Les conditions d'emprunt se sont fortement dégradées depuis un an au Luxembourg. Décryptage de la situation et des solutions accessibles pour les acheteurs.
Emprunter au Luxembourg, c'est parfois l'assurance de s'offrir... un parcours du combattant. Sur un temps relativement court, les résidents ont vu la situation économique être durablement chamboulée par les conséquences de la crise du coronavirus puis la guerre en Ukraine. Au point de rendre l'accès au crédit très difficile.
De l'envolée de l'inflation au resserrement du crédit
Retour à début 2022. La guerre est sur le point de débuter mais l'économie mondiale est déjà au ralenti. Le Covid est passé mais la production n'a pas retrouvé son niveau normal. La demande, elle, est forte. Trop. C'est l'origine du problème: les prix débutent leur envolée.
Fin février, la Russie envahit l'Ukraine. Avec le début de la guerre, les marchés des matières premières décollent et le reste de l'économie va suivre. L'alimentation, les biens et services vont suivre. Pour maîtriser l'inflation, les banques centrales ont une méthode: limiter la quantité de monnaie en circulation. Donc réduire l'accès au crédit, en relevant son coût. Un mouvement que les banques traditionnelles avaient anticipé.
Encore peu cher il y a un an et demi, le crédit immobilier est devenu bien plus difficile d'accès. Selon la Banque centrale du Luxembourg, le taux variable a atteint 4,11% en avril, et 3,89% pour un taux fixe. Des données déjà anciennes car depuis, c'est bien pire.
"On est passé de taux d'intérêt fixe long terme de 1,50% à 4,50%" constate Vincent Quillé, directeur de Nexfin, société de courtage en crédit immobilier. Nexfin (devenue Credihome auprès du groupe Foyer à l'été 2023) publie justement sur son site un aperçu des taux actuels, supérieurs car plus souvent mis à jour que ceux de la BCL.
"Le coût du financement a été multiplié par trois en neuf à dix mois." À salaire identique, cela signifie que quelqu'un qui pouvait emprunter un million d'euros à 1,50% il y a un an et demi ne peut désormais emprunter que 700.000€.
Les critères décisifs pour emprunter
Concrètement, cela se traduit par une vigilance accrue des banques sur les dossiers qu'elles reçoivent. La solvabilité de l'emprunteur est observée de près: il s'agit du revenu et de l'épargne disponible pour assurer un apport. "Ensemble, ces données nous donnent la capacité d'achat de l'emprunteur" explique Vincent Quillé.
Le profil de l'acheteur (son âge, son secteur d'activité, ses possibilités d'évolution...) complète l'analyse du courtier et de la banque. Tout comme le type de bien visé: sa valeur, son état général ou sa classe énergétique, une donnée à laquelle les banques sont plus sensibles qu'auparavant...
"On n'est pas tous égaux devant la réflexion financière: il y a des clients que les banques et nous-mêmes ne voulons pas mettre en difficultés, ce qui peut amener des refus ou des conditions plus difficiles qu'attendues. Mais ce n'est pas pour embêter la personne" rassure-t-il. Les banques doivent juste mesurer le risque pris sur le crédit.

Vincent Quillé est cofondateur et directeur de Nexfin. / © Nexfin
Qui est concerné?
En plus de proposer de très bons salaires, le Luxembourg avait droit lui aussi à "l'argent pas cher" lorsque les taux étaient très bas. Poussé par une demande jamais satisfaite dans un environnement ultra attractif, les prix de l'immobilier ont décollé dans des proportions démesurées.
Si certains travailleurs avec des salaires élevés et un bon niveau d'épargne ont pu entrer sur le marché, c'est que cela s'est parfois fait "au détriment de la classe moyenne".
Désormais, l'accumulation des prix et des taux en hausse a pour effet de "pénaliser" les jeunes primo-accédants qui veulent réaliser leur premier achat pour se loger au Luxembourg. "À ce stade, ils ont peu d'épargne et des salaires pas forcément très élevés, donc ils sont directement concernés par la baisse de leur capacité d'endettement. Et ça, c'est à cause des taux d'intérêt" détaille Vincent Quillé.
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La situation des propriétaires désireux de réaliser un nouvel achat est plus particulière: ils ont certainement acheté à une époque où les prix augmentaient très vite et les taux étaient bas. Ils peuvent potentiellement réaliser une belle plus-value. Mais "le nouveau financement va quand même coûter beaucoup plus cher. Et il faut vendre un bien".
Dans les conditions actuelles, c'est tout le problème: "La revente est compliquée à partir du moment où on n'a pas pris conscience qu'on est en train de vendre dans un marché baissier." Les acheteurs sont moins nombreux et ont moins de budget...
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Quelles solutions pour obtenir un crédit immobilier?
À défaut de pouvoir trouver des solutions politiques au problème, comment faire pour parvenir à emprunter et acheter en cette période difficile?
"Dans cette situation, la première variable d'ajustement, c'est le prix" rappelle le directeur de Nexfin. Le recul du prix affiché par le vendeur sera la première étape d'équilibrage du marché. Une concession parfois nécessaire pour réussir à vendre.
Avec des prix en baisse de 10 à 15%, "on est déjà arrivé à la moitié du chemin de ce qu'on avait perdu" sur la capacité d'endettement évoquée plus haut. "Cela signifie qu'il y a des gens qui étaient sortis du terrain de jeu de l'achat qui peuvent aujourd'hui commencer à y revenir" évoque Vincent Quillé.
De son expérience de courtier, "il y a des solutions, des portes d'entrée qui sont possibles pour trouver un crédit qui soit soutenable. Toutes les banques n'ont pas les mêmes conditions de financement. Il y a des banques qui vont accepter de faire des financements sur des durées plus longues, même avec des âges plus avancés, par exemple." Même si parfois "ça ne fonctionne pas car on est obligé de faire avec ce que le marché du financement offre". Quoiqu'il arrive, les critères d'acceptation ou de refus d'un dossier pour un crédit restent les mêmes.
À moyen terme, il faudra compter sur l'évolution des taux d'intérêt pour rendre l'endettement des acheteurs plus supportable. Car un point de pourcentage sur un taux, "c'est 10% de capacité d'endettement récupérée".
Bonne nouvelle, le courtier constate tout de même que le secteur de l'immobilier "semble avoir une certaine résilience ici au Luxembourg". De bon augure en attendant des jours meilleurs.
Pour aller plus loin, écoutez les derniers épisodes de notre podcast "La Bulle Immo".