Les frontaliers sont vent debout face aux propositions "discriminatoires" de réduction de leur indemnisation chômage. L'accord trouvé la semaine dernière par le patronat et plusieurs syndicats sur les nouvelles règles de l'assurance chômage pourrait faire baisser leurs indemnisations de manière drastique.

Les règles européennes prévoient que les frontaliers cotisent dans le pays d'emploi mais perçoivent des indemnités dans leur pays de résidence. Or ces indemnités sont calculées sur la base de leurs salaires, souvent plus élevés qu'en France, notamment pour ceux ayant travaillé au Luxembourg ou en Suisse.

Le règlement européen prévoit bien des compensations financières, à savoir le paiement de trois à cinq mois de chômage selon la durée cotisée, un montant loin de couvrir les dépenses de la France. 

Cette règle européennecoûte donc 800 millions d'euros à la France chaque année. Le gouvernement a donc demandé aux partenaires sociaux de trouver des économies sur l'indemnisation chômage des frontaliers. La Suisse est le pays qui coûte le plus cher à la France, mais le Luxembourg représente tout de même 22% de ces dépenses. 

Faire payer les frontaliers

La négociation entre patronat et syndicats qui s'est conclue jeudi 14 novembre prévoit d'appliquer un coefficient réducteur des indemnités chômage des frontaliers pour prendre en compte la différence de niveau de vie entre le pays de travail et la France. En clair, l'idée serait d'indemniser les frontaliers sur la base du salaire moyen français et non sur la base du salaire réellement perçu dans le pays où ils ont travaillé et cotisé. Et cette nouvelle règle, si elle est retenue en l'état par le gouvernement pourrait s'appliquer dès le 1er avril 2025.

La plupart des juristes consultés relèvent toutefois que le principe d'un coefficient "pourrait être considéré comme non conforme au cadre légal actuel". Julien Dauer, directeur de l'association frontaliers Grand Est estime qu'il y a clairement "une rupture d'égalité de traitement entre salariés en violation du droit européen".

Une discrimination manifeste

Toutes les associations de frontaliers dénoncent des mesures "discriminatoires". "C'est une catastrophe pour les frontaliers" estime Pascal Peuvrel, le président de l'AFAL, l'Association des Frontaliers au Luxembourg. "Cela montre surtout à quel point il est urgent de trouver un accord avec le Luxembourg pour une compensation. Car le Grand-Duché a en effet empoché les cotisations et maintenant c'est sur le dos des frontaliers que reposent les économies".

"Le frontalier est chéri dans certaines périodes, mais jalousé et vilipendé dans d'autres. C'est un bouc émissaire", s'irrite Thomas Fischer, à la tête du Groupement transfrontalier européen, fort de 25.000 adhérents.

"On est prêt à aller en justice", affirme Pierre-Loïc Faury, un responsable de l'Amicale des frontaliers. "C'est injuste. La France cherche à absorber au travers des frontaliers son incapacité à gérer le chômage", dénonce une de leurs membres.

Denis Gravouil, spécialiste des questions chômage à la CGT, affirme que l’allocation journalière moyenne pourrait baisser de 32% pour les frontaliers ayant travaillé au Luxembourg, et même de 45% pour ceux ayant travaillé en Suisse. La CGT rappelle que "le droit européen ne permet pas ce tour de passe-passe, déjà retoqué dans le passé".

Et même les élus s'inquiètent de cette mesure. Pour Lucas Grandjean, Député suppléant de la Moselle : "Cette mesure est discriminatoire et ne respecte ni nos principes, ni des décisions de justice antérieures".

Dans le communiqué commun qu'il écrit avec Isabelle Rauch, Députée de Moselle, il explique que "les économies demandées sont nécessaires mais ne peuvent se faire au détriment de 77.000 personnes ayant exercé dans un pays frontalier et aujourd'hui au chômage. Ces derniers supporteraient près de 60% des économies réalisées alors qu'ils ne représentent que 0,3% des chômeurs en France." Le gouvernement espère en effet économiser 2,6 milliards d'euros sur quatre ans, dont la plus grande partie, 1,48 milliard, serait supportée par les frontaliers.

Changer les règes en Europe

Élus locaux, syndicats et associations de frontaliers sont d'accord sur un point: il est urgent de changer les règles en modifiant l'article 65 du règlement européen régissant l'indemnisation des chômeurs frontaliers, et que ces derniers soient indemnisés par le pays où ils ont cotisé.

En 2019, les Etats avaient trouvé un accord pour que les frontaliers sans emploi soient pris en charge par le pays où ils travaillaient. Mais au moment du vote au Parlement européen, plusieurs ont mis leur veto.

La Commission européenne a depuis proposé une révision du règlement européen 883/2004, qui attribuerait la responsabilité du versement des prestations de chômage à l'Etat membre du dernier emploi lorsque le travailleur frontalier y a travaillé pendant au moins 12 mois.

Mais modifier un tel règlement nécessite l'accord des 27, pas sûr que le Luxembourg soit pressé de changer un texte européen qui lui permet d'économiser beaucoup d'argent...