
Vivre une fausse couche peut être profondément dévastateur, mais s’entourer de soutien peut ouvrir la voie à la guérison et aider à traverser le choc.
RTL Today s’est entretenu avec Salvatore Emmanuel Loria, directeur du service de psychologie des Hôpitaux Robert Schuman, ainsi qu’avec Daniela Pavan et Lucie Reiland, psychologues à l’Hôpital du Kirchberg, pour aborder la manière d’affronter une fausse couche et de se soutenir au mieux tout au long du processus de guérison.
Une fausse couche désigne la perte d’une grossesse avant la 24e semaine. Au-delà, on parle de mortinatalité.
Pour toute femme confrontée à une ou plusieurs fausses couches, l’expérience peut être bouleversante : une perte profonde, déstabilisante, qui laisse souvent un sentiment de vide et de désespoir.
Pour les expatriées, souvent éloignées de leur cercle familial, l’isolement peut accentuer encore le chagrin. Chercher du soutien devient alors essentiel pour traverser le traumatisme et entamer le chemin vers la guérison.
“La fausse couche reste un sujet tabou. Bien qu’elle soit relativement fréquente – entre 10 et 20 % des grossesses se terminent en fausse couche – les familles peuvent parfois se sentir illégitimes dans leur douleur. La perte d’un bébé peut déclencher une avalanche d’émotions : choc, culpabilité, tristesse, honte, colère, solitude ou encore incrédulité, souvent vécues dans le silence", explique Salvatore Loria.
“Votre monde s’arrête, pendant que celui des autres continue. Et l’on attend de vous que vous fassiez de même. Une fausse couche entraîne de nombreuses étapes chargées émotionnellement : dire au revoir, quitter l’hôpital, rentrer chez soi dans une chambre préparée, retourner au travail… Après une fausse couche, beaucoup cherchent à redonner du sens à leur vie et à cette perte, qui paraît souvent absurde. Ce qui est particulièrement douloureux, c’est la perte de l’avenir imaginé. L’identité de parent, construite sur ces attentes, se trouve ébranlée. Trouver du sens à ce qui s’est passé et créer de nouvelles façons d’avancer, sans l’enfant attendu, peut aider à apaiser la douleur."
Donner une identité au bébé et préserver un lien avec lui peut être un moyen d’y parvenir, souligne-t-il.
"Certains choisissent de nommer leur bébé, de conserver des souvenirs – une photo, un vêtement, une empreinte. Ces gestes peuvent les aider à affirmer leur identité de parent – celle qu’ils garderont toujours – et à légitimer leur deuil."
La guérison n’est pas linéaire
L’un des éléments clés du processus de deuil réside dans le soutien social, explique Lucie Reiland.
"Des amis, des membres de la famille ou encore des groupes de soutien de confiance peuvent apporter un sentiment d’appartenance et un réconfort émotionnel face à la perte. Il est aussi essentiel d’instaurer une relation de confiance et un dialogue ouvert avec son équipe médicale et psychosociale. Les informations médicales sur la fausse couche peuvent atténuer une partie de la culpabilité que ressentent certaines personnes."
Selon elle, l’accompagnement par un professionnel de la santé mentale peut également aider à mieux gérer les émotions et les situations difficiles. "Des stratégies comme l’autosuggestion positive, la méditation, l’activité physique, la créativité, une routine structurée, des objectifs réalistes ou des pratiques spirituelles et culturelles peuvent s’avérer utiles – à condition qu’elles soient en phase avec les besoins et les croyances de chacun."
Elle rappelle surtout que le chemin vers la guérison est rarement linéaire:
"Il faut s’autoriser du temps, se traiter avec bienveillance et accepter que des jours difficiles puissent survenir, même après une période d’apaisement. Cela ne veut pas dire que l’on régresse, mais que l’on avance à son propre rythme."
Expliquer la perte aux enfants
Pour les femmes ayant déjà des enfants, annoncer la perte d’un bébé peut s’avérer particulièrement délicat.
"Il est naturel de vouloir éviter cette conversation, par désir de protéger ses enfants – et parfois soi-même. Mais le silence n’efface pas la douleur, il peut même isoler davantage, tant les adultes que les plus jeunes. Les enfants sentent lorsqu’un changement s’est produit et il est important qu’ils puissent comprendre ce qui s’est passé."
La psychologue recommande d’entamer la discussion avec des mots simples et concrets, en nommant le bébé si un prénom avait été choisi, et en utilisant le mot "mort".
"Mieux vaut éviter les euphémismes comme "il s’est endormi", qui pourraient faire naître des peurs liées au sommeil. De même, dire que le bébé "est tombé malade" peut susciter des inquiétudes si l’enfant ou un proche tombe malade plus tard. Il est important de leur expliquer que c’est très différent des maladies habituelles, soignées par un médecin."
