"La réglementation n'a pas changé, ce n'est pas open bar" a plaidé le ministre Thomas Cazenave, qui était en Moselle jeudi pour rassurer les buralistes sur les nouvelles règles en matière d'importation de tabac. Mais les 12 nouveaux critères à respecter risquent de faire tousser aussi bien les acheteurs que les douaniers.

Décidément, la devise française devrait être "pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué". L'Hexagone vient en effet de s'illustrer avec une nouvelle règlementation pour le moins tarabiscotée sur l'importation de tabac.

Jusqu'ici, les choses étaient clair : la France limitait à 200 cigarettes, soit une cartouche, la quantité qu'un fumeur était autorisé à ramener d'un autre pays de l'UE. Mais la France a supprimé fin mars cette limite de 200 cigarettes pour se mettre en conformité avec le droit européen. On aurait donc pu s'attendre à ce que la France revienne à la limite fixée par l'U.E., à savoir 4 cartouches (soit 800 cigarettes), 400 cigarillos, 200 cigares et 1 kg de tabac à fumer.

Mais plutôt que cette règle simple, la France a annoncé ne plus fixer de seuil et d'appliquer à la place une limite plus floue : le particulier doit acheter à des fins strictement personnelles.

Sans surprise, l'annonce a fait l'effet d'une bombe des deux côtés de la frontière franco-luxembourgeoise, les buralistes luxembourgeois se frottant les mains d'avance, et leurs homologues français se sentant à juste titre pénalisés. Mais les clients, eux, ont certainement du mal à y comprendre quelque chose. Et c'est certainement ce flou et cette grogne montante qui ont poussé le ministre Thomas Cazenave à venir faire un tour ce jeudi du côté de la Moselle...

Les 12 nouveaux commandements de l'importation de tabac

"La réglementation n'a pas changé, c'est pas open bar" a affirmé le ministre délégué chargé des Comptes publics, qui s'est arrêté au tabac du village de Hombourg-Budange, à une vingtaine de kilomètres des frontières allemande et luxembourgeoise, où il a échangé avec des professionnels du secteur. "La réglementation n'a pas changé et on va continuer à multiplier les contrôles avec la mobilisation des douanes pour rappeler cette réglementation", a souligné le ministre.

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© Ludovic MARIN / AFP

Il y a pourtant du changement, car les douaniers doivent désormais se baser sur une liste de 12 critères "quantitatifs et qualitatifs" afin de déterminer si l'importation de tabac est légale (pour une consommation personnelle) ou illégale (à des fins commerciales). Les voici :

1. Le statut commercial du détenteur des produits ;
2. Les motifs pour lesquels il détient ces produits ;
3. L’activité économique du détenteur ;
4. Le lieu où se trouvent ces produits ou, en cas de transport, leur emplacement dans le véhicule ;
5. Le mode de transport utilisé ;
6. Tout document ayant un lien avec ces produits ;
7. La nature des produits ;
8. La quantité de produits ;
9. Le mode de conditionnement des produits ;
10. L’existence sur les produits ou leur conditionnement d’un signe désignant, même implicitement, un destinataire autre que le détenteur ;
11. Toute trace d’un échange relatif à ces produits et impliquant le détenteur ;
12. La destination du détenteur lorsqu’elle diffère de son lieu de résidence habituelle.

Bref, un long "cahier des charges" qui fera probablement regretter aux douaniers l'ancienne règle bien plus simple.

D'autant que ces douze critères ne répondent pas clairement à la question de la quantité: est-ce les clients pourront dépasser la limite européenne des 4 cartouches ? Il semble bien que non, affirme l'Agence France Presse (AFP) : "Le niveau à partir duquel les douanes peuvent considérer qu'il ne s'agit plus d'une consommation personnelle est fixé par la règlementation européenne à 800 cigarettes (4 cartouches)". Christian Lacoume, directeur régional des douanes de Nancy cité par nos confrères de Virgule, le confirme : "Au-delà de ces quatre cartouches, le caractère commercial est, pour nous, explicite."

Des sanctions possibles dès 1 seule cartouche, ou s'il y a deux sortes de tabac différentes

On l'aura compris, les douaniers ne sanctionneront donc pas tant la quantité que la finalité de l'importation. Si bien qu'un client peut être sanctionné à partir d'une seule cartouche de cigarette "dès lors que le faisceau d’indice concorde pour considérer que la cartouche est importée à des fins commerciales".

Les douanes françaises donnent d'ailleurs plusieurs exemples dans un communiqué :

  • Si la douane contrôle un véhicule et trouve une cartouche avec le nom d’un destinataire inscrit dessus, cela tombe sous le coup du décret, ce qui n’était pas le cas dans la précédente réglementation ;
  • Si la douane trouve du tabac en vrac, dissimulé, il y a aussi un soupçon de trafic et la possibilité de sanctionner ;
  • S’il y a deux sortes de tabac différentes, il y a également un soupçon de trafic. En effet, lorsqu’il s’agit d’une consommation personnelle, l’individu n’achète qu’une marque ;
  • Si l’individu a quatre cartouches, cela tombe également sous le coup du décret qui vise la quantité de produits transportée. 

Quant aux sanctions, si la douane démontre que le tabac a été acheté dans un autre Etat membre de l’Union européenne à des fins commerciales, "le paiement de l’accise et de la TVA sera immédiatement exigé. Dans ce cas, le contrôle pourra donner lieu à l’application d’une amende et à la saisie du tabac".

Le fléau des trafics de tabac à la frontière

"La plus grande fermeté continue à s'appliquer. Il y a aussi des contraintes de volume et on rappellera les règles", a donc souligné M. Cazenave lors de sa visite en Moselle. "C'est important pour nos buralistes, qui eux respectent la réglementation, c'est important pour les finances publiques, c'est important pour notre sécurité. Donc la réglementation n'a pas conduit, comme j'ai pu l'entendre dire au début, à ouvrir les frontières", a-t-il poursuivi. "J'ai donné une instruction il y a deux jours à la direction générale des douanes, pour avoir une attention plus particulière sur les zones frontalières, pour ne pas laisser penser qu'on a ouvert les frontières", a-t-il noté, mettant en avant "la multiplication des contrôles" et "des opérations régulières".

Un des buralistes a toutefois fait part de ses craintes au ministre: "Je pense sincèrement qu'il faut plus d'effectifs aux douanes. Nous, il nous faut de l'aide, mais eux ils ont besoin de moyens pour pouvoir faire plus d'actions et justement aller chercher les trafics", a-t-il demandé.

Thomas Cazenave a ensuite supervisé une opération de contrôle douanier sur l'A31 qui relie la France au Luxembourg.

Le trafic de tabac est en plein essor: les services douaniers ont saisi 521 tonnes de tabac l'an dernier, après le record de 2022 avec 649 tonnes. Reste donc à voir si la nouvelle réglementation freinera ou amplifiera ce fléau...

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