait sentir pour les frontaliers concernés avec des hausses atteignant plusieurs centaines voire milliers d'euros sur leurs revenus de 2020.
Ils avaient finalement été sauvés par une tolérance décidée en dernière minute par le ministère de l'Économie. Après avoir opté pour une solution temporaire durant quatre ans, la France applique finalement une nouvelle méthode de calcul en 2025 sur les revenus de cette année.
Les contribuables concernés vont donc voir leurs impôts augmenter de manière sensible. Pour Séverine Bergé, directrice du cabinet comptable et fiscaliste Néofisc, "on peut parler d'une double imposition déguisée. Et c'est injuste car le taux d'imposition n'est pas assis sur le revenu réellement perçu, mais dans les deux pays, on va l'asseoir sur un revenu impôts inclus. Vous avez donc un taux plus élevé qu'il ne devrait dans les deux pays, et les impôts sont plus élevés".
Pour les frontaliers allemands, ce sont les heures supplémentaires, exonérées au Luxembourg, qui sont taxées dans leur pays de résidence.
Télétravail : l'autre discrimination
Sur le télétravail il n'y a pas d'égalité non plus entre résidents et frontaliers. Les Luxembourgeois peuvent être en home-office jusqu’à 100% de leur temps de travail sans impact sur leur impôt, ni régime de Sécurité sociale si leur employeur le permet. Les frontaliers, eux, sont limités à 34 jourspar an, c'est le seuil fiscal.
Si leur employeur s'est mis en règle avec leur pays de résidence et qu'il peuvent s'affranchir du seuil fiscal, ils doivent aussi faire attention au seuil social. En effet, s'ils télétravaillent plus de 112 jours par an, ils basculent sur la sécurité sociale de leur pays de résidence. Et ça peut avoir des conséquences très importantes sur leur retraite ou sur les aides qu'ils touchent de l’État.
Enfin les frontaliers belges ont un problème avec les heures d'astreinte que leur pays considère comme du télétravail.
La route : un enfer !
Et que dire des transports! La ligne de train sur le sillon lorrain est saturée tous les jours, et le projet de "RER Metz-Luxembourg" a beau être sur les rails, il n'est pas pour tout de suite. Et sur la route ce n'est pas plus réjouissant.

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Alors que les travaux d'élargissement de l'A3 doivent durer 10 ans, les frontaliers savent qu'ils n'en ont pas fini avec les chantiers puisque le projet d'A31 bis doit suivre. Une autoroute qui, de plus, ne sera plus gratuite et qui même payante devrait rester encombrée.
Bref, les perspectives sont loin d'être radieuses pour les frontaliers, et ils sont de plus en plus nombreux à jeter l'éponge. Des signes d’essoufflement du travail frontalier se font ressentir, avec en particulier une baisse du nombre de navetteurs en provenance de Belgique et d’Allemagne.
Or le modèle économique luxembourgeois a besoin de ses frontaliers. L’assèchement de la main d’œuvre transfrontalière serait une catastrophe pour le Luxembourg. Mais aussi pour les pays voisins car les salaires des travailleurs frontaliers soutiennent l'économie de plusieurs régions françaises, belges et allemandes.