Elle conseille également d’éviter les expressions telles que "il est parti", qui peuvent prêter à confusion. "Laissez l’enfant poser ses questions et répondez-y avec des mots adaptés à son âge, sans le submerger d’informations inutiles ou trop complexes."
Enfin, elle insiste sur l’importance de la cohérence dans le discours des adultes. "Selon leur âge, les enfants peuvent penser que la perte est liée à un souhait ou à une parole qu’ils auraient exprimée, comme ne pas vouloir de petit frère ou de petite sœur. Il est essentiel de leur expliquer clairement, dès le départ, qu’ils ne sont en rien responsables."
Congé professionnel : que prévoit la loi ?
En cas de fausse couche, il est recommandé d’aborder la question du congé professionnel avec son médecin, les infirmiers et l’équipe psychosociale. Ensemble, ils pourront évaluer la situation en fonction des besoins médicaux, psychologiques et professionnels de la patiente.
"D’un point de vue légal, au Luxembourg, le droit au congé de maternité est accordé à partir de 24 semaines d’aménorrhée (soit 22 semaines de grossesse), à condition que la grossesse ait été déclarée [CNS, Initiativ Liewensufank, Ministère de la Santé]", précise Daniela Pavan. "Avant ce seuil, il s’agit d’une fausse couche. Dans ce cas, un congé de maladie peut être prescrit par le médecin. Par ailleurs, en cas de décès d’un enfant mineur, la salariée a droit à un congé extraordinaire de cinq jours."
Le deuil est unique à chacun
Le processus de deuil varie considérablement d’une personne à l’autre – et parfois même au fil du temps pour une même personne. Pour aider à traverser cette période difficile, Salvatore Loria et Daniela Pavan partagent quelques repères à garder en tête :
- Permettez-vous d’explorer ce que vous ressentez et ce dont vous avez besoin. Il n’y a pas de voie universelle : ce qui compte, c’est ce qui vous apaise à vous!
- Acceptez le soutien. Tournez-vous vers des proches de confiance ou vers l’équipe médicale et psychosociale. Le soutien professionnel ou les groupes de parole peuvent être une ressource précieuse.
- Faites-vous aider pour les démarches administratives. Elles peuvent être particulièrement lourdes dans une période de vulnérabilité.
- Évitez de minimiser ce que vous traversez. Il peut être tentant de se distraire ou de "passer à autre chose" trop vite. Accueillir ses émotions, les verbaliser ou les exprimer d’une manière personnelle peut être un pas important vers la guérison.
- Évitez de vous culpabiliser. Dans des situations où la perte semble absurde, nous cherchons souvent une cause ou une responsabilité. Cela peut aggraver la souffrance. Mieux comprendre ce qui s’est passé grâce à l’équipe médicale peut permettre de remettre les choses en perspective.
- Prenez votre temps. Le deuil n’a pas d’échéance. Ne précipitez pas la guérison : votre rythme vous appartient. Si vous sentez que la tristesse persiste ou devient un poids quotidien, consulter un·e thérapeute peut offrir un espace d’écoute bienveillant – et cela ne signifie pas que vous allez mal. Il n’est jamais trop tôt, ni trop tard, pour demander de l’aide.
- Communiquez ouvertement avec votre partenaire. Partager ses ressentis, même dans la douleur, peut renforcer le lien au sein du couple. Les émotions non verbalisées peuvent s’exprimer par le corps ou par des comportements. Même si vous craignez de trop en dire ou de peser sur l’autre, vous soutenir mutuellement est souvent plus facile que de porter le chagrin seul·e.
- Souvenez-vous que chacun vit le deuil à sa façon. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de vivre cette perte. Reconnectez-vous à vos propres ressources : qu’est-ce qui vous a aidé à traverser d’autres périodes difficiles dans votre vie ?
- Aidez les autres à vous aider. L’entourage, souvent maladroit, ne sait pas toujours quoi dire ou faire. N’hésitez pas à formuler ce qui vous soulage ou, au contraire, ce qui vous blesse. Cela peut évoluer au fil du temps – c’est normal.
- Respectez vos limites. Vous n’avez aucune obligation de vous justifier. Si certaines conversations ou certaines personnes ne vous apportent rien, vous avez le droit de vous en protéger.
Réseaux de soutien au Luxembourg
- Omega 90 (adultes et enfants)
- Initiativ Liewensufank / Eidel Aerm
- Associaton Spama
- Weesen Elteren (Croix Rouge)
- Stärekanner ASBL
Livres pouvant aider à expliquer la perte d'un bébé aux enfants
- Le fil invisible - Patrice Karst [FR, EN]
- The Ducklings of our Hearts - Kara Mangum [EN]
- My Sibling Still - Megan Lacourrege [EN]
- We Were Gonna Have a Baby but We Had an Angel Instead - Pat Schwiebert [EN]
- Something Happened - Cathy Blanford [EN]
- Someone Came Before You - Pat Schwiebert [EN]