
Lutter contre les rodéos urbains, contrôler une manifestation ou sécuriser un festival musical: l’utilisation grandissante des drones par la police, autorisée depuis avril, préoccupe les défenseurs des libertés publiques qui dénoncent des restrictions de la vie privée à un an des Jeux olympiques de Paris.
C’est pour éviter un “match retour” entre bandes rivales de Seine-Saint-Denis, après le meurtre d’un jeune dentiste fin mai, que la préfecture de police de Paris a, pour la première fois, décrété la surveillance par drone en banlieue parisienne.
Durant deux week-ends, le survol de ces petits aéronefs équipés de caméras a été strictement autorisé, carte détaillée annexée aux arrêtés, au dessus de plusieurs quartiers du Pré-Saint-Gervais et des Lilas.
“On attend toujours qu’il y ait un événement qui suscite la peur, qui puisse justifier dans l’opinion publique une restriction des libertés pour se protéger”, tance Arié Alimi, avocat et membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme (LDH).
Aux termes du décret pris le 19 avril 2023, plusieurs raisons peuvent être invoquées pour filmer avec des drones: “La prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés” ou “la sécurité des rassemblements” lorsqu’il sont “susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public”.
Les forces de sécurité peuvent aussi réclamer leur utilisation au préfet en invoquant “la prévention du terrorisme”, la “régulation des flux de transport” lorsqu’il y a un enjeu de sécurité, “la surveillance des frontières” et “le secours aux personnes sur la voie publique”.
Des drones ont ainsi été utilisés par la police pour lutter contre des “rodéos urbains” à Bordeaux ou à Lille, réguler des manifestations ou surveiller des rassemblements comme ce fut le cas à Paris pour les festivités du 14-Juillet.
Les policiers, gendarmes, douaniers, pompiers ou militaires peuvent demander à utiliser des drones.
Si la demande est faite par la gendarmerie ou la police, elle doit être détaillée et mentionner le périmètre géographique surveillé, la durée d’utilisation ou encore le nombre de caméras qui enregistrent en simultané. Elle est soumise à autorisation préfectorale.
Les agents de la douane peuvent demander l’appui d’un drone pour filmer des “missions de prévention des mouvements transfrontaliers de marchandises prohibées”. Les pompiers pour lutter contre les incendies et secourir des personnes.
La durée d’utilisation d’un drone par les forces de l’ordre sur un périmètre donné est de trois mois maximum, renouvelable sous conditions.
Pour des raisons de respect de la vie privée, les drones ne peuvent pas filmer l’intérieur ou l’entrée de domiciles. Si cela arrive, “l’enregistrement est immédiatement interrompu” selon le décret et, si c’est inévitable, les images sont supprimées au bout de quarante-huit heures maximum.
D’autres règles s’appliquent: l’enregistrement ne doit comporter ni son ni reconnaissance faciale.
Les chefs de l’unité de police, de gendarmerie ou des douanes qui mènent l’opération sont habilités à visualiser les images, ainsi que les agents qui participent directement à l’opération.
Les vidéos peuvent être gardées pendant sept jours maximum avant leur destruction, hormis les cas d’enquêtes judiciaires.
Un citoyen ne peut pas s’opposer à être filmé par un drone déployé par les forces de sécurité mais il peut, s’il apparaît à l’image, demander un droit d’accès, de rectification et d’effacement.
Les autorités sont quant à elles obligées d’informer la population du périmètre filmé et de la période pendant laquelle des drones ou autres engins volants, comme des hélicoptères, peuvent enregistrer.
“Le public est informé par tout moyen approprié de l’emploi de dispositifs aéroportés”, indique sur son site internet le ministère de l’Intérieur. Les arrêtés préfectoraux autorisant l’usage des drones sont notamment publiés en ligne.
Des “dispositifs aéroportés” ont été utilisés à des fins de maintien de l’ordre bien avant la publication du décret.
En 2020, lors de la pandémie de Covid-19, des drones avaient été déployés pour contrôler le respect du confinement en région parisienne.
Faute de texte clair pour justifier les images captées, le Conseil d’Etat avait sommé en mai la préfecture de police de “cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone”.
Le décret du 19 avril, publié plus d’un an après le vote de la loi relative à la responsabilité pénale et la sécurité intérieure du 24 janvier 2022, a réintroduit plusieurs mesures controversées de la loi Sécurité globale, retoquées par le Conseil constitutionnel en 2021.
Saisi par un particulier et une association, le juge des référés du Conseil d’Etat a validé ce décret le 24 mai dernier, estimant qu’il “n’existe pas de doute sérieux” sur sa légalité.