
© Michael Brochstein/Sipa USA via Reuters Connect
Il rebaptise des lieux, convoite des territoires, attaque la science... pour les géographes réunis de vendredi à dimanche en Lorraine, au Festival international de géographie, Donald Trump est un "objet d'étude" à la fois "fascinant" et "effrayant".
À Saint-Dié-des-Vosges, ville où fut décidé en 1507 de baptiser "America" le Nouveau monde, le président des Etats-Unis est régulièrement évoqué au fil des conférences. "Le thème du festival cette année, c'est le pouvoir, et ce que nous montre Donald Trump, c'est le retour à un pouvoir national fort, décomplexé, dans ses formes et dans ses traductions spatiales aussi", relève Camille Escudé, chercheuse à Sciences Po.
"Il me donne du grain à moudre !", raille cette experte de l'Arctique, évoquant les tentatives du milliardaire de faire main basse sur le Canada et le Groenland.
"Pour moi, c'est un objet politique avec des conséquences géographiques, que j'essaie d'étudier comme tel, et qui traduit des choses du pouvoir, de la puissance, des territoires", dit-elle, reconnaissant néanmoins un peu "d'inquiétude".
"Suprémaciste"
Inquiétude que d'autres cachent beaucoup moins.
"C'est un maître en dystopie. Il fait advenir tout ce qu'on pensait inimaginable", tranche Anne-Laure Amilhat Szary, géographe à l'université Grenoble-Alpes.
"Il a le culot, la force, de faire exploser le monde du droit et de révéler que l'état de fait seul est devenu notre réalité", résume-t-elle. "Il ne l'a pas fait tout seul : Poutine le fait avec les armes, les Chinois le font avec leurs investissements, mais là où Trump est complètement décomplexé, c'est qu'il le dit. C'est ça qui est assez fascinant", résume cette spécialiste des frontières.
"La frontière, elle est partout, elle est là où la force veut qu'elle advienne", explique-t-elle. "Et là, ça éclate au grand jour", avec les raids de l'ICE, l'agence de l'immigration chargée par Donald Trump de mettre en oeuvre son programme d'expulsions massives.
Spécialiste de la toponymie, c'est-à-dire des noms donnés aux lieux, Frédéric Giraut, de l'université de Genève, reconnaît aussi avoir été très sollicité lorsque Donald Trump, tout juste revenu au pouvoir, a renommé d'autorité des points sur les cartes géographiques.
Le Denali, point culminant des Etats-Unis qui depuis 2015 tirait son nom d'une langue autochtone d'Alaska, est ainsi immédiatement redevenu "mont McKinley", du nom d'un président du XIXe siècle admiré par Trump.
Le locataire de la Maison Blanche a aussi ordonné que le Golfe du Mexique, nom issu d'une langue préhispanique, soit rebaptisé Golfe d'Amérique, frappant de représailles les réfractaires, comme l'agence de presse AP.
"C'est effrayant, parce qu'il y a cette dimension suprémaciste, qui va à l'encontre d'engagements internationaux, notamment ceux des objectifs de développement durable, qui promeuvent l'inclusion des langues minoritaires, des savoirs autochtones, des périphéries pauvres des villes", commente M. Giraut.
"D'ailleurs, il n'y a même pas d'arguments historiques: c'est la loi du plus fort."
En projetant de transformer la bande de Gaza ravagée par la guerre en "Riviera du Moyen-Orient", Trump veut aussi remplacer un nom plurimillénaire d'origine cananéenne par un nom d'origine européenne, illustre-t-il également.
La fin d'une ère
"Ce à quoi on assiste, et c'est vertigineux, c'est à la fin d'une ère, la fin de l'ère du multilatéralisme" basée sur la coopération, le droit international et les institutions comme les Nations unies, expose Laurence Nardon, qui étudie les Etats-Unis à l'Institut français des relations internationales.
"C'est comme quand on lit un livre d'Histoire, on est dans un de ces moments".
"D'un point de vue de science politique, c'est absolument passionnant", dit-elle, et il y a "par ailleurs un côté très angoissant, surtout depuis janvier" et le début du second mandat du républicain.
"J'étais restée trèsoptimiste sur la résilience du système américain, mais à titre personnel, je trouve horrible ce qui se passe", confie-t-elle, citant les attaques de l'administration Trump contre les universités, l'état de droit ou les médias.
Mais des résistances subsistent, veut croire Frédéric Giraut. Au contraire des géants Google Maps ou Apple Plans, qui ont obéi à Trump, "il y a des plateformes collaboratives qui servent de résistance, et qui sont attaquées en tant que telles : Wikipédia bien sûr, et sur le plan cartographique, Openstreetmap